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Italie : Le paradoxe du mobbing à la lumière des arrêts de la Cour de Cassation

Face aux comportements de harcèlement en entreprise, et en l’absence de législation italienne sur le mobbing, la jurisprudence a pris position, mais créant un paradoxe.

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Photo de Tim Gouw sur Unsplash
Écrit par Lablaw
Publié le 26 mars 2024, mis à jour le 31 mars 2024

Le « mobbing », comme il est usuel de l'appeler en Italie, est normalement défini comme un ensemble de comportements systématiques à caractère persécutoire contre un travailleur, mis en place par l'employeur, des supérieurs hiérarchiques ou par des collègues, les « mobbers », unifiés par l'intention de nuire, en général dans le but de marginaliser progressivement le travailleur et de le pousser à quitter l'entreprise.

Ces comportements de harcèlement peuvent se manifester à travers des actes illicites, par exemple à travers un changement illicite de tâches, une mutation sans raisons réelles, l’application de sanctions disciplinaires injustifiées, mais également à travers des actes licites. Il peut s’agir d’un refus de permission ou d’un congé, de vacances, du manque d'attribution de primes ou d'augmentation de salaire reconnues à d'autres collègues, ou encore de la demande à effectuer des  heures de travail supplémentaires.  

Les médias ont fait une grande publicité au mobbing, donnant lieu ainsi à une vaste production littéraire et journalistique tant et si bien qu’on peut affirmer aujourd’hui que ce mot anglais appartient définitivement au vocabulaire du monde du travail.

La législation italienne sur le mobbing

Toutefois, la législation italienne ne contient aucune règle spécifique concernant le mobbing.

En effet, la plupart des comportements illicites de l'employeur,  normalement reconnus dans le concept de mobbing, trouvent leur sanction dans des normes de lois bien spécifiques qui existaient déjà avant l'élaboration de la théorie de mobbing (tel que l'article 2103 cod. civ., concernant le changement de tâches et de mutation du travailleur, l'article 7 du Statut des Travailleurs concernant les procédures disciplinaires, sans oublier les normes pénales qui punissent les délits de menaces et violence privée).

Donc, quelle est l'origine du concept de mobbing dans le droit du travail ?
La réponse se trouve dans la jurisprudence, qui a reconnue dans l’art. 2087 du code civil, qui établit l'obligation générale de l'employeur de protéger la santé et l'intégrité psycho-physique des travailleurs sur le lieu de travail, comme la norme de référence à la répression du mobbing.

Les critères identifiés par la jurisprudence

La jurisprudence a établi que les éléments essentiels du mobbing sont les suivants :
(i)    L'ensemble du comportement vexatoire, caractérisé par la continuité (au moins 6 mois pour la jurisprudence) ;
(ii)    La preuve de l'élément subjectif, c'est-à-dire l'intention de persécution ;
(iii)    Le préjudice causé à l'employé ;
(iv)    Le lien entre le comportement et le préjudice causé à l'employé.
En particulier, le juge ne doit pas se limiter à apprécier les actes individuels commis à charge de la victime, mais l'ensemble de ceux-ci, en procédant à une appréciation globale des faits.

La jurisprudence et le fardeau de la preuve de l’existence du mobbing

Prouver l'existence du mobbing est très complexe pour le travailleur !  
En effet, la preuve ne s'arrête pas aux seuls faits, mais s'étend également à l'élément psychologique de l'auteur, à savoir l'intention vexatoire continue de l'auteur et/ou de ses collègues à l'égard de l'employé.

La jurisprudence laisse donc à la charge du travailleur qui se plaint d'être victime de mobbing un fardeau de la preuve très lourd, surtout en ce qui concerne les actes qui, en absence de volonté de harcèlement,  auraient été autrement licites.

Ceci explique pourquoi, même si les différends pour mobbing se sont multipliés ces dernières années, très peu de jugements ont à ce jour reconnu le droit des travailleurs à un dédommagement à ce titre.

Pour cette raison, les arrêts les plus récents ont confirmé une tendance déjà établie depuis longtemps, selon laquelle même si tous les éléments typiques du mobbing ne peuvent être reconnus, il reste possible de reconnaître une responsabilité de l'employeur, aux termes de l’art. 2087 du code civil, "pour avoir omis, même par négligence, d'empêcher qu'un environnement de travail stressant ne cause des dommages à la santé du plaignant" (Cour de Cassation n. 3822/2024).

À la suite de cela, la jurisprudence s'est efforcée de trouver des solutions pour ces situations ambivalentes, qui ne sont peut-être pas caractérisées par tous les éléments du mobbing, mais qui découlent en tout état de cause d'une omission négligente de la part de l'employeur.

À titre d'exemple, dans son récent arrêt n° 5061/2024, la Cour de Cassation a renvoyé la question à la Cour d'appel, estimant qu'elle avait commis une erreur en rejetant totalement la demande de dommages-intérêts alors que le mobbing n'avait pas été prouvé.

En effet, selon la Cour Suprême, l'employeur a des responsabilités plus vastes que celles découlant du mobbing qui, au contraire, est un cas spécifique et particulièrement grave. Le juge aurait donc dû rechercher les éventuelles responsabilités découlant d'un autre comportement ou violation d’une obligation.

Voilà donc le paradoxe du mobbing : bien que  ce cadre ait été institué pour offrir aux travailleurs une meilleure protection leur permettant de contester des comportements de l’employeur par ailleurs licites, la nécessité de devoir démontrer la volonté de persécution dans chaque comportement contesté ainsi que l’existence d’un dessein illicite et commun réunissant tous ces actes, a fini bien souvent par aboutir à une réduction substantielle de la possibilité d’obtenir une protection des droits des travailleurs devant les tribunaux.
Pour ces raisons, les juges (comme dans les arrêts mentionnés ci-dessus) ont souhaité des solutions alternatives, en recourant toujours à la responsabilité de l’employeur prévue à l'article 2087 du code civil.
 

angelo quarto avocat

 

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