De son Maroc natal à sa retraite à Singapour, Jean Michel Bardin est une personne pleine de ressources, dotée d’un talent artistique indéniable et bénévole pour une association locale d’aide aux devoirs pour les enfants.
Lepetitjournal.com : Jean-Michel, tu nous rejoins dans l’équipe de rédaction de l'édition singapourienne de Lepetitjournal.com. Tu es un spécimen assez rare. Alors que les retraités français à l’étranger vont plutôt au Portugal, au Maroc, ou en Thaïlande, tu as choisi Singapour. Alors pourquoi ici ?
Jean-Michel Bardin : C'est une longue histoire qui commence au Maroc, le pays où je suis né et où j'ai passé ma jeunesse. Quand j'ai rejoint la France à 14 ans, j'ai été assez déçu par mon pays de nationalité. Il faut dire que j'ai atterri à Limoges, dont la froideur du climat et des habitants m'a vite fait comprendre l'origine du verbe "limoger".
J'ai commencé ma carrière au ministère de l'intérieur. En 1985 je suis parti avec quelques collègues en mission à Kuala Lumpur pour un échange d'expérience avec nos homologues malaisiens. C'était mon premier voyage en Asie. Sur le chemin du retour, nous avons passé le week-end à Singapour. Ce fut le coup de foudre ! J'ai été émerveillé par ce mélange harmonieux de jungle équatoriale et d'architecture moderne. Je me suis pris à rêver d'y vivre. Mais le ministère de l'intérieur n'était pas le meilleur employeur pour un tel projet. J'ai donc mis mon rêve dans ma poche, ou plutôt dans un coin de ma mémoire.
En 1990, j’ai rejoint la BNP. En 1999 et 2000, dans le cadre de la fusion avec Paribas, dont j'étais un des acteurs, j'ai visité à plusieurs reprises les principales implantations du groupe à l'étranger, dont Singapour. Et l'impression de ma première visite s'est répétée. En 2001, mon patron m'a fait venir dans son bureau pour me proposer d'aller travailler à.... Singapour. Je n’ai pas longtemps hésité !
Mes années professionnelles ici m’ont permis de confirmer et développer mon attrait pour ce pays et ses habitants, jusqu’à envisager de m’y retirer pour y finir ma vie.
Les formalités pour venir s’établir à Singapour sont de plus en plus strictes. Y a-t-il une procédure particulière pour s’installer ici pour sa retraite ?
Cela existe dans d’autres pays, mais pas à Singapour. Il y a des visas de longue durée pour les personnes qui ont des liens avec des Singapouriens. Mais la meilleure voie, pas forcément la plus aisée, est d’avoir le statut de PR que, sur le conseil de mes RH, j’ai demandé et obtenu dès 2003. Curieusement, ce statut n’a pas d’échéance. C’est le “reentry permit”, qui permet de revenir à Singapour sans visa, qui fait l’objet d’un renouvellement périodique. Ce renouvellement bien sûr reste de la libre appréciation des autorités singapouriennes. Cependant, s’il n’y a pas de problème particulier, il peut être obtenu en ligne en quelques jours. Rien à voir avec le renouvellement des titres de séjour en France, pour ceux qui ont eu à s’y confronter. D’une manière générale, je suis toujours admiratif de la facilité des procédures administratives à Singapour. En comparaison, la procédure annuelle des certificats de vie nécessaires pour continuer à percevoir sa retraire peut être un véritable calvaire.
Qu’est-ce qui t’attire à Singapour ?
Tout d’abord, le climat, qui permet à Singapour d’être cette cité-jardin. Les Européens ont souvent du mal à s’habituer à cette chaleur et à cette humidité. Peut-être à cause de mes origines marocaines, je préfère ce climat à celui de la France. Je n’éprouve pas le besoin d’utiliser l’air conditionné chez moi, ce qui au passage est une source d’économie significative. Je préfère la ventilation naturelle en laissant les fenêtres ouvertes. Certes cela m’a valu d’attraper deux fois la dengue. Mais j’ai constaté que l’humidité avait des effets favorables sur la peau et les voies aériennes supérieures.
Ensuite, la diversité des cultures, langages, et religions qui se côtoient. Pour qui est curieux, il y a toujours quelque chose à apprendre sur les coutumes, les cuisines, les arts des autres.
J’apprécie également le fait que la vie ne s’arrête jamais à Singapour. On peut aller manger ou faire ses courses à toute heure. Avant de prendre ma retraite, j’ai travaillé quelques années à Bruxelles. J’étais venu de Singapour avec juste mes valises et, le premier week-end, je suis allé à IKEA pour acheter quelques meubles : c’était dimanche et c’était fermé… Mais malgré cette activité incessante, la ville et les gens restent calmes, sans doute un héritage du substrat malais du pays. Lorsque je travaillais, j’allais tous les mois à Hong Kong où j’avais des équipes et j’avais remarqué quelque chose d’amusant, mais aussi révélateur : A Singapour, les personnes qui montent sur un escalier roulant ne bougent plus jusqu’à son extrémité, alors qu’à Hong Kong les personnes montent ou descendent les marches.
