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Élection de Karol Nawrocki : quid des irrégularités dans le dépouillement et impact

Lundi 2 juin, à 10h, la commission électorale annonçait la victoire de Karol Nawrocki, face à Rafał Trzaskowski. Le duel était en effet serré : 10.606.877 voix pour Karol Nawrocki contre 10.237.286 voix pour Rafał Trzaskowski. Cependant, de nombreuses erreurs dans le comptage des voix au sein d’au moins 9 commissions électorales, ont été signalées à travers le pays. Le Premier ministre polonais Donald Tusk demande à la Cour suprême polonaise (Sąd Najwyższy - SN) un recomptage national des voix, sur fond de soupçon de fraude. Analyse, réactions de la classe politique et conséquences sur les prochaines semaines.

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© Bénédicte MEZEIX-RYTWIŃSKI
Écrit par Johan Andreu
Publié le 25 juin 2025, mis à jour le 26 juin 2025

 

La Cour suprême, juge électoral polonais

La Cour suprême (Sąd Najwyższy - SN) polonaise est l’instance juridique suprême en Pologne. A travers son organe, la chambre de contrôle extraordinaire des affaires publiques (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych - IKNiSP), elle examine la validité des élections

La Cour a jusqu’au 2 juillet 2025 pour se prononcer sur la validité de l’élection présidentielle - et confirmer ou non l’élection de Karol Nawrocki à la tête du pays.

 

La IKNiSP a été créé en 2017 sous le gouvernement Morawiecki, PiS - parti Droit et Justice, dans le contexte d’une réforme plus large du système judiciaire polonais. La chambre de contrôle extraordinaire des affaires publiques (IKNiSP) est chargée de répondre aux questions relatives aux élections et aux référendums ; plus largement, elle peut aussi traiter du départ à la retraite des juges, de la concurrence, des infrastructures et des télécommunications

 

Elle est aujourd’hui dirigée par le juge de la Cour suprême Krzysztof Wiak, nommé par le président de la République de Pologne, Andrzej Duda  en 2018.

 

La chambre de contrôle extraordinaire des affaires publiques - un organe non indépendant pour statuer sur la validité du résultat de l'élection ?

La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) située à Strasbourg, en France, et la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) se trouvant à Luxembourg, capitale du Luxembourg, ne reconnaissent pas la IKNiSP.

 

Pour preuve, dans l’arrêt du 21 décembre 2021, la CJUE refuse de traiter un renvoi préjudiciel de la IKNiSP considérant que la chambre de contrôle extraordinaire des affaires publiques n’est pas une « juridiction ». En effet, la CJUE considère que la IKNiSP n’est pas « un organe ayant la qualité de tribunal indépendant et impartial ». C’est une conséquence des nominations ayant eu lieu sous l’ère Morawiecki - telle celle de Krzysztof Wiak - et les départs à la retraite forcés de juges libéraux.  

 

Un renvoi préjudiciel est « une procédure permettant à une juridiction d'un État membre d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation ou la validité du droit de l'Union dans le cadre d'un litige dont elle est saisie. » (Dalloz 2020)


 

CEDH et CJUE - Co to jest ? 

La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) est un organe du Conseil de l’Europe ( qui siège à Strasbourg) qui veille au respect de la Convention Européenne des droits de l’Homme, ratifiée par la Pologne. 

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) est l’organe chargé de faire respecter le droit européen - issu des instances de l'Union européenne. Depuis l’arrêt Costa c/ Enel de 1964, le droit de l’Union Européenne prime sur le droit interne des Etats membres. Elle centralise l’interprétation du droit européen et peut prononcer des peines lourdes contre les personnes morales (entreprise, collectivité…) ou les Etats ne respectant pas la législation européenne. Ainsi, le 27 octobre 2021, la CJUE a condamné la Pologne à payer une astreinte de 1.000.000 d’euros par jour à la Commission Européenne face aux réformes du système judiciaire polonais par le PiS à partir de 2017. 

 

Le porte parole de la Cour suprême, Aleksander Stępkowski, a déclaré que la IKNiSP n’a aucune base légale en droit polonais pour organiser un recomptage national des voix, ne pouvant que demander des recomptages locaux, au cas par cas. Cette opinion a aussi été avancée par Krzysztof Wiak, président de la IKNiSP.

