Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 7
  • 0

Martin Kámen : « Je pense que s’il y a un Dieu, il est définitivement queer »

Depuis le premier juin nous sommes entrés dans le mois des fiertés qui prône la diversité et la tolérance autour de la communauté LGBTQ+. À cette occasion, La Base Culture - Maison des francophonies de Valencia organise l’exposition QueerDieu du photographe tchèque Martin Kámen. Vernissage prévu le 23 juin.

Martin KámenMartin Kámen
Martin Kámen. Photo : Adéla Havelková
Écrit par Pierre-Nicolas Chambefort
Publié le 6 juin 2023, mis à jour le 17 octobre 2023

Nous sommes allés à la rencontre de l’artiste Martin Kámen pour comprendre quelle était sa vision de l’art et de la communauté queer.

Je me décris comme un “queer art-iviste”, cela couvre toutes les facettes de ma personnalité.

affiche avec une photo d'un homme nu et des fleurs pour l'exposition QueerDieu de Martin Kaven à La Base Culture de Valencia

 

Bonjour Martin, nous sommes ravis de vous accueillir pour cette interview. On va revenir sur votre parcours, vos partis pris artistiques et cette prochaine exposition QueerDieu qui se tiendra à La Base Culture le 23 juin. Comment êtes-vous entré dans le monde de l’art ? 

Je viens d’une famille d’artistes, donc j’ai rapidement été initié à l’art, dès l’âge de 14 ans. Ensuite, j’ai fait les Beaux Arts à Prague, où j’ai progressivement acquis une certaine reconnaissance. En tant qu’artiste, je n’aime pas rester bloqué et pour le bien de ma carrière, je me suis senti prêt pour un nouveau challenge. À 33 ans, je me suis dit “c’est maintenant ou jamais” et je suis parti. J’ai donc déménagé en premier à Barcelone en 2015, puis à Madrid, et maintenant je suis à Valencia. J’ai bien aimé Barcelone mais je préfère Valencia !

des hommes queer nus autour d'un philosophe en tunique blanche
L'école de Platon / Martin Kámen

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre exposition QueerDieu ? 

Ce sera ma première exposition seul, ici à Valencia, même si j’ai déjà fait des expositions collectives, notamment ce mois-ci. Je l’ai conçue comme une rétrospective du meilleur de mes anciennes expositions. Surtout, l’exposition QueerDieu a lieu pendant le mois de la fierté LGBT à Valencia, la veille de la grande parade, et j’ai donc spécifiquement choisi les œuvres les plus queers de mon travail. 

Mon objectif est de connecter les composantes de la communauté LGBT de la ville en dehors de la parade en elle-même. Il y aura beaucoup d'événements et expositions à ce moment-là. J’aime travailler sur des sujets variés autour de thématiques différentes, plutôt conceptuelles, mais étant moi-même queer la plupart de mon art est aussi queer. D’ailleurs, le nom de l’expo, QueerDieu, vient du fait que Dieu est un des seuls mots français que je connaisse ! Et parce que je pense que s’il y a un Dieu, il est définitivement queer.

Mon art est très lié à la France. Ce pays est une source d’inspiration constante pour moi.

Comment avez vous connu La Base Culture ? Avez-vous un lien particulier avec la francophonie ? 

J’ai découvert La Base Culture grâce à un ami chorégraphe et danseur avec qui j’ai rapidement commencé à faire des projets. On est un jour allés à l’un des évènements de La Base dans la Turia et j’ai adoré. Depuis, je suis l’actualité de l’endroit avec beaucoup d'intérêt. Le portrait du chorégraphe et danseur Mikael Fau Même si je ne parle pas français (j’adorerais, mais il faut d’abord que j’améliore mon espagnol !), je pense que mon art est très lié à la France. Ce pays est une source d’inspiration constante pour moi, à travers l’histoire de l’art que j’ai étudiée, et tous les chefs d'œuvres qui se trouvent à Paris. Il y a toujours eu des liens étroits entre la France et la République Tchèque au niveau artistique. De très nombreux artistes tchèques ont émigré en France et sont même devenus célèbres comme František Kupka ou Toyen. Donc il y a définitivement un lien très fort, oui. 

des personnes queer habillées en noir dans un cimetière
Disappointment of paradise / Martin Kámen

Vous avez prévu quelque chose pour le vernissage du 23 juin à La Base Culture ? 

Oui, il devrait y avoir une performance mais je ne peux pas en dire plus, ce sera une surprise. 

Votre oeuvre est clairement militante, vous mettez en valeur la diversité et la communauté queer. Ce choix était-il évident pour vous ? 

