Les habitants de Madrid ont leur us et coutumes, petits travers et autres habitudes séculaires. Expatrié français vivant dans la capitale espagnole, as-tu su t'intégrer ?
On appelle un Madrilène, "un gato". D'après la légende, le terme vient de la fin du XIe siècle, lorsque le roi chrétien Alphonse VI tente de conquérir Madrid alors musulmane. Bloqués à l'entrée par une haute muraille, les soldats chrétiens sont désemparés. L'un d'eux décide alors d'escalader la muraille, comme un chat, et ouvre les portes de l'intérieur. Madrid devient ainsi chrétienne et ses habitants sont surnommés "gatos" en l'honneur de ce soldat très agile. Les Madrilènes ont beaucoup d'autres surnoms : "los castizos", "majos", "manolos" ou "chulapos", à l'origine désignant des habitants de différents quartiers de la ville, désormais faisant référence aux Madrilènes en général. Il faut donc appeler un chat un chat -"llamar al pan pan y al vino vino"- et tu sais que tu es un vrai "gato", quand...
Tous les jours, la pause petit-déjeuner c'est devenu un moment sacré. Accoudé au comptoir lustré par Pepito, tu suis le rituel des commandes qui constitue tout un divertissement à Madrid. Le café noir ou au lait, le lait chaud ou tiède, en tasse ou dans un verre, sucre ou saccharine, les churros, porras, caracolas et autres napolitanas plus ou moins fraîches ne t'étonnent désormais plus et tu as appris à apprécier, plus que la substance, cet instant social qui constitue aussi un break essentiel dans la matinée madrilène et dans la vie du quartier. Feuilletant le quotidien du jour, tu suis d'un œil distrait les déboires des accros du bandit manchot, les commérages des employés de bureau et les plaintes des ressortissantes les plus revêches du troisième âge.
Dans la queue au marché, tu ne te fais plus pièger : finie l'époque où tu repérais, de visu et en silence, après quelle personne venait ton tour et où, surprise, apparaissaient sans cesse de nouveaux clients servis avant toi. Maintenant tu demandes bien fort dès l'approche de l'étal du boucher "¿Quién es el último?" ("Qui est le dernier?") et ne rates pas l'occasion de te signaler quand un nouvel arrivant pose la même question. Niveau 2 : indiquer à ce dernier qu'il te réserve la place, le temps que tu ailles te signaler dans la file du stand d'à côté et ainsi faire la queue simultanément chez le boucher et le poissonnier. La classe.
La tournée des grands ducs, c'est tous les vendredis soir et les interminables soirées passées debout entre amis, au milieu d'un brouhaha dont le niveau sonore dépasse largement les 85 Db (au-delà desquels le bruit peut être considéré comme nocif), qui débutent entre cañas et tapas et progressent de bar en bar, comme s'il était décidément impossible de rester plus d'une heure dans le même local, ne te font plus peur. Au comptoir, tu as depuis longtemps compris qu'il faut crier plus fort que les autres pour être servi et tu joues des coudes mieux que personne, cherchant à localiser quel angle d'attaque est le plus propice pour être remarqué du serveur. N'oublie pas de commander un gin tonic, en précisant quelle est ta marque favorite et en commentant, au passage, que la bière artisanale (Cibeles pour les novices, Bórea pour les experts) est bien meilleure que la Mahou.
Une fois par mois, un cocido. Chacun a ses adresses et les vrais de vrais le font eux-mêmes à la maison, ou, plus fin encore, ont su se créer une "familia politica", qui le sert régulièrement lors des traditionnels et récurrents repas de famille. Les commentaires de belle maman y sont dilués dans le goût de la bonne chère et avec un peu de chance on rentre le soir avec un Tupperware assurant le midi pour le reste de la semaine à venir. En dépit de ces précieuses réserves, tu ne manqueras pas, au cours de la semaine, de cuisiner des pâtes au chorizo.
Mais si : de Tirso de Molina à la Ronda de Toledo les vrais Madrilènes font aussi le Rastro ! Toi aussi, tu as appris à éviter l'avenue principale, avec ses stands de souvenirs touristiques, pour déambuler entre les boutiques retro, les galeries d'art et les stands tenus par toute une population interlope, pour dénicher la pièce rare... Ou pas : les puces ne sont, comme tant d'autres occasions de sortir dans la capitale, qu'un prétexte pour se retrouver entre amis et partager un moment convivial, de préférence sous le soleil.
Être un vrai Madrilène c'est aussi connaître l'histoire de ta ville. La plus ancienne se trouve dans tous les guides du Routard, la plus récente se transmet au contact de ceux qui l'ont vécue. 23F, 11M, 15M : ces sigles n'ont plus de mystère pour toi, pas plus que ceux qui font référence à une autre histoire, géographiquement plus éloignée mais dans toutes les bouches ces derniers mois : 9N, 1O, 21D... De la tentative de coup d'Etat de Tejero au mouvement des Indignés, d'un référendum illégal à un autre, l'histoire à Madrid se vit avec passion, desespoir et colère. Tu peux tester au point suivant si c'est réelement ton cas.
Tu es un vrai Madrilène, voire un vrai Espagnol, quand tu commences à t'indigner contre les Anglais... à propos de Gibraltar.
Merengue, colchonero, azulón, pepinero ou bukanero, tu es tombé dans les mailles de la Liga et tu as fait ton choix, parmi les 5 clubs de la capitale qui évoluent dans l'élite (mais si, le Rayo remonte l'an prochain). Tu ne rates pas un derby et ton cœur se serre à chaque clásico. Vivre à Madrid, c'est aussi vivre au rythme du ballon rond : en réunion d'affaires, entre amis, entre inconnus, au musée ou dans le métro, le foot, c'est un sujet sérieux que les vrais Madrilènes savent évoquer avec légèreté... parfois.
Pendant le Semaine sainte ou durant le mois d'août, la capitale semble tourner au ralenti, animée seulement par quelques touristes étrangers, trop blonds pour être du crû. Où sont donc les vrais Madrilènes ? Mais avec toi, dans les embouteillages qui relient Madrid à la côte ! L'effet de masse ne fait pas peur au ressortissant de la capitale, qui s'empresse de se joindre à la première queue qu'il voit, partant de l'adage que s'il y a du monde, c'est que cela vaut la peine. Ainsi, tu as appris à aimer la foule, sur la Gran Via comme à la plage, entre Cullera et Benidorm. C'est désormais sans surprise que tu inities, pendant tes vacances en province, la conversation avec la population locale : des Madrilènes venus, le temps d'un été, faire croître la densité de l'Espagne rurale. L'occasion d'évoquer la vie de quartier, d'échanger les bonnes adresses où déguster le cocido, de comparer les mérites de la Mahou et de la Cibeles, de Griezmann et de Ronaldo : bref, les vacances !