A l’occasion de la présention au Centre Pompidou de Malaga de la nouvelle exposition permanente “Un temps à soi. Se libérer des contraintes de la vie quotidienne”, qui sera exposée jusqu'au 15 octobre 2023, nous avons demandé à Brigitte Léal, Conservateur du patrimoine, directrice adjointe en charge des collections du Musée national d'art moderne au Centre Pompidou, de nous présenter cet événement qui nous invite à réfléchir aux différentes formes que peut prendre ce "temps à soi", à repenser notre rapport au temps après ces mois d’isolement, et au temps que l’on se consacre à soi-même.
Lepetitjournal.com: On voudrait savoir ce que cette nouvelle exposition propose comme expérience aux visiteurs?
Brigitte Léal: Je crois que cette très belle exposition, placée sous le signe de la la joie de vivre, met vraiment en avant la diversité de la collection du centre Pompidou. Elle montre tout l’intérêt qu’il y a à mélanger, en quelque sorte, les époques, les disciplines, on le voit bien ici dans cette grande salle centrale, on y découvre une installation très spectaculaire d’un artiste cubain à côté de cet abri d’une artiste italienne, des grands panneaux d’autres artistes italiens, des oeuvres utopiques, des films aussi, donc il y a vraiment un mélange de toutes les disciplines et ça c’est vraiment propre à l’art du XXe siècle. Et en cela, il faut féliciter la commissaire Valentina Moimas.
Parlez-nous de cet art du XXème siècle, de ses artistes de l’Avant-Garde. Incarnent-ils la liberté?
Il n’y a pas de frontière stricte entre les arts plastiques traditionnels, peinture, sculpture, les installations, les films. Les artistes eux-mêmes sont polyvalents et il n’y a pas de hiérarchie à l’ancienne; il y a aussi ici la rencontre, et c’est vraiment tout le côté formidable du Centre Pompidou de Malaga, entre des artistes du monde entier qui défendent au fond cette espèce d’utopie de l’Art moderne justement qui est une utopie un peu communautaire, je n’ai pas dit communautariste mais communautaire, ils ont pensé un monde nouveau en quelque sorte.
Les artistes d’après-guerre ont été les premiers écologistes, les femmes artistes des années 60 ont été les premières féministes!
Au début du XXe siècle, ces avant-gardes ont essayé d’imaginer, d’inventer, un monde nouveau et ils ont souvent été vraiment prophètes. Les artistes ont été les premiers écologistes dans le monde de l’après-guerre ils ont déjà anticipé sur tous les combats. Les femmes artistes des années 60 ont été les premières féministes! Les artistes ont été les porteurs des utopies et ils ont su les incarner par des oeuvres extraordinaires, que ce soit des films, des peintures, des sculptures, des installations d’un nouveau type et je crois que c’est tout l’intérêt, le message, de cette exposition, c’est de nous transporter, sous une forme un peu féérique, à travers des œuvres extraordinaires d’artistes du monde entier, nous amener vers une réflexion aussi sur l’état du monde aujourd’hui, à la fois dans ses angoisses, il faut bien le dire, mais aussi dans ses rêves et de nous dire qu’il reste de l’espoir, qu’est-ce que le temps, qu’est-ce que le temps pour nous nous, femmes et hommes du XXIe siècle, est-ce que c’est le temps que l’on nous impose, que la société, que les cadres économiques nous imposent, où est-ce qu’au contraire c’est encore le temps de la liberté, de la liberté individuelle qui sera toujours à défendre, de la liberté collective.
Je crois que ce message de liberté il nous est vraiment plus que jamais nécessaire
Je crois que les artistes incarnent justement une liberté totale parfois radicale, parfois qui nous interroge, qui peuvent nous géner aussi mais je crois que ce message de liberté il nous est vraiment plus que jamais nécessaire et j’y pense en voyant ce film merveilleux de cette artiste américaine qui est née à Kiev, en Ukraine, et qui nous emmène justement dans un espace de liberté, celui d’une certaine joie de vivre qui a incarné une génération. Et ça c’est magnifique!
Il y a t’il une nouvelle philosophie incarnée par l’utopie de ces artistes et cette nouvelle philosophie pourrait-elle être la joie de vivre, que les artistes voudraient partager?
Je crois que toutes ces oeuvres qui sont ici réunis, elles nous interrogent, elles nous interpellent, elles remettent en question aussi certains stéréotypes mais en même temps, on le voit bien, il y a une idée de générosité dans toutes ces œuvres, de générosité mais aussi de gaieté, de partage, on le voit bien dans l’habitat transparent et coloré de Carla Accardi, une installation très drôle, car l’humour est très présent. C’est une installation-monde, avec ces globes planétaires, avec la couleur, la gaité , avec cette idée de joie de vivre, de cortège, un peu de carnaval, qui nous entraine dans l’exposition et même dans la ville, quelque chose de vivant.
Il y a aussi beaucoup de liens avec la nature, l’environnement?
On le voit aussi dans toutes ces installations, celle aussi de l’artiste brésilien Neto qui est à la fois une sculpture mais aussi une anti-sculpture car elle est molle, la matière c’est des bas et est elle est parfumée, elle contient en fait toutes sortes de poudres végétales parfumées, celle de son enfance au Brésil et d’autres encore…
Et donc ce sont des œuvres environnementales, d’une certaine façon, avec un rapport très fort à la nature, au sol, et cela incarne véritablement ce qu’est l’Art d’aujourd’hui, c’est-à-dire une une prise en compte totale, globale, de ce qu’est le monde dans son meilleur. Et ça c’est notre temps, c’est à la fois le repli dans l’habitat, la transformation de l’habitat le plus traditionnel que sont la yourte, la hutte, la cabane, mais avec un matériau moderne, le plexiglas, la couleur, et donc c’est la réincarnation des formes éternelles de la vie humaine toujours réinventée par les artistes.
Une vraie polysémie, une diversité, une envie de s’intégrer avec la nature, de devenir plus simple peut être?
Oui, ce que cette présentation montre bien aussi c’est que les artistes d’aujourd’hui ont dépassé l’idée des mouvements traditionnels qui ont crée le XXème siècle, les Avant-Gardes appelés Fauvisme, cubisme, abstraction … l’époque d’après-guerre, en tout cas du XXIe siècle, a vraiment dépassé cette idée de mouvement. Peut-être parce qu’il y a plus d’individualisme aussi mais ils ont fait une sorte de fusion qui transcende complètement cette chronologie traditionnelle, pour réinventer des modèles et c’est vraiment une très très belle utopie qui essaie de fracasser un peu toutes les disciplines d’une certaine façon mais aussi, encore une fois, l’idéal c’est une liberté partagée.
Profitez de ces jours pour visiter la nouvelle exposition permanente du Centre Pompidou de Malaga…et, n’oubliez pas … l’entrée est gratuite tous les dimanches à partir de 16h !