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Mujeres Avenir: LGBTQI+ le tabou persiste dans le monde du travail

LGBTQI+ espagneLGBTQI+ espagne
Maru Calmaestra
Écrit par
Publié le 26 juin 2019, mis à jour le 18 février 2021

Hier l'association d'amitié hispano-française organisait, conjointement avec la Comissions diversité du Club financiero Genova, une conférence portant sur l'intégration du collectif LGTBQI+ dans le monde du travail.

 

A quelques jours de l'Orgullo gay de Madrid, et tandis qu'un certain malaise entoure la manifestation cette année, Mujeres Avenir a tenu à ancrer son action dans la promotion de la diversité, au-delà de la seule question de genre qui constitue le fondement de l'association. Opération réussie : devant une assistance médusée, les intervenants ont transmis leurs expériences laborales et les différentes facettes d'un activisme forgé contre le rejet et l'obscurantisme dont la communauté a pendant de nombreuses années fait l'objet... et qui sévit aujourd'hui encore. Ignacio Sola, responsable de l'Egalité de Traitement et de la Diversité au sein du gouvernement espagnol a introduit les débats, indiquant que l'orientation sexuelle ne pouvait, en aucun cas, "constituer un obstacle à la vie sociale des individus". Maria Luisa de Contes, Présidente de Mujeres Avenir et de la Commission diversité du Club financiero Genova a insisté sur la nécessité de promouvoir des actions au sein des entreprises, pour sensibiliser les personnels et favoriser l'inclusion. 

 

LGBTQI+ espagne
Photo Maru Calmaestra


C'est peut être une des conférences les plus marquantes qu'a organisé cette année l'association Mujeres Avenir, qui explore à chacune des manifestations qu'elle organise les différentes facettes de la diversité, en sortant des sentiers battus et en suivant les préceptes qu'a exposé hier Marta Blázquez, modératrice de la conférence : "Nous sommes engagées pour une société plus juste et plus équilibrée et nous défendons qu'il n'existe pour cela qu'un chemin : celui de la connaissance et du partage du savoir, à travers des actions de visibilisation". A ces fins, les organisatrices se sont entourées de quatre intervenants, qui sont venus démontrer, si c'était nécessaire, que la société n'est pas seulement binaire et que le talent est indépendant de l'orientation sexuelle. Les entreprises en prennent très progressivement compte et un décalogue des bonnes pratiques a été transmis lors de la conférence, passant notamment par la réalisation d'un diagnostic, la mise en place de codes éthiques de conduite, l'établissement de protocoles de harcèlement ou l'usage d'un vocabulaire inclusif, comme l'a listé en prologue Laura Pérez, associée du cabinet Pérez-LLora et experte en droit de la diversité. L'avocate est revenue sur les principales sentences qui au cours des dernières années ont marqué la jurisprudence espagnole en la matière, relevant qu'il existe "une difficulté probatoire de la discrimination en entreprise", qui fait par ailleurs l'objet d'encore peu de procédures judiciaires, symptôme d'une société et d'un collectif peu disposés à faire valoir la question devant les tribunaux.

 

 

Sortir du placard

Un élément que l'écrivain, activiste et professeur de philosophie Ramón Martínez Rodríguez a corroboré, indiquant que l'on ne connaît "qu'une infime partie des cas de discrimination professionnelle". L'auteur du livre "La culture de l'homophobie" a rappellé que les 319 victimes de délits de haine homophobe ayant porté plainte en 2018 sur la Communauté de Madrid -presque un cas par jour- ne représentent que la partie visible de l'iceberg. Ramené à l'échelle du monde du travail, avec sous-jacente la peur de perdre son emploi, la proportion des actes discriminatoires dénoncés est encore moindre. Seules 38% des personnes LGBTQI+ sont "totalement sorties du placard" dans le monde l'entreprise, a appuyé Marta Fernández Herraiz, fondatrice du réseau professionnel pour lesbiennes LesWorking et co-directrice du REDI, le réseau entrepreneurial pour la diversité et l'inclusion LGBTI. Contrairement aux idées reçues, chez les plus jeunes les chiffres sont moindres encore : ils ne sont que 21% à afficher leur orientation sexuelle en toute transparence au sein de l'entreprise. Plus de 6% de la population fait partie en Europe du collectif LGBTQI+ selon les enquêtes portant sur la question. En Espagne, ce chiffre est légèrement plus élevé (6,9%). "Comptez autour de vous, dans votre entreprise, le nombre de personnes qui font ouvertement partie de ce collectif", a proposé Marta Fernández Herraiz. "La différence correspond à tous ceux qui n'ont pas osé exposer leur orientation sexuelle". Un petit jeu mené avec l'assistance a permis de refléter que si l'homosexualité masculine est régulièrement assumée dans l'entourage laboral, l'homosexualité féminine est largement moins communiquée. Quant à la bisexualité ou la transexualité elle sont quasiment invisibles et restent des sujets tabous en entreprise.  

