Que ce soit dans la Botte ou l’Hexagone, les affreux sont pareillement sales ou méchants. Les susceptibilités des territoires et des identités sont les pires de toutes, comme le révèlent les mots !
L'Italie s'étire toute en longueur, éloignant le plus possible le Nord et le Sud. Les mœurs, les mots, les mises, tout les sépare. Et quand, au siècle dernier, la faim poussa celui d'en bas à «monter» en masse vers le haut pour y chercher de quoi survivre, le choc ! L'homme du Nord, emporté par la frayeur, lui aboya un terrone, cul-terreux, détestable ; celui-ci, piqué au vif, rebondit avec un polentone, mangeur de polenta, guère amical. Seul ce petit -one accroché en bout de mot pour l'accentuer (comme dans naso, nez, nasone, gros nez, furbo, rusé, furbone, gros malin) laisse à nos compères terrone et polentone une rime en commun. Affinité rarissime car les susceptibilités des territoires et des identités sont les pires de toutes. D'ailleurs, houlàlà, dans quoi je m'embarque !
Là, donc, un pays-péninsule avec, partant plus ou moins de Rome et descendant jusqu'en bas, une vaste Terronia (gare à la gaffe, le nom est très désobligeant), circonscription imaginaire à la fois vilaine «cambrousse» et «trou du cul du monde». Chez nous, un Hexagone avec, entourant sa capitale, une province reculée composée d'autres Pétaouchnock snobés des gps. Et si le mot province est de plus en plus remplacé dans les médias par celui de région, c'est bien qu'il n'a toujours rien de glamour.
Les contrées sont calamiteuses, leurs habitants horrifiques. La polenta, à base de farine de maïs, est l'un des plats italiens les plus anciens. Le mot remonterait à un curieux puls latin voulant dire «bouillie de farine» et, même, disons-le vite et à voix basse pour ne froisser personne, «pâtée des poulets sacrés». Bon. À force de manger sa platée de maïs quotidienne et ne manger que ça parce qu'il n'avait ni le choix ni le sou, le polentone finit par manquer de vitamines. La pellagre, une maladie faisant la peau flasque, le corps mou, le cerveau plat, le frappa. Quelle aubaine pour le Sud qui s'empara vite du cliché d'un nordique chancelant et empêtré, vague cousin de notre crétin des Alpes (diminué, lui, par ses carences en iode). La caricature de l'homme du Sud a quant à elle plus de punch: on expose le terrone en véritable yéti des champs, râblé, basané, rustre, au dialecte et aux manières d'un autre monde. La terre, il la travaillait, il s'en barbouillait, la mangeait-il aussi ? En tout cas, le meridionale et le settentrionale se devaient d'être abominables l'un pour l'autre au premier coup d'œil et d'oreille. Bingo !
Parigot vs Provincial jusqu’au plouc
Mouise de toutes les mouises, nos affreux à nous sont pareillement sales ou méchants et ne se supportent pas non plus. Le Parisien, à l'accent fort pointu, stressé, arrogant, malpoli. Souvent on ne lui chercha même pas d'autre nom tant le sien, à peine altéré, suffit à l'épingler : il n'y a pas si longtemps, Parigot, tête de veau, Parisien, tête de chien faisait le tour des campings et des départementales en période de weekends et grandes vacances. En face, le provincial benêt, pataud, avec son parler et sa dégaine bizarres : avoir un air province, faire très province n'a jamais fait un compliment. Bref, voici le plouc dont le nom viendrait des paysans bretons (de nombreux villages de Bretagne commencent par «plou», Plougastel etc.) qui, comme les Italiens du Sud, fuyaient la misère de leurs terres natales pour un travail, un gîte et un couvert dans la grande ville qui pourtant les moquait.
Et que dit le dictionnaire ?
Le temps passe et fait bouger les mots. Le sens strict «homme du Sud-homme du Nord» des terrone et polentone est tombé à la deuxième place dans les dictionnaires. Maintenant, terrone désigne, d'abord, une personne gauche et grossière. Attention, c'est une insulte, très dure et passible de tribunal (c'est arrivé) alors que, allez savoir pourquoi, le vaffanculo national s'est dégonflé et se pose en alternative à un «fiche-moi la paix» juste un peu plus vif. Espèce de balourd balourdissant malgré lui, le plouc français n'est plus forcément un provincial mais toujours une espèce de gugusse à «l'allure maladroite et gauche d'un paysan endimanché» comme l'écrit joliment le Larousse. Pas de tribunal ici mais en société, dans les bureaux ou dans les salles de classe, personne ne se relève jamais de ce genre de notoriété. Même aventure pour polentone, que les dictionnaires considèrent avant tout comme une personne définitivement lenta e pigra, lente et paresseuse, pour dire mollaccione (mollasson) ou pappamolle (littéralement bouillie molle pour chiffe molle), en vague souvenir de ses apathies pellagreuses.
Et le Parisien Parigot ? Aux dernières nouvelles, un monchû encore méconnu (altération savoyarde de «monsieur») serait apparu dans le Larousse 2023: c'est un «vacancier en quête d'air pur (Parisien, partic.) qui séjourne dans les Alpes et dont on raille souvent la maladresse, l'accoutrement, voire la méconnaissance des usages locaux ». Et justement, la figure du monchû existe aussi avec les mêmes atours, les mêmes travers ailleurs qu'en montagne, par exemple sur les côtes et dans n'importe quel autre lieu de vadrouille. Il pourrait prendre la relève du Parigot vieillot vieillissant. Gagnera ? Gagnera pas ? Tout va dépendre des hostilités, montantes ou retombantes, des uns et des autres.