 

Deux juges de la Cour suprême suspendus pour avoir voulu respecter la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne 

Ce lundi 23 juin 2025, Leszek Bosek et Grzegorz Żmij ont été démis de leurs fonctions de juge à la IKNiSP, a déclaré le porte parole de la Cour suprême Aleksander Stępkowski. Ils reconnaissaient en effet la décision de la CJUE de 2023, et considéraient la chambre de contrôle extraordinaire des affaires publiques illégitime dans le contrôle du résultat des élections.

 

Aleksander Stępkowski a rappelé que la Cour suprême était soumise au pouvoir législatif, et que ses juges ne pouvaient donc pas s’opposer aux lois établies par la Diète (Sejm). 

 

Cette décision peut cependant poser la question de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir législatif et judiciaire d’une part (garanti par l’article 173 de la Constitution polonaise), et l’indépendance des juges d’autre part.  Cela témoigne en outre d'une vision légicentriste de la Cour, qui peut tendre à faire passer la norme à valeur constitutionnelle après celle issue du législateur. 

 

De nombreuses irrégularités : le résultat de l’élection remis en question ?

Les citoyens avaient jusqu’au 16 juin pour déposer leurs plaintes électorales (en polonais protesty wyborcze) . À ce jour, 50.000 plaintes ont été déposées auprès de la IKNiSP, qui, rappelons-le, n’a que jusqu’au 2 juillet pour toutes les traiter et donner son avis sur la validité des élections.

 

Suite à ce nombre élevé de demandes, la Cour a déjà ordonné des recomptages dans 13 circonscriptions. 

10 circonscriptions ont déjà été décomptées, par des commissions électorales des communes de Cracovie, Tarnów, Katowice, Strzelce Opolskie, Mińsk Mazowiecki, Olesno, Grudziądz, Kamienna Góra, Wieniec (commune Brześć Kujawski) et Gdańsk.

 

Quid des irrégularités ?

Dans 9 cas sur 10, des irrégularités ont été constatées, poussant parfois à une inversion du résultat, selon TVN24.

Dans la commission électorale du district n°6 de Kamienna Gora, des votes en faveur de Rafal Trzaskowski ont été retrouvés dans le paquet de Karol Nawrocki. 

Dans 6 autres commissions sur les 10 examinées, une erreur dans l'inscription dans le décompte des votes a eu lieu conduisant à une inversion des résultats, amenant une fausse victoire de Karol Nawrocki. 

 

C’est le cas dans les commissions électorales du district n°95 de Cracovie, du district n° 17 à Gdansk, du district n°3 d’Olesno, du district n° 9 de Strzelce Opolskie, du district n° 25 de Grudziądz, du district n° 4 de Brześć Kujawski et du district n° 13 de Mińsk Mazowiecki.

 

La Koalicja Obywatelska (Coalition civique - KO) à la tête du gouvernement dénonce une fraude électorale

Le gouvernement Tusk au pouvoir, réunissant les membres de la Plate-forme civique (Platforma Obywatelska - PO) ainsi que les membres de la Coalition Civique (Koalicja Obywatelska - KO, la coalition gouvernementale autour de PO), a émis de vives protestations, craignant que les erreurs lors du comptage des voix ne se limite pas qu’à quelques bureaux de vote. 

L’écart très faible entre les deux candidats ne se résume qu’à quelques centaines de milliers de votes qui, s’ils avaient été mal attribués, suffiraient à changer le résultat de l’élection. KO milite donc pour un recomptage à l’échelle nationale des voix. 

 

Face au refus de la Cour suprême - qui bien que soumise au pouvoir législatif l’est avant tout au pouvoir constitutionnel - Donald Tusk a cité un passage de la Constitution sur X : 

 

« La Constitution :

«  L’électeur a le droit d’introduire auprès de la Cour suprême un recours contre la validité de l’élection du Président. »

Il est du devoir de la Cour d’examiner chaque recours et de recompter les voix dans chaque cas soulevant des doutes. Point final. »

 

 

On peut souligner que Rafał Trzaskowski, le candidat malheureux de l’élection du 1er juin, est resté silencieux sur les accusations de fraude. 

