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Des bonbons ou un sort !

halloween en Francehalloween en France
Écrit par Justine Hugues
Publié le 31 octobre 2018, mis à jour le 31 octobre 2018

Moi menacée d’être transformée en crapaud par des enfants déguisés en vampires et avides de friandises ? Même pas peur ! Si outre-Atlantique, la citrouille se prend (un peu trop) au sérieux, sa consœur française fait grise mine. Retour sur les origines et les enjeux d’une fête celtique millénaire, qui bat des records de popularité aux Etats-Unis mais semble avoir lassé les foules en Hexagone.

 

Fêterez-vous Halloween ce soir ? Aie. Je sens déjà votre orgueil de Français piqué au vif. Encore une supercherie de l’impérialisme américain, du pain béni pour les grandes surfaces qui voient ce jour-là exploser leurs ventes de bonbons, objets de décoration et déguisements. Tout ça pour une tradition tellement éloignée de notre héritage culturel… Détrompez vous, Halloween est née pas très loin de chez nous, en Irlande.

 

A l’origine, des navets éclairés pour chasser les esprits maléfiques

Faisons un grand bond dans le passé. Nous sommes au cinquième siècle avant Jésus-Christ ; les druides celtiques fêtent chaque année la « Samain » pour célébrer la fin des récoltes et du calendrier. Rite de passage à la nouvelle année, cette fête est aussi un pont entre le monde des vivants et celui des morts. Les esprits maléfiques pouvant sévir en nombre, on porte des masques effrayants, afin d’être pris pour l’un des leurs ; on allume également de grands feux et des lanternes pour les faire fuir. On dit de ces lanternes, creusées dans des navets, qu’elles étaient aussi utilisées par des quémandeurs se déplaçant de maison en maison, pour demander de la nourriture en guise de prière pour les morts. Plusieurs siècles plus tard, le christianisme s’en empare, déclarant la tradition païenne. Le Pape Boniface IV décide en 610 de fixer la fête de tous les saints à la même période.

La tradition restant néanmoins vivace en terres celtiques, au XIX e siècle, croyances et célébrations sont embarquées dans les valises de centaines de milliers d’Irlandais fuyant la famine et arrivent…aux Etats-Unis. Avec le temps, les traditions irlandaises d’Halloween (terme dérivé de "all hallows eve ", soit la veille de la nuit de tous les saints) se mélangent aux célébrations d’immigrants venus de Grande-Bretagne, d’Allemagne mais aussi d’Afrique et d’autres parties du monde. La citrouille quant à elle, abondante aux Etats-Unis et plus facile à évider et sculpter, déloge assez rapidement le navet.

 

Un business monstrueux aux Etats-Unis

Au XX e siècle, Halloween se popularise progressivement outre-Atlantique à tel point qu’aujourd’hui, les dépenses et comportements des ménages nord-américains pendant cette période de l’année semblent avoir perdu tout sens de la mesure. On table sur un budget des festivités de neuf milliards de dollars en 2018, équivalent à celui de l'an dernier. En moyenne, 60% de la population prend part aux célébrations et 300 millions de kilos de bonbons sont achetés chaque année pour l’occasion. La parade de New-York voit défiler quelque 50.000 personnes déguisées le long de sa sixième avenue tandis que le carnaval californien d’Hollywood ouest attire près de 500.000 participants. Selon un sondage de la National Confectionners Association réalisé en 2014 et publié dans une infographie de 20 minutes, un quart des Américains déclaraient déguiser leur animal de compagnie pour l’occasion. Des chiens en chiens-chauds : l’image est tout à fait loufoque.

Reflet de l’intérêt porté au plus haut sommet de l’Etat pour les défilés de citrouilles, le Président américain lui même reçoit chaque année une délégation d’enfants déguisés. D'après le New York Times, une pétition a été mise en ligne récemment, réclamant que la date d'Halloween soit déplacée (à la différence de la France, le 1er novembre n'est pas férié outre Atlantique, ce qui semble poser des problèmes à de nombreux parents nord américains). Initiée par la «  Halloween & Costume Association  », elle est adressée directement à Donald Trump et compte déjà près de 25 000 signatures.

 

En France, un succès mitigé

Bien que des traditions telles que la « nuit des betteraves grimaçantes » en Moselle ou la « fête des calendes de l’hiver » en Bretagne aient été maintenues depuis des siècles, l’expansion commerciale d’Halloween à grande échelle est relativement récente dans l’Hexagone. La paternité du phénomène est débattue mais souvent attribuée à l’opérateur téléphonique Orange et le lancement, en 1997, de son téléphone portable de couleur orange baptisé « Olaween ». Cette importante campagne publicitaire, au cours de laquelle 8000 citrouilles avaient été distribuées au Trocadéro, a donné le la à de vastes opérations marketing de grandes marques américaines (Coca-Cola, McDonald’s) et dopé les ventes d’octobre des grandes surfaces et confiseurs français. La machine s’emballe tant qu’en 1999, selon le Huffington Post, le chiffre d’affaires des ventes liées à Halloween a dépassé celui des ventes de Noël.

Mais l’aspect commercial de la fête a tôt fait d’effrayer les Français et depuis, l’enthousiasme est bel et bien retombé. Un sondage publié dans Le Parisien en 2016 révélait que seulement 3 Français sur 10 célébraient Halloween. Une étude publiée par Le Figaro l'année suivante montrait que moins de la moitié des foyers étaient décorés à cette occasion. 

Le rejet du caractère purement commercial de la chose explique en partie le moindre succès des citrouilles lanternes en France. Cependant, on peut aussi l’attribuer à des valeurs traditionnelles différentes. Si dans beaucoup de pays du monde, la mort et les esprits sont publiquement fêtés voire tournés en dérision, ils restent en Hexagone souvent confinés dans le périmètre des églises et cimetières. Enfin, pour des raisons pratico-pratiques, dans nos villes où le modèle pavillonnaire américain n’est pas la norme et le porte à porte souvent vu comme l’apanage des Témoins de Jéhova ou des pompiers et facteurs pour les étrennes, nos bambins se trouvent bien souvent désemparés. Et les digicodes de protéger d’une éventuelle intrusion ces Parisiens qui n’ont nullement l’intention d’acheter des bonbons…

 

 

Justine Hugues
Publié le 31 octobre 2018, mis à jour le 31 octobre 2018