Je suis une personne queer mais ce n’est pas juste mon mode de vie. Je le projète dans mon travail donc cela fait de moi un artiste queer. Je ne me considère pas comme activiste, mais la situation en 2008 en République Tchèque m’a un peu forcé à être actif dans la communauté LGBT. C’était la période des premières parades, mais la situation reste toujours très inégalitaire. Nous n’avons pas les mêmes droits pour le mariage par exemple, et il n’y a jamais eu de campagne sur le VIH. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai démarré une campagne de charité où à travers l’art je souligne la problématique du VIH et la stigmatisation qui entoure les personnes séropositives. Je peux dire que je me décris comme un “queer art-iviste”, ça couvre toutes les facettes de ma personalité.  

Queer, qui signifie “étrange” ou “bizarre” en anglais, est un mot originellement péjoratif qui était utilisé pour désigner un homme homosexuel. La communauté LGBTQ+ s’est ensuite appropriée l’insulte pour retourner sa signification et lui donner une connotation positive. Aujourd’hui, elle désigne toute personne ou communauté dont l'orientation ou l'identité sexuelle ne correspond pas au modèle dominant.

Est-ce que vous pensez que l’érotisme, qui est particulièrement présent dans votre travail, est une composante majeur de la communauté queer ?

Non pas du tout. Je pense que la communauté LGBT ne peut être représentée uniquement par ses pratiques sexuelles. Toutefois, c’est une partie d’elle, au même titre que c’est une partie de la communauté hétéro. Comme artiste, je travaille avec des corps, donc j’essaye à travers eux d’aborder différents sujets. Ce n’est pas une manière superficielle de montrer des corps nus. Il y a aussi des histoires, des sujets, des concepts dans mes photos.  

une photo queer représeant les étreintes entre Pasiphaé et un homme à tête de taureau
Pasifae / Martin Kámen

Quand on découvre votre travail, on remarque que vous travaillez quasi-exclusivement avec des hommes. Pourquoi ce parti pris ? 

Il y a les réseaux sociaux d’une part et mon travail artistique de l’autre. Je travaille principalement avec les corps, mais je fais aussi d’autres projets plus conceptuels comme des performances ou des vidéos. Actuellement, je fais une collaboration avec une artiste italienne, et je collabore avec des femmes et je prends des femmes comme modèles photos. Ce qu’on voit sur mon Instagram est vraiment limité. Actuellement, personne ne regarde les sites internet, et Instagram est le portfolio des artistes du XXIème siècle. Comment cela peut-il être possible, alors même qu’il y a une censure massive sur ce réseau ?

Les artistes travaillant avec des corps ne peuvent, dans 90% des cas, pas publier leur travail sur Instagram donc ils se censurent eux-mêmes avant même le processus de création, ce qui va à l'encontre de toutes les valeurs artistiques. Je travaille aussi avec des femmes mais ce n’est pas encore visible.     

Je n’avais aucun modèle auquel m’identifier pour grandir avec confiance et me construire en tant qu’individu gay ou queer. J’ai donc dû en trouver par moi-même et l’unique source que j’avais était l’art et son histoire. 

On retrouve dans votre travail une esthétique qui convoque des références historiques et divines. On pense notamment à l’imaginaire de l’antiquité gréco-romaine ou aux tableaux de la Renaissance. Pourquoi ce choix, et de manière générale, quelles sont vos inspirations ?

Je fais différents types de photographies mais dans cet échantillon de mon travail que représente QueerDieu, l’inspiration vient de l’histoire de l’art. J’adore l’histoire de l’art. Je l’ai étudiée et je recommence d’ailleurs puisque je prépare une thèse. Je pense que c’est très important pour chaque artiste de connaître l’histoire, de travailler les compétences traditionnelles pour ensuite faire ce qu’il veut.  Le public se rend compte si l’artiste maîtrise les bases de son art ou non. 

Photo queer des amours entre Apollon et Hyacinthe avec le world Trade Center en arrière plan
Apollo et Hyacinthus / Martin Kámen

En ce qui concerne l’art queer, je pense que c’est encore plus important. La majorité de l’art dans l’histoire est queer et il s’agit de l’unique représentation que nous avons puisque nous avons été persécutés pendant des siècles. Nous sommes maintenant en train de construire des archives LGBT partout dans le monde pour définir notre histoire. J’ai 40 ans, et quand j’étais adolescent, l’homosexualité était totalement tabou en Republique Tchèque. Je n’avais aucun modèle auquel m’identifier pour grandir avec confiance et me construire en tant qu’individu gay ou queer. J’ai donc dû en trouver par moi-même et l’unique source que j’avais était l’art et son histoire. 

Infos pratiques :
Exposition QueerDieu à La Base Culture du 23 juin au 1er septembre.
Adresse : Calle d'Ontinyent, 8, 46008 Valencia. Metro : Angel Guimera.

Rendez-vous le 23 juin à 19h à La Base Culture pour le vernissage.

Sujets du moment

Flash infos