 

Des comités électoraux « fantômes » pour brouiller les votes ? 

Relayées notamment par la députée européenne Joanna Scheuring-Wielgus (Lewica), des craintes résident dans l’existence de « comités fantômes ». En effet, 44 comités électoraux ont été enregistrés par la commission électorale nationale (Państwowa Komisja Wyborcza - PKW). Cependant, la plupart d’entre eux ne présenteraient que des candidats fantoches. L’eurodéputée craint ainsi une infiltration de militants du PiS dans les commissions électorales, entraînant une possible falsification des résultats.

 

Le premier ministre Donald Tusk a attaqué violemment Nawrocki sur X le 21 juin 2025 dans un post devenu viral : 

 

« Messieurs @AndrzejDuda, @NawrockiKn et @OficjalnyJK, vous n’êtes pas, tout simplement, humainement curieux de connaître les véritables résultats du vote ? Bien sûr que si. Et comme on le sait, ceux qui sont honnêtes n’ont rien à craindre. »

 

 

Les comités électoraux au cœur des élections

Dans le système électoral polonais, les comités élecotraux polonais sont « une équipe de personnes agissant au nom d’un candidat auprès des organismes de l’autorité publique. Il exerce des activités électorales au nom des partis politiques et des électeurs. » (Główny Urząd Statystyczny).

Ils peuvent être particulièrement présents dans les bureaux de vote et lors des dépouillements.

 


Témoignage : être assesseur aux élections locales polonaises !

 

 

Roman Giertych (KO) et la contestation du résultat des élections : un combat personnel

Roman Giertych, membre de la Diète (Sejm), le parlement polonais, en a fait son combat principal sur les réseaux sociaux. 

 

« Les partisans du PiS, au cours des dernières 48 heures – alors qu’il est apparu que des fraudes électorales avaient été commises en leur faveur dans 11 des 13 commissions vérifiées, et qu’aujourd’hui plus de 50 % des Polonais ayant une opinion sur le sujet demandent un recomptage des voix – ont déclaré que :

  • une révolution allait éclater,
     
  • l’armée se rangerait de leur côté,
     
  • les gens descendraient dans la rue le 6 août,
     
  • je devrais fermer ma gu**le sous peine de prison à perpétuité pour guerre hybride contre l’État polonais,
     
  • Tusk aurait rejoint une secte.
     

Et nous, tout ce que nous voulons, c’est un recomptage transparent des voix, sous l’œil des caméras. Nous déclarons même que si aucun cas de fraude massive n’est détecté, nous accepterons la présidence de Nawrocki.

De quoi ont-ils si terriblement peur ? De la vérité ? »

 

 

Le député a appelé les Polonais a émettre des plaintes en masse, proposant un modèle prérempli pour faciliter leur travail

 

La réponse du Président Andrzej Duda aux accusation du Premier ministre Donald Tusk

Le Président de la République de Pologne Andrzej Duda a répondu sèchement à ces accusations de fraude sur X. Il interppelle Donald Tusk, l’invitant à reconnaître sa défaite.  

 

« M. Donald Tusk et ses collègues n’acceptent pas leur défaite à l’élection présidentielle.
Messieurs ! Le problème ne réside ni dans les élections, ni dans la décision des électeurs (car elle est claire – 370.000 voix d’écart, soit l’équivalent d’une grande ville polonaise), mais plutôt dans votre mentalité. Vous considérez que vous devez gagner, un point c’est tout ! Ce que vous faites actuellement, ce n’est rien d’autre que taper du pied comme un enfant capricieux. Vous avez placé vos gens et vos assesseurs dans toutes les commissions électorales pour représenter les partis de votre coalition. Vous avez désigné vos membres à la Commission électorale nationale. Les instituts de sondage engagés par des médias favorables à votre candidat ont mené des enquêtes. Et alors ?!? Tout le monde a menti ? Tous ont triché ? Vos propres gens auraient mal compté les voix pour que vous perdiez ?

