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Isabelle Auroux, de LightUp: "Nos différences sont notre richesse"

Isabelle AurouxIsabelle Auroux
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 20 mars 2023, mis à jour le 21 mars 2023

Finaliste des Trophées Impact Social, Isabelle Auroux se définit comme Française au cœur espagnol. Elle a fondé LightUp, qui accompagne les entreprises dans leur processus de changement vers des cultures plus inclusives

 

Isabelle Auroux a un parcours atypique. Elle qui adore le théâtre et la peinture, elle fait un bac scientifique, puis se décante pour des études de droit international et langues -elle parle couramment 4 langues- entre l'Angleterre et l'Allemagne. Elle arrive en Espagne et débute rapidement comme consultante d'une multinationale dont elle deviendra 15 ans plus tard Directrice Générale pour la péninsule ibérique. C'est certainement son parcours à l'étranger qui a forgé son caractère multiculturel et sa conviction que seule l'union des femmes et des hommes créera une société plus égalitaire et plus juste. Pour elle, en opposant une moitié de la société -les hommes- contre l'autre, on ne fait que stigmatiser. C'est une des raisons pour lesquelles elle a décidé de fonder il y a quelques années LightUp, dans le but "d'éteindre les différences entre les sexes et d'allumer ce qui nous unit".

 

Vous vous définissez comme "Française au cœur espagnol". Pourquoi avoir choisi l'Espagne alors que vos études vous destinaient tout naturellement à l'Allemagne ou l'Angleterre?

Isabelle Auroux: C'est effectivement ce que pensait tout le monde, mais le destin en a voulu autrement! J'ai rencontré mon mari, Madrilène, à Oxford où j'étais partie étudier. Je ne parlais alors pas un mot d'espagnol et c'est donc à Londres que j'ai appris la langue de Cervantés!

 

Après un voyage initiatique de 5 mois en Amérique du Sud, vous partez vivre à Madrid?

J'avais travaillé 4 ans en Angleterre et j'avais besoin d'autre chose. J’avais découvert le monde des études de marché, une équipe et surtout mon appétance pour le développement personnel mais je ne savais pas quelle orientation professionnelle prendre. À Madrid, j'étais la plus jeune femme consultante recrutée et s'en suivront 15 ans de ma vie dans une structure qui m'a tout appris: le conseil en changement, ma certification comme coach et le training en comportement.

En opposant une moitié de la société -les hommes- contre l'autre, on ne fait que stigmatiser

Ça veut dire quoi concrètement le conseil en changement?

J'accompagnais les entreprises, en particulier sur les projets internationaux, dans leur processus de changement, focalisé sur l’entraînement des comportements. C'est-à-dire, toutes les problématiques d’entreprise, les problèmes d’engagement, de transformation culturelle. Il s'agissait en somme d'aligner la stratégie de l’entreprise avec les comportements des personnes qui la composent.

Avec le néoféminisme, dans les boites, tout le monde a un peu peur de prendre position sur un sujet trop politisé et de ne pas bien faire

On parle souvent de la crise des 40 ans. Dans votre cas, ça a été une révélation?

J'avais un rêve pour mes 40 ans, celui de voyager en Australie et il faut parfois être prêt à quelques concessions pour réaliser ses rêves. Nous avons donc pris un congé sans solde et sommes partis avec nos deux enfants pendant deux mois et ça a été une véritable révélation. Depuis longtemps aussi, j'avais envie de fonder ma propre boîte, pour accompagner les entreprises vers la création d'écosystèmes vraiment inclusifs, bien au-delà des quotas ou lois diverses en ESG (Environnement, Social et Gouvernance).

 

Pour quelle raison?

Lorsque je travaillais, j'étais baignée dans un environnement d'hommes et il y avait très peu de femmes avec des enfants en bas âge. Je me sentais un peu seule dans mon évolution et je notais que des dynamiques d’exclusion étaient en place dans certaines structures, de manière inconsciente bien sur. On oublie que la famille entre dans l’entreprise! Et je me suis rendue compte qu'on avançait sur plein de choses, mais que la société n’avance pas au même rythme et que par certaines initiatives et souvent sans le vouloir, l’autre moitié de la société, les hommes, peuvent se sentir écartés. Ce n’est pas facile d’être une femme mais cela ne l’est pas non plus pour les hommes d'être des hommes ! Avec le néoféminisme, dans les boites, certains préfèrent d’ailleurs se mettre en retrait et à la fin tout le monde a un peu peur de prendre position sur un sujet trop politisé et de ne pas bien faire. En fondant LightUp, cela me permettait de continuer à faire ce que j’aime, mais en me centrant sur les identités, et justement je fuis ce qui se fait depuis des années, qui est en définitive de travailler des collectifs en les opposant les uns aux autres, en stigmatisant encore plus; on n'est pas du tout dans l’inclusion, on est dans l’exclusion. En affirmant par exemple "je ne travaille qu’avec des femmes" c’est de l’exclusion. Actuellement, on met les gens les uns contre les autres, alors qu'on doit travailler ensemble. Et ça, ça vaut pour les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, hétéro et homosexuels, etc.

