C’est dans les paisibles locaux d’Asobu, une communauté pour les créateurs de jeux indépendants de Tokyo, que Thierry Falcoz nous a invité pour discuter. Le journaliste spécialisé jeu vidéo a travaillé pour de nombreux médias français, notamment sur la chaine NOLIFE, avant de rejoindre Ubisoft puis de déménager au Japon. Sur place, il a alors lancé avec trois autres passionnés le podcast Pixel Bento, une petite pépite à écouter sans modération.
Tu es arrivé au Japon en 2018, mais tu as lancé le podcast PIXEL BENTO en 2019, c’est bien ça ?
C'est grâce à Mathieu, de Mensetsu que je me suis intéressé au monde du podcast. Mon épouse l'avait contacté avant notre arrivée dans le pays, alors qu'elle faisait de nombreuses recherches pour notre installation.
Mon ami Marc, arrivé peu de temps après moi au Japon, tenait lui-même un podcast qui s'appelait La Dev Team. Il y accueillait régulièrement des développeurs pour parler de leur boulot.
De mon côté, cela faisait longtemps que je brûlais d'envie de parler à nouveau de jeux vidéos. On s'est donc rapidement entendu avec lui et deux autres amis, Nicolas et Axel, pour créer notre propre podcast sur ce thème: PIXEL BENTO.
Avant de lancer le podcast, tu faisais quoi ?
Mon épouse et moi on a décidé de s'installer au Japon pour changer de vie. Elle avait fait ses études hors de France, en Allemagne, elle avait vécu en Belgique… mais moi je n'avais jamais vraiment vécu à l'étranger, même si j’avais beaucoup voyagé. Du coup au début j’avais une petite réticence à m'imaginer ailleurs, loin de ma famille et de mes amis.
Mais on s'est dit que c'était maintenant ou jamais !
Comme on avait voyagé au Japon deux fois et qu’on avait tous les deux adoré le pays, on s'est dit "OK pourquoi pas le Japon".
Comme je le disais, mon épouse a fait énormément de recherches pour notre éventuelle installation et elle a fini par trouver un très bon boulot ici. Nous avons donc lâché nos entreprises respectives et nous sommes venus vivre à Tokyo.
La première chose que j'ai faite en arrivant c'était de me concentrer sur l'apprentissage de la langue ! Certes, j'ai continué à faire des petites missions de consulting pour Ubisoft, et on m’a aussi contacté pour écrire des livres sur le jeu vidéo, mais j'ai dit non. Les sujets m'intéressaient, mais je voulais vraiment me concentrer sur le japonais.
Le podcast est arrivé un peu après. Dans un premier temps ce n’était pas une démarche professionnelle, l'idée était simplement de parler de jeux vidéo entre amis. Aujourd'hui l'audience grossit doucement, mais PIXEL BENTO reste encore un petit podcast que l'on enregistre sur notre temps libre.
Quel est l'intérêt du podcast par rapport à d’autres médias ?
Lorsque je travaillais à Nolife ou à GameOne, le montage et la technique m'ont toujours plu. J’ai retrouvé ça avec le podcast. Cette possibilité de rythmer un petit peu ta voix, le travail sur l'habillage sonore aussi.
Ensuite ce que j'aime beaucoup c'est que le podcast peut s'écouter partout et ça c'est très agréable. J'aime bien cette façon de consommer de la culture et du contenu qui ne nécessite pas une attention pleine.
Et puis j'aime beaucoup l'échange. Le fait d'être autour d'une table et de pouvoir discuter avec des amis qui ont parfois des opinions différentes. L'écriture est un exercice beaucoup plus solitaire !
Vous laissez une place à l'improvisation dans Pixel Bento ?
Oui, PIXEL BENTO c’est de la conversation. On a la partie “Matsu” qui est une discussion sur un sujet qui va nous parler à tous. On essaie de trouver un thème sur lequel on a envie de creuser un petit peu. Ensuite on a la partie “Take” : chacun d'entre nous aborde alors en solo d'un sujet qui lui tient à cœur. Dans la partie “Ume” on propose souvent des choses plus légères et courtes, on teste nos connaissances avec des blind tests, etc.
Comment choisissez-vous les thèmes abordés dans le podcast ?
On parle évidemment de gros événements comme le TGS (Tokyo Game Show) ou le Bit Summit sur lesquels on essaye d’être le plus réactif possible et que l’on propose en épisodes “hors-série”.
Pour le contenu plus classique, cela dépend. On surveille les sorties des jeux, des événements du monde du jeu vidéo. Il y a des thématiques qui émergent d'elles-mêmes, liées à ces actualités. Par exemple suite à la sortie et à l'immense succès du jeu vidéo Elden Ring on a proposé un épisode sur la notion d'open world (monde ouvert).
Le fait que nous vivions tous les trois au Japon est quelque chose qui, je pense, enrichit un petit peu le podcast et lui donne un ton particulier. On essaie d'injecter au maximum ce que nous observons dans notre vie de tous les jours dans nos conversations.