Non, Monsieur le Premier ministre. Je ne suis pas curieux des résultats de l’élection présidentielle, car je les connais. Ils ont été officiellement annoncés par la Commission électorale nationale. Je connais ces résultats comme tous les Polonais et comme les responsables politiques du monde entier qui ont adressé leurs félicitations au Président élu Karol Nawrocki.
Je vais d’ailleurs répéter le conseil que je vous ai déjà donné en tant que garant de la sécurité de l’État et de la continuité du pouvoir : tenez-vous à l’écart des bulletins de vote de l’élection présidentielle ! Je n’ai pas le moindre doute qu’il ne faut absolument pas vous laisser ne serait-ce qu’y toucher. Cette affaire relève de la compétence de la Cour suprême et de la Commission électorale nationale. De la même chambre de la Cour suprême qui a validé les résultats des élections grâce auxquels vous gouvernez actuellement la Pologne. De celle même grâce à laquelle vous êtes devenu Premier ministre.
Cessez, vous et vos collègues, les provocations, les mensonges et les pressions. Cela ne sert ni la Pologne ni le sentiment de sécurité de nos concitoyens. Il faut savoir perdre avec dignité et respecter les règles de la démocratie.
 »

 

 

Les conservateurs serrent les rangs et s’accrochent à la victoire 

Dans cette idée, Karol Nawrocki a publié sur son compte X un message célébrant la victoire, ce samedi 21 juin, comme une réponse à Donald Tusk.

 

« Le 1er juin, la Pologne a gagné. Ensemble, nous avons marché vers la victoire, et aujourd’hui, nous avons célébré notre succès commun à Pułtusk. »

[...]

 

 

Plus largement, les représentants des partis conservateurs relativisent le nombre de failles électorales remarquées jusqu’à lors. Ainsi, dans « seulement » 7 commissions sur plus de 32.000, les résultats ont été inversés. Il est souvent rappelé qu’il faut faire une distinction entre une erreur fortuite et une fraude, ce qui n’est pas avéré jusqu’à lors.

 

Des milliers de protestations électorales sur la touche, comment avoir la confiance des citoyens dans ce chaos ?

Roman Giertych a été particulièrement attaqué, certains députés sous-entendant qu’il jouait la montre dans l’affaire Polnord - dont il est pourtant sorti blanchi au matin de ce 24 juin 2025. 

 

La première présidente de la Cour suprême, Małgorzata Manowska, en particulier, a déclaré que près de « 90% » des protestations électorales sur les 50.000 émises seraient en fait des “giertychowki” (néologisme ironique à partir de du nom de Giertych). 

Małgorzata Manowska évoquait alors des copies d’un modèle fourni par le député Roman Giertych. 

Elle a précisé à Radio ZET que plusieurs milliers de contestations ne seraient ainsi pas examinées par le IKNiSP du fait de « vices de forme ». D’après elle, certains n’auraient même pas saisi leur numéro PESEL (numéro figurant sur les documents d’identité polonais). 

 

En réponse, Roman Giertych a déclaré qu’il déposerait une plainte. Affaire à suivre… 

 

« La Cour suprême refuse de transmettre les protestations des citoyens au Procureur général, bien que les dispositions légales lui donnent le droit d’exprimer un avis à leur sujet.

Une fois de plus, ils veulent cacher des informations sur les magouilles. Ce n’est pas une véritable chambre, ce sont de simples imposteurs qui ont volé les toges des juges de la Cour suprême. »

 



La société polonaise polarisée à l’image de ses représentants politiques… quid du 6 août

D’après un sondage réalisé en début de semaine par le SW research pour le compte de rp.pl, près d’un Polonais sur deux se prononcerait un faveur d’un recomptage des voix à l’échelle nationale. 

 

49,1% des répondants se déclarent en faveur d’un recomptage, 38,9% sont contre, et 12% sans avis. 

 

Ceci révèle une vraie fracture au sein de l’opinion Polonaise. En effet, les caractéristiques sociales des répondants (lieux de vie, genre, niveau de diplôme) correspondent globalement à la répartition des électeurs entre Karol Nawrocki et Rafal Trzaskowski.

 

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