 

LBBTQI+ espagne
Photo Maru Calmaestra


Pourtant, en reprenant l'argumentation de Ramón Martínez Rodríguez, "la visibilité est essentielle". Elle permet que la figure abstraite du gay, de la lesbienne ou du transexuel s'incarne dans une personne proche, faisant partie de l'entourage et du quotidien des cisgenres -par opposition aux transgenres- et des hétérosexuels dans leur ensemble. Quand l'homophobie est susceptible de s'en prendre au voisin de palier, à la cousine éloignée, au professeur de maths ou au collègue du bureau d'en face, l'empathie ressentie vis à vis des minorités et des discriminations dont elles peuvent être l'objet acquière une toute autre ampleur et permet l'adhésion à leur revendications. "La présence des 'alliés' dans le monde de l'entreprise est fondamentale", estime pour sa part Marta Fernández Herraiz. La fondatrice de LesWorking souligne en outre qu'un environnement professionnel ouvert à la diversité participe à une hausse des indices de rétention des talents, mais aussi de productivité, de créativité et d'innovation. "Les entreprises peuvent devenir des agents actifs des changements de la société" a-t-elle déclaré lors de son intervention. "Le monde change, et c'est nous qui l'avons changé" a pour sa part défendu Ramón Martínez Rodríguez, pour qui l'activisme et la sensibilisation des jeunes générations sont essentiels dans l'évolution de la perception des collectifs LGBTQI+. Rappelant les préjugés dont il a fait l'objet en tant que professeur, en contact direct avec les plus jeunes, il a souligné à quel point du chemin restait à parcourir en la matière.

 

LGBTQI+ espagne
Photo Maru Calmaestra

 

Cette discrimination existe aujourd'hui encore

Carla Antonelli, députée pour la Communauté de Madrid (PSOE), a clôt les débats. L'intervention de cette actrice et activiste canarienne sexagénaire, première et seule transexuelle à disposer d'un mandat à la législature en Espagne (depuis 2011), figure historique de la lutte pour les droits des personnes trans, a illustré la façon dont un des "collectifs les plus méconnus et les plus vulnérables" sort progressivement de l'anonymat et de l'opprobe. À un public peut être plus jeune que de coutume, mais comptant avec sa part de têtes chenues, trans-générationnel, Carla Antonelli a transmis au cours d'une allocution chargée d'émotion, le sens, les diffcultés et la nécessité de sa lutte depuis près de 40 ans. "Qui eut cru qu'une telle conférence aurait un jour lieu au sein d'un club d'entrepreneurs ?" s'est elle interrogée, rappelant à l'audience que jusqu'en 1979 le collectif a été menacé de prison sous la loi franquiste "de peligrosidad social" puis jusqu'en 1987 visé par les délits de scandale public. "Il est bien possible qu'il y ait toute une génération de perdue", s'est elle lamentée, faisant référence aux trans qui n'ont pas pu étudier ni s'intégrer au monde du travail du fait de leur condition. "Cette discrimination existe aujourd'hui encore", a-t-elle revendiqué, illustrant ses propos de cas actuels où des personnes trans sont victimes de licenciements liés à leur orientation sexuelle. Face au rejet exprimé par une bonne partie de la société, Carla Antonelli s'est exclamée : "Mais qu'est ce qu'ils espèrent ? Que nous nous cachions dans une grotte le temps de notre transition et que nous réapparaissions comme de vraies petites Barbies?". La loi espagnole du 13 mars 2007, autorisant le changement officiel de sexe et d'identité, sans obligation d'opération génitale, "a fait de nous un pays précurseur en la matière" a-t-elle néanmoins rappelé. Les mentalités et les lois sont appelées à évoluer encore, afin que l'intégration d'un collectif "qui jouit des mêmes aptitudes et capacités que l'ensemble des personnes" puisse se prévaloir d'une intégration, notamment professionnelle, beaucoup plus grande encore. 

 

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Photo Maru Calmaestra

 

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