Enfin, je trouve d’une manière générale les Singapouriens très civilisés. Le MRT est très propre et je ne suis pas bousculé dans les transports publics. On peut se promener partout en toute quiétude à toute heure du jour et de la nuit. Deux mois avant de quitter l’Europe pour Singapour, je me suis fait voler mon portefeuille à la gare du Nord sans que je m’en aperçoive. Ici, il m’est arrivé une fois de perdre mon portefeuille ; 10’ après, je recevais un coup de téléphone de la station de MRT voisine pour me dire qu’il m’y attendait ; son contenu était intact. Il y a une conscience collective plus forte qu’en occident : cela fait la différence face à la pandémie.
Singapour passe pour être l'une des villes les plus chères du monde. Comment peut-on y vivre avec un revenu de retraité ?
Effectivement, le revenu d’un retraité n’a rien à voir avec celui d’un expatrié. Aujourd’hui, en net, je perçois environ 20% de mon salaire de COO.
En réalité, il n’y a que deux domaines incontournables où Singapour est cher : le logement et la santé. Si vous avez la chance d’avoir un partenaire singapourien de confiance, alors vous pouvez louer tout ou partie d'un logement HDB pour un prix raisonnable. Côté santé, il est bon d’avoir une assurance complémentaire en sus de la CFE. Cela coute cher (j’y consacre 20 % de mon revenu), mais cela permet de faire face à toute éventualité. De plus, avec mon statut de PR, je bénéficie de subventions pour les soins dans les établissements publics et j’ai hérité de mes années de travail ici un compte Medisave dans lequel je peux puiser pour certains actes. En compensation, la qualité de soins est très bonne.
En tant que PR, je bénéficie des mêmes avantages que les seniors singapouriens : entrées gratuites dans la plupart des musées et tarifs réduits pour de nombreuses prestations (64 SGD pour la carte mensuelle de transport qui permet de se déplacer n’importe où et n’importe quand dans Singapour, 4 SGD pour une place de cinéma aux heures creuses, …). Il y a aussi beaucoup d’événements gratuits.
Pour le reste, c’est une question de style de vie. Les transports publics sont suffisamment accessibles et efficaces pour pouvoir se passer d’une voiture : en cas de nécessité, les taxis ou Grab sont très abordables. On peut se faire couper les cheveux pour 12 SGD ou moins. Pour ma part, je préfère manger chez moi, mais les food court ou hawker centres offrent des prix qui sont parfois inferieurs au cout d’un plat préparé à la maison : mon record, 80 cents un plat généreux de beehoon. Pour l’habillement, en allant dans les quartiers populaires, on peut trouver des articles de qualité à des prix avantageux : 30 SGD pour une paire de chaussures, 10 SGD pour un T-shirt. D’une manière générale, il vaut mieux s’éloigner du centre pour faire ses courses.
Singapour est un petit pays. Ne finit-on pas par s’y ennuyer, en particulier en ces temps de Covid19 ?
En effet, la pandémie prive Singapour d’un de ses atouts : être un hub de transport avec dans un rayon de 3 heures d’avion la Malaisie, la Thaïlande, le Vietnam, le Cambodge, Bali, … Mais il y a beaucoup de choses à faire dans Singapour. Après 20 ans j’en découvre toujours de nouvelles. Il y a peu, au hasard d’une promenade, j’ai arpenté King George avenue où se trouvent encore des artisans dont les ateliers débordent sur la rue et dont les méthodes n’ont pas beaucoup évolué depuis le milieu du siècle dernier ; difficile à concilier avec notre vision moderniste de Singapour. En plus les choses changent en permanence ici. Par exemple deux restaurants français se sont ouverts ces deux derniers mois a Kampong Glam : “The White Label” et “Secret Garden”.
Quand je suis arrivé il y a 20 ans la vie culturelle était assez pauvre. Mais les choses ont bien évolué depuis. Avant la Covid, chaque soir offrait une multitude d’événements, entre lesquels il était parfois difficile de choisir. Certaines choses ont depuis migré sur le virtuel, mais ce n’est évidemment pas la même chose.
Comment occupes-tu tes journées de retraité en définitive ?
Tout d’abord, je n’ai pas de domestique, donc je m’occupe d’entretenir ma maison, sans compter les courses et la cuisine. Je pense que les ménagères mesurent bien ce que cela représente.
Ensuite, j’ai des activités artistiques. Je fais partie du Singapore Symphony Choir. J’ai participé aux productions d’Aida et de Carmen avec le chœur du Singapore Lyric Orchestra. Il y a un an, c’était la Bohême à l’Esplanade, juste avant la pandémie. Depuis c’est plus compliqué et moins gratifiant, avec des répétitions via zoom et des concerts virtuels. J’ai fait aussi mes débuts au théâtre le mois dernier dans Trilby.
Dans le cadre de l’association RSVP, je passe deux à trois demi-journées par semaine dans des écoles primaires pour aider des élèves qui sont issus de familles défavorisées et qui ont des problèmes dans certaines matières et souvent de comportement (dyslexie, hyperactivité, dépression). C’est parfois épuisant, mais aussi gratifiant quand un élève parvient finalement à bout d’une tâche qu’il ne pensait pas pouvoir accomplir.
Je fais aussi du sport (jogging ou natation) pour m’entretenir physiquement. J’apprends le chinois et le malais pour maintenir mon agilité intellectuelle.
Au bout du compte, je n’arrive pas à faire tout ce que je voudrais, J’ai des livres qui trainent sur ma table de nuit depuis un moment. Le fait de m’être porté volontaire pour contribuer au Petit Journal ne va rien arranger, mais qu’importe ! On doit contribuer de manière variée à la société dans laquelle on vit.