Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Portrait de Luis Cernuda, poète sévillan engagé

Luis Cernuda, né à Séville en septembre 1902, demeure l'un des poètes incontournables de la Génération du 27. Dès sa jeunesse, l'œuvre de Gustavo Adolfo Bécquer suscite son intérêt pour la poésie, l'incitant à écrire sous la tutelle d'un professeur qui lui transmet des connaissances techniques. Ses premières publications voient le jour dans la Revista de Occidente. Profondément marqué par la littérature française, il s'adonne même à la traduction d'œuvres du surréaliste Paul Éluard. Ouvertement homosexuel, Cernuda doit faire face aux étiquettes néfastes et au mépris, notamment sur sa terre natale où il semble ne pas s'identifier pleinement.

Luis CernudaLuis Cernuda
Luis Cernuda (@AidaBSanchez)
Écrit par Marie Lucca
Publié le 19 mars 2024, mis à jour le 19 mars 2024

La poétique surréaliste de Cernuda

Tout au long de sa vie, l’œuvre de Cernuda reflète une évolution spirituelle, débutant avec l'espoir et l'exaltation de la beauté et de l'ornement, pour évoluer progressivement vers une tonalité plus austère, pragmatique et conceptuelle. 

Initialement porté vers la solitude et le nihilisme, Cernuda évolue vers une spiritualité intime et accueillante. Des poèmes tels que "Coucher de soleil dans la cathédrale" et "La visite de Dieu" signalent, selon José Maria Valverde, poète espagnol des années 50, "le terme d'une évolution d'un environnement espagnol, d'un idéal exquis et minoritaire, à une émotion à la fois religieuse et socialement humaine". Ses premières œuvres tracent un itinéraire de la "poésie pure" prônée par Juan Ramón Jiménez, autre poète espagnol, évoluant ensuite vers une étroite affinité avec le surréalisme, atteignant son apogée dans "Un fleuve, un amour" (1929) et "Les plaisirs interdits" (1931).

La naissance du surréalisme au début des années 1920 trouve son origine dans la période de crise culturelle et morale qui traverse alors l’Europe au sortir de la Première Guerre mondiale. Ce conflit d'une ampleur dévastatrice et meurtrière a suscité une révolte idéologique absolue, portée par de jeunes poètes provocateurs déterminés à exprimer leur mépris envers les institutions établies. Ainsi, l'art surréaliste est étroitement lié à leur engagement dans le surréalisme.

D'une douceur délicate et mélancolique, l'œuvre de Luis Cernuda est imprégnée de l'influence du surréalisme. Il s'engage avec passion, explorant l'irrationnel pour exprimer une personnalité secrète et tourmentée. "La Réalité et le Désir"(1936) représente son œuvre essentielle. À travers un langage dense, raffiné, et foisonnant d'images parfois ésotériques, il traduit avec une sincérité infinie les thèmes de la désolation, de la mort, de l'amour impossible, et de la solitude impitoyable.

Toi, vérité solitaire,

Transparente passion, ma solitude de toujours

Tu es une étreinte immense

Par la suite, Cernuda explore avec originalité et maîtrise la tradition romantique européenne dans des œuvres telles que "Où habite l'oubli" (1934) et "Invocations" (1935). 

Un poète engagé contre le franquisme

Rebelle solitaire dans la tradition romantique, Cernuda lutte contre les contraintes sociales de son époque, opposant constamment réalité et désir ainsi que le monde bourgeois à la nature, symbolisant cette dernière comme l'expression libre des sentiments réprimés par le monde bourgeois.

Luis Cernuda

En 1927, il publie ses premiers poèmes, "Profil de l'air", caractérisés par leur pureté et leur élégance. L'année suivante, "Églogue, élégie, ode" suit un style classique et romantique. Malgré les critiques sévères de la société de l'époque en raison de sa reconnaissance de son homosexualité, il dédie des ouvrages tels que "Où habite l'oubli" (1934) et "Plaisirs interdits" à un amour non partagé, exprimant sa frustration.

Après avoir travaillé un an comme lecteur d'espagnol à l'Université de Toulouse et participé avec optimisme à l'avènement de la République en 1936, la Guerre civile éclate au moment de la publication de "La réalité et le désir". Il participe au IIe Congrès des Intellectuels antifascistes de Valence pendant le conflit armé.

En 1938, il entame un exil qui le mène en Angleterre, en Écosse et au Mexique, d’où il ne retournera jamais en Espagne. Ses œuvres ultérieures, telles que "Les nuages" (1940), "L'adoration des mages", "Comme qui attend l'aube" (1947), et "Ocnos", dépeignent un style simple, direct et austère. Sa dernière œuvre, "Désolation de la Chimère", exprime une renonciation progressive à l'ornementation au profit de la simplicité.  Dans ses derniers poèmes, après la guerre et dans l'exil, au Mexique et aux États-Unis, Cernuda dénonce avec fureur et douleur les horreurs de l'histoire et les absurdités d'une civilisation qu'il qualifiait de « grotesque » 

Une influence mondiale

Après la guerre civile espagnole, Cernuda, exilé et influencé par la poésie anglo-saxonne, entame une période où son œuvre poétique devient autobiographique et réflexive. Installé au Royaume-Uni, aux États-Unis et finalement au Mexique, il publie successivement des œuvres telles que "Les nuages" (1940), "Comme qui attend l'aube" (1947), "Vivre sans vivre" (1949), "Avec les heures comptées" (1956) et "Désolation de la Chimère" (1962).

La riche œuvre de Cernuda a fait l'objet de nombreuses études à travers le monde. Octavio Paz, le poète mexicain, s'est peut-être approché au mieux de son sens le plus authentique et profond. Dans un court essai dédié à Cernuda, Paz aborde le sens du mot "désir" dans les travaux du poète, soulignant que "si le désir est réel, la réalité est irréelle".

Ses poèmes, traduits dans plus d’une vingtaine de langues, ont accompagné toute une génération de jeunes militants, et sont maintenant étudiés dans les écoles par des jeunes du monde entier. 

Voici les trois derniers vers d’une de ses poésies les plus connues « Si el hombre pudiera decir lo que ama », parlant d’amour déçu :

Tú justificas mi existencia: 
si no te conozco, no he vivido; 
si muero sin conocerte, no muero, porque no he vivido

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions

    © lepetitjournal.com 2024