Par exemple, comment la sortie du dernier film des studios Ghibli est vécue ici ? Quels sont les chiffres du box-office japonais ? Comment s'est déroulée la campagne marketing du film ? On donne comme ça un peu de contexte à ceux qui ne l'ont pas forcément depuis la France.
Est-ce qu'il y a des sujets que vous vous interdisez d'aborder ?
Il y a forcément des sujets qui ne vont pas intéresser l’un d'entre nous et donc là il faut qu’on réfléchisse comment le caser... ou non.
Ensuite on se refuse de traiter certains sujets dans lesquels nous serions professionnellement impliqués. Par exemple, si l’un de nous bosse sur un jeu vidéo, on ne va pas parler de ce jeu dans le podcast. Sinon non, on ne s'interdit rien.
Quels sont tes projets à venir ?
Le podcast est diffusé une fois par mois. Le temps qu’on enregistre, que l’on monte, l'épisode est diffusé deux ou trois semaines plus tard. Du coup on a toujours un gros décalage entre le moment du tournage et la diffusion. J'éprouve parfois le besoin d'être plus réactif, par exemple de parler d'une exposition que j'aurai vue le soir même ou le lendemain de ma visite. Je pense que c'est plus facile à faire en passant par un format plus personnel et écrit.
Sur le long terme, j'aimerais pouvoir me consacrer à 100% à l'écriture. Les éditeurs qui m'avaient proposé de faire un livre lors de mon arrivée au Japon m’ont recontacté justement au moment où je songeais à me reconcentrer sur une activité d’écriture. Je travaille donc actuellement dessus.
Via une collègue de mon épouse, j’ai rencontré un ancien journaliste qui avait lancé sa newsletter sur Substack. Cela m’a tout de suite intéressé, j'ai creusé un petit peu et j'ai donc décidé de lancer ma propre newsletter sur cette plateforme en parallèle de l'écriture du livre !
Tu as une certaine autorité en France pour parler de jeux vidéos. Comment fais-tu pour te renouveler quand tu abordes ce sujet ?
La conversation ! Je discute avec beaucoup de gens qui travaillent dans le monde du jeu vidéo et qui viennent de tous les horizons, de tous les âges et de toutes les cultures. En l'occurrence, en vivant au Japon, j'ai une perception qui est beaucoup plus internationale que celle que j'avais en étant en France. Et puis je suis quelqu'un d'assez curieux, j'aime beaucoup le débat, pour le coup je suis très français là-dessus.
La société évolue à toute vitesse et je pense qu'il faut sans cesse se remettre en question. J’avoue que les nouvelles technologies sont terrifiantes, mais amènent des conversations qui sont passionnantes.
Tu disais dans un de tes derniers podcasts que pas mal de jeunes créateurs indépendants étrangers s’installaient au Japon.
Je pense que le Japon est une terre d'inspiration formidable et qui va avoir besoin de main-d’œuvre étrangère parce que c'est un pays qui vieillit. Les Japonais ont un grand besoin de s'ouvrir, de se réinventer en termes de process, de conditions de travail, etc. Le fait “d'injecter” des étrangers dans leurs studios, je pense que c'est quelque chose qui ne peut être que bénéfique.
Après la plupart des personnes avec qui je discute ici me font des retours d’expérience professionnelle pas terribles, beaucoup préfèrent devenir indépendants ou décident de monter leur propre studio. Heureusement il y a aussi de jeunes studios japonais qui se montent et qui partent sur des bases beaucoup plus saines.
Mais je crois que ce n’est pas le pays idéal pour les jeunes créatifs. Quand tu viens ici et que tu as très peu d'argent ou très peu d'expérience, c'est très très difficile. La vie coûte cher, le cours du yen est si bas.
C'est idéal en termes d'inspiration et, oui, c'est un pays où l'on se sent bien la plupart du temps, mais je crois qu'il convient mieux aux personnes déjà plus "installées" dans leur vie. Il y a plein de pays en Europe qui sont beaucoup plus propices au développement de studios, au Japon c’est encore un peu difficile.
Pour de jeunes créateurs français qui voudraient réseauter ici, que conseilles-tu ?
Asobu ! C’est un lieu de rencontres. Tu peux y bosser sur ton jeu, sur tes bouquins, sur tes articles… tout le monde se retrouve ici pour échanger et essaye de s’entraider.
Ensuite tu as des événements comme le Bit Summit qui sont juste formidables. À Kyoto la scène indépendante est encore plus riche qu’à Tokyo.
Il y a beaucoup plus de gens qui parlent anglais au Bit Summit, donc si tu viens d'arriver et que la langue japonaise te pose problème, les tout petits événements indépendants de Tokyo ne sont pas forcément l'idéal.
Un grand merci à Thierry pour cet échange qui reflète bien la convivialité de son podcast. Nous l'avons laissé terminer la rédaction sa dernière newsletter consacrée à Akira dans les locaux d'Asobu.
Vous pouvez suivre ses aventures littéraires sur son Substack et les nouveautés pop culture et jeu vidéo japonais avec le podcast Pixel Bento.