Il faut parfois être prêt à quelques concessions pour réaliser ses rêves

Et pourquoi ce nom de LightUp?

LightUp, c'est l'aboutissement de nombreuses choses dans ma vie: un interrupteur d'identité! Le but est d'éteindre la complaisance, l'agressivité et les différences entre les sexes qui stigmatisent et d'allumer ce qui nous unit, la lumière de la diversité, de l'égalité et de la tolérance, en tant que moteurs de l'innovation et de l'engagement dans les organisations. Le problème de l’identité, c’est qu’elle a plein d’étiquettes. Alors si on ne travaille que la diversité de genre par exemple, on prend le risque de séparer. Il faut travailler de manière transversale. Je fais tout pour casser les codes. Ça fait 20 ans qu’on parle de diversité, et finalement peu de choses ont changé. En plus, l'étau se resserre sur les entreprises, avec des lois chaque jour plus strictes. Du coup, les entreprises font bien attention que les chiffres changent mais les mentalités, elles, ne changent pas. En plus, pour beaucoup, c'est devenu une question d’image, avec une course effrénée aux chiffres pour montrer qu’on est inclusif, mais le reste ne suit pas et il ne suffit pas de nommer un responsable de l'inclusion. Il y a un conformisme par rapport aux pratiques mises en place, aux prix qui sont remis, aux messages communiqués.

Ça fait 20 ans qu’on parle de diversité, et finalement peu de choses ont changé.

Et concrètement, ça se passe comment?

Les entreprises font souvent appel à moi suite à une étude de climat et à partir d'une première phase de diagnostic, je développe un itinéraire d’accompagnement. Par exemple un taux de rotation très élevé dans une entreprise montre bien évidemment qu’il y a quelque chose qui ne va pas au niveau culture. Et pour changer la culture, il faut qu’elle soit plus orientée sur l’inclusion et la collaboration, parce qu’on parle beaucoup d’inclusion mais en fait l’inclusion c’est la collaboration. On parle aussi de "sécurité psychologique". Ça veut dire que l’inclusion, c’est que je puisse me sentir sûr de moi et être moi dans ma singularité sans représailles, que ce soit au niveau sexuel, que je sois une femme ou à cause de ma couleur de peau, de mon âge, et ça c’est un vrai challenge: Je me valorise moi-même, je valorise l’autre et nos différences deviennent une richesse. Il s'agit de lutter contre la polarisation, qui est inhérente à la diversité et à l’inclusion dans le monde d’aujourd’hui. Et c'est fondamental pour attirer et retenir les talents. Les entreprises doivent non seulement rester ouvertes mais surtout recruter et fidéliser des profils différents, sources de diversité et d’inclusion et surtout de performance.

Un taux de rotation très élevé dans une entreprise montre bien évidemment qu’il y a quelque chose qui ne va pas au niveau culture

Tout ce que vous dites est vraiment différent du discours actuel!

C’est un sujet extrêmement délicat car il touche à l’identité et parce que tout le monde pense bien faire. Il y a aussi beaucoup de peur, de conformité de faire les choses de manière différente, et c’est vraiment mon challenge. Je suis convaincue que la seule manière d’avancer passe par une grande dose d’humilité et par l’amour. Il faut surtout éviter de faire les choses par vengeance ou par revanche, ou simplement de manière agressive. Il commence à y avoir une véritable polarisation des positions, une séparation, presque de la haine. Or il faut créer un environnement avec de vrais espaces de compréhension et de dialogue. On peut travailler la transformation culturelle d’une entreprise par l’inclusion, depuis la manière dont on présente par exemple ses collaborateurs, sans les restreindre à une étiquette, à la façon de faire des réunions plus inclusives ou à etablir des horaires qui vont permettre un meilleur équilibre vital (je pars du principe que nous n’avons qu’une vie, donc je ne sépare pas la vie professionnelle de la vie personnelle), et ça, ce n'est pas seulement une affaire de femmes! Nous sommes absolument tous concernés et le bien-être, la santé mentale et l’équilibre des temps de vie sont désirables pour toutes les personnes!

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