Avec une carrière prolifique dans l’agroalimentaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et une appétence pour la formation et le développement personnel, Reda Bouraoui s’est forgé une solide réputation dans le leadership entrepreneurial.
Lepetitjournal.com : En sortant de SKEMA, vous faites vos débuts chez Mars en France. Pourquoi ce choix ?
Reda Bouraoui : J’ai eu pas mal d’offres au sortir de l’école et l’entreprise Mars, qui s’est montrée particulièrement motivée pour m’avoir dans son équipe – en m’aidant notamment dans les démarches administratives – était mon premier choix. Ce poste de chef de secteur dans le sud-ouest s’est révélé une belle école de vente. C’est pourquoi je conseille toujours aux jeunes actifs de soigner leur première expérience, que je considère comme la continuité des fondations bâties à l’école. Très vite, on m’a proposé un poste au siège, au sein du département financier. Une belle progression assez rare en début de carrière.
Avoir une expérience internationale vous tentait déjà ?
J’ai quitté le Maroc à 17 ans pour poursuivre des études supérieures en France : déjà un premier pas vers l’international. Il était évident qu’après une expérience de 5 ans sur le marché français, mon appétit pour découvrir de nouvelles frontières ne faisait que grandir. Un appétit que PepsiCo a su assouvir avec une affectation à Dubaï, comme responsable de la stratégie merchandising dans les pays du Golfe.
Comment résumer votre carrière de 21 ans chez PepsiCo ?
Après Dubaï, j’ai été nommé directeur des ventes pour l’Arabie Saoudite, le pays alors le plus rentable du groupe. Il s’agissait, notamment, de préserver nos parts de marché face à une stratégie agressive de Coca-Cola et j’ai eu la chance de faire partie de l’équipe qui a relevé le défi avec succès. J’ai ensuite été promu au Caire, comme directeur général pour l’Afrique, avec trois bureaux sous ma responsabilité (l’Egypte, le Maroc et l’Ethiopie). Nous sommes passés d’une situation de pertes à 70 millions de profits nets en quelques années. Nous avions des marges de manœuvre énormes. On pouvait vraiment être créatifs et gérer l’entreprise comme si c’était la nôtre. L’Afrique a été une aventure marquante pour moi. Le dernier poste que j’ai occupé pendant 6 ans, est celui de vice-président des ventes pour l’Afrique et le Moyen- Orient. Avec un portefeuille de 4 milliards de dollars et la mise en place d’une politique de gestion de revenus qui nous a permis de tripler nos profits et redéfinir les ratios économiques de l’industrie. En coachant une équipe interne et des intervenants externes, j’ai appris que le leadership est compliqué mais que, lorsqu’on est mis face à ses lacunes, on développe un état d’esprit de croissance personnelle. Mon aventure PepsiCo s’est finalement conclue après 21 ans ; un long cycle fait de succès et défis.
Vous semblez avoir des affinités particulières avec l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Y trouvez-vous un équilibre professionnel et personnel satisfaisant ?
Arabophone, de nationalité marocaine, c’est tout naturellement que je me suis intéressé à cette zone. Ensuite, j’ai toujours fait le choix de ne pas me disperser, d’autant plus que c’était une des zones les plus prospères pour les entreprises avec lesquelles je collaborais, celles-ci ayant à cœur de m’y confier des expériences critiques. Au niveau personnel, il faut trouver le juste équilibre. Pour l’anecdote, ma seconde fille, Alia, est née à Jeddah. Un endroit confortable pour les jeunes familles.
Avec deux retours sur les bancs de l’école – Columbia et Harvard- et des publications sur le développement personnel, la formation semble, dans votre carrière, occuper une place importante…
Je me souviens, quand je suis rentré chez Mars, avoir participé à une formation sur le thème : « comment faire une phrase d’accroche dans une session de vente ? ». Moi qui sortais de l’école, j’ai pensé : quelle perte de temps ! C’est beaucoup plus tard que je me suis rendu compte de l’importance de faire le lien, constamment, entre théorie et pratique. A Columbia, le programme de perfectionnement en management et gestion des entreprises m’a non seulement permis de reprendre mon souffle de manière utile mais m’a surtout permis d’appréhender à nouveau le concept de leadership, de me le réapproprier. A Harvard, je suis allé encore plus loin dans les sciences cognitives appliquées au leadership et l’intelligence émotionnelle, avec des profs brillants. Il y a des moments dans une carrière où l’on traverse une phase d’incertitude. Reprendre une formation a répondu à ce besoin de self-coaching et la nécessité de mettre en avant le meilleur de soi-même. Au fur et à mesure que je me sentais devenir meilleur, je pouvais me projeter à nouveau dans des postes. Il y a une espèce de magie qui opère quand on réussit à s’appréhender.
Vous écriviez, en prenant vos fonctions actuelles de PDG pour Al Maha General Trading Co en Irak, que votre affectation serait un formidable exercice d’intelligence émotionnelle et un "test" de vos capacités. Cela s'est-il vérifié, après 3 ans en poste ? Comment évaluez-vous votre expérience ?
Il fallait réussir la transition entre la multinationale et le groupe local. Souhaitant revivre mes expériences africaines avec PepsiCo, j’ai cherché une aventure professionnelle sur un marché frontière. Quand en m’a proposé le poste, j’étais très enthousiaste à l’idée d’apporter ma contribution à une région en plein bouleversement et à la remise en marche d’un pays comme l’Irak. En 2016, j’ai pris la direction d’une boite qui, avec 35 millions de pertes, était à deux doigts de mettre la clé sous la porte. Aujourd’hui, avec 12 millions de profits nets et des perspectives de croissance énormes, nous sommes une success story dans la région. Jusqu’à maintenant, ça a donc été un challenge immense, une école quotidienne de l’humilité, du respect, de la ténacité, mais aussi de l’écoute et de la compassion. L’important n’est pas ce que l’on dit, mais ce que l’autre ressent. Je ne doute pas que cette qualité, développée ici en Irak, sera utile partout dans le monde.
Pensez-vous que vous pourrez à nouveau revenir à des contextes plus « simples », au sein de grands groupes ?
J’ai tendance à raisonner en termes d’ « agenda ». Le premier était de sauver l’entreprise. Aujourd’hui, je suis sur un agenda de croissance et d’innovation, avec la satisfaction de savoir que je laisse une empreinte, dans un contexte sécuritaire inédit dans ma carrière. Dans quelques années, si mes staffs deviennent directeurs généraux, directeurs financiers, j’éprouverai beaucoup de fierté. Je vois ma fin de carrière de manière émergente et non délibérée. J’ai une appétence particulière pour développer le leadership : un besoin global et prégnant dans le monde arabe. Géopolitiquement, l’Iraq est certainement la prochaine source de croissance économique de la région. Etonnamment, mon passage par ce pays ne fait qu’augmenter ma reconnaissance internationale. Il y a encore tellement à faire !
Interview réalisée par Justine Hugues