Lorsque le licenciement est jugé abusif, le juge italien acquiert de nouveau un pouvoir discrétionnaire quant à la réintégration du salarié à son poste de travail, selon une nouvelle jurisprudence.
Les réformes relatives à la discipline des licenciements qui ont eu lieu ces dernières années (et en particulier en 2012 et 2015), se caractérisent par l'intention déclarée du législateur italien de réduire les cas dans lesquels il était possible de prévoir, dans le cas des licenciements abusifs (sans cause réelle et sérieuse), le droit des travailleurs à la réintégration au poste de travail, sans préjudice de l'application de cette sanction en cas de nullité de licenciement (pour des motifs de discrimination politique, syndicale, sexuelle, et pour des motifs illicites décisifs).
En particulier, le législateur de 2012 - modifiant, après plus de 40 ans, le texte de l'art. 18 du Statut des travailleurs – a prévu que la sanction de réintégration au poste de travail des travailleurs illégalement licenciés était limitée à seulement deux hypothèses : la « non-existence du fait » à l'origine du licenciement, ainsi que dans le cas où « le fait litigieux relève des comportements passibles d'une sanction conservatoire, sur le fondement des dispositions des conventions collectives applicables à la relation de travail » (article 18 alinéa IV du Code du Travail), en établissant que ce n'était pas au juge (mais à la négociation collective) d'apprécier la gravité des faits.
Dans tous les autres cas, bien que le licenciement soit jugé abusif, les travailleurs n'ont droit qu'à une indemnisation (comprise entre 12 et 24 mois de salaire), sans préjudice de la cessation de la relation de travail.
La réforme de 2012 - visant à renforcer la sécurité juridique - avait donc exclu le pouvoir discrétionnaire du juge d'apprécier la proportionnalité du licenciement (par rapport à la gravité du comportement contesté du point de vue disciplinaire) comme élément permettant la réintégration.
Licenciement abusif : L’interprétation de la jurisprudence italienne
Or dès le début, les juges ont démontré qu'ils avaient mal accepté cette limitation de leur pouvoir discrétionnaire dans l'appréciation de la sanction applicable en cas de licenciement abusive. Aussi, ils ont progressivement donné des interprétations de plus en plus extensives de la norme.
En particulier, la jurisprudence (d'abord des tribunaux et ensuite la Cour de Cassation) a précisé que «la non-existence du fait » doit s'entendre non seulement comme l'inexistence du fait matériel (faisant l'objet de la procédure disciplinaire), mais aussi comme une absence d'illégalité du comportement des travailleurs.
Cette affirmation était certainement acceptable, si elle se référait à l'hypothèse où le fait litigieux, bien qu'existant, soit totalement dépourvu d’importance d'un point de vue disciplinaire. Toutefois, l'interprétation donnée par les Juges à la notion de fait ou comportement «anti-juridique » s'est progressivement étendue au point de considérer comme « inexistants » des faits ou des comportements - même s’ils se sont matériellement produits et constituent (potentiellement) des infractions disciplinaires - considérées par le juge comme licites ou en tout cas justifiables (également en considération de l'élément subjectif).
De cette façon, les tribunaux visent à se réapproprier substantiellement la possibilité de sanctionner avec la réintégration au poste de travail (et non avec la seule indemnisation) les licenciements jugés abusifs, en fondant leur jugement sur une appréciation discrétionnaire de la gravité du fait litigieux.
L’arrêt de la Cour de Cassation n. 11665/2022
Un pas supplémentaire dans cette direction - et notamment du point de vue de la deuxième condition prévue par l'art. 18 alinéa IV Stat. Lav., à savoir que le fait est passible d'une sanction conservatoire basée sur les dispositions du CCNL (convention collectif national du travail) - a été accompli par l’arrêt de la Cour de Cassation n. 11665 du 11 avril 2022.
A cet égard, il faut signaler que la plupart des conventions collectives, même après la réforme de 2012, n'ont pas envisagé de fournir une liste précise et détaillée des conduites passibles de sanctions conservatoires (blâme, amende ou suspension), mais uniquement des indications générales et une gradation de sanctions liées à la gravité des manquements.
En l’occurrence, il s'agissait du licenciement d'un travailleur qui avait dénigré l'employeur lors d'une conversation par WhatsApp avec un collègue et avait également omis de signaler une agression subie par un autre collègue (agent de sécurité) en service, et de faire certaines communications à la Préfecture de police.
La convention collective applicable ne prévoyait pas expressément de tels faits comme des hypothèses spécifiquement punissables, mais ne contenait qu'une indication générique de la conduite passible de sanctions conservatoires, à savoir "irrégularités légères", "négligence", "omission partielle de service", etc.
La Cour de cassation a donc exprimé le principe selon lequel "si le cas puni d'une sanction conservatoire est délimité par la règle collective à travers une clause générale, cela n'empêche pas le juge d'interpréter la source de négociation et de vérifier la combinaison du fait contesté dans la disposition collective , également par une appréciation de la gravité plus ou moins grande du comportement". Il a donc renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel pour qu'elle procède à cette analyse et établisse la protection (réintégration ou indemnisation) applicable au salarié.
Par conséquent, la Cour de cassation a jugé qu’en l’absence d'une prévision de négociation collective établissant la sanction (conservatoire) applicable à une défaillance spécifique de l'employé - ne prévoyant que des clauses générales et élastiques - le juge est autorisé à faire une évaluation (forcément discrétionnaire) quant à la gravité du comportement et donc son imputabilité (ou non) aux sanctions prévues par la convention collective.
On peut dès lors supposer qu’un processus de réappropriation par les juges, de la discrétion de réintégrer des travailleurs, en cas de licenciement abusif, est en voie d’être achevé, malgré la décision du législateur de l’exclure en 2012. Un pouvoir que le juge pourra s’octroyer si la négociation collective continue de refuser d'établir avec des dispositions précises et détaillées les conduites passibles de sanctions disciplinaires autres que le licenciement.