« Que nous disent des sociétés d’autrefois les traces qu’elles ont laissées dans le sol ? » s’interrogent les auteurs. Dans "Des chasseurs cueilleurs de l’an -36 000 à Heian à l’an mille" toute l’histoire ancienne du Japon est revisitée en un seul volume.
Après avoir fait le tour d’Europe et du Moyen-Orient, la collection « Mondes anciens » chez Belin-éditeurs vient de publier un ouvrage sur le pays du Soleil-Levant. La rédaction en a été confiée à Laurent Nespoulous, archéologue, dirigeant le département d’études japonaises de l’Inalco et à Pierre-Francois Souryi, historien, professeur honoraire de l'université de Genève et auteur de plusieurs livres sur le Japon.
Les progrès récents de l’archéologie ont bousculé beaucoup de mythes historiques, le Japon ne fait pas exception à la règle. L’ouvrage examine au prisme des résultats de recherche des vestiges, les étapes fondatrices et les héros du roman national nippon.
Qui furent les premiers hommes à peupler le Japon ?
Quand et comment le pays des Wa est devenu Nihon ?
À quelles organisations sociales correspondent les périodes Jōmon, Yayoi ou Kofun ?
Qui était la reine Himiko et quelles furent réellement les réformes du prince Shōtoku ?
Un autre modèle de développement civilisationnel
La préhistoire japonaise est déroutante pour un Occidental, tant elle remet en question notre modèle civilisationnel. On a tous en tête, les chasseurs-cueilleurs nomades, qui avec la sédentarisation passent à l’agriculture et l’élevage. Les Jômons ont pratiqué la poterie 16 000 ans avant Jésus Christ, et les habitats groupés, dans l’actuelle préfecture de Chiba, datent de plus de 30 000 ans !
« Au moins autant que chasseurs (...) ils étaient pêcheurs et maitrisaient la navigation ». En revanche, l’agriculture n’est apparue qu’au premier millénaire avant notre ère dans l’ile de Kyūshū et des siècles plus tard aux extrémités de l’archipel.
L’âge du bronze, puis deux mille ans après l’âge du fer, ont tour à tour révolutionné les sociétés en Europe. Mais « le travail du fer dans l’archipel semble être attesté archéologiquement avant celui du bronze (certes de très peu) au début du Yayoi moyen ». Pour le fer « on ne retrouve que des usages utilitaires (tête de houe de bèche armement) », alors que le bronze « ne semble avoir été employé qu’à des fins plus rituelles » ou « dans la fabrication de biens de prestiges ».
La singularité demeure pour l’Antiquité. Le monde gréco-romain est indissociable de la notion de cité. Or quand le Japon devient un état, il se dote d’un système centralisé et d’un empereur, « si la capitale est indubitablement une ville, elle est la seule (hormis le port situé à l’endroit de l’actuelle Hakata, à Kyūshū) qui constitue une petite agglomération ».
Un l’archipel aux marges de l’Asie du Nord-Est
En fil rouge, les auteurs nous invitent également à une réflexion sur les territoires et leurs marges. Malgré son insularité, l’histoire du Japon est intimement liée avec celle du continent.
Les premiers habitants de l’archipel ont sans doute colonisé le territoire il y a un peu moins de 40 000 ans. La période glaciaire reliait alors les iles japonaises entre elles et au continent. Il est difficile de dater précisément car « les sols volcaniques acides qui occupent une grande part du territoire ne laissent que peu de témoins organiques des périodes très anciennes », regrettent les auteurs.
La technique de la poterie marquant le début de la période Yayoi est probablement arrivée lors de vagues migratoires il y a près de 16 000 ans.
Pour la provenance de la riziculture et la transition vers la période Yayoi, si la thèse endogène autochtone existe, elle « laisse des zones d’ombres inexpliquées ». Elle s’est plus vraisemblablement diffusée grâce aux contacts « entre l’archipel et la péninsule de Corée, mais aussi entre les différentes régions ».
Si les nécropoles Kofun, n’ont pas de pareil dans le monde, leurs sépultures sont emplies d’objets de valeurs venus du continent, notamment les miroirs Han.
Les emprunts à la Chine ont été majeurs pour le passage à l’Antiquité, avec l’écriture en sinogrammes, la religion bouddhiste, les codes civil et pénal, le plan d’architecture des capitales, jusqu’au titre d’Empereur peut être adopté afin de parler d’égal à égal avec le puissant voisin chinois.
Le Japon archaïque a d’ailleurs craint l’expansionnisme des Tang et de son allié le royaume coréen de Silla au point d’édifier de grandes forteresses, « du nord de Kyūshū jusqu’à l’actuelle région de Kobe ».
Si l’on réduit la focale, le pays a également une histoire particulière avec ses propres territoires périphériques aux extrémités de l’archipel.
L’état centralisé qui se crée au cours des 7e et 8e siècles de notre ère, ne concerne que les iles de Kyūshū, Shikoku et Honshū. Et encore, dans l’ile principale, les régions septentrionales au Nord du trente-huitième parallèle échappent à son contrôle. La présence de l’Etat se limite à des places fortes souvent en guerre contre les populations locales. Ces dernières étaient « désignées à la cour de Heian comme des Emishi, c’est-à-dire ceux qui ne font pas d’offrande aux divinités de la cour ».
L’île d’Hokkaidô, au nord et l’archipel des Ryükyü au sud, ne seront pleinement intégrés dans la souveraineté japonaise qu’à la fin du 19e siècle. Les auteurs leur consacrent un chapitre à part.
L’ouvrage, au vocabulaire parfois un peu technique, reste très plaisant à lire. Notamment grâce à de nombreuses cartes et illustrations. Il fait connaitre et comprendre l’histoire ancienne du Japon et donne ainsi au lecteur de nombreuses clefs de lecture sur la société japonaise d’aujourd’hui.