Avec sympathie, disponibilité et une grande humilité, Rabeea Ansari, directrice de la zone Europe du Sud et pays émergents de Club Med, nous évoque son parcours professionnel semé de succès, la croissance et la particularité de Club Med en Italie, sa vision du leadership, le rôle d'un « manager de sa génération ». Un échange inspirant.
Quel parcours vous a conduit à ce poste de manager en Italie, pour la première fois occupé par une femme depuis la création du siège de Club Med à Milan ?
Je suis parisienne, j’ai grandi et étudié à Paris, et je suis diplômée de Sciences Po Paris. Je suis arrivée dans le tourisme par hasard, le groupe Accor recherchait des personnes d’origine indienne, parlant hindi, pour ouvrir leur premier hôtel en Inde. Je n’avais alors que 26 ans, c’était une opportunité tant sur le plan personnel que professionnel : vivre et travailler dans un pays que je connaissais sans le connaître, et apprendre un nouveau métier.
Après trois années extraordinaires à Mubaï, je suis rentrée trois ans à Paris où je travaillais pour Sofitel, davantage sur les écosystèmes digitaux. Puis Accor m’a offert une nouvelle opportunité, au Brésil cette fois. Un nouveau défi, dès lors que je ne parlais pas portugais et n’avais jamais mis les pieds en Amérique latine. L’expérience brésilienne qui ne devait durer que deux ans, s’est prolongée huit années au total.
Les premières années à San Paolo furent particulièrement fondatrices. J’étais au comité de direction, très jeune, face à des hommes, tous plus âgés, et par ailleurs avec beaucoup de différences culturelles à gérer au sein de mon équipe. Au terme des deux ans initialement prévus, je suis restée pour une autre opportunité : gérer l’ensemble de l’e-commerce pour l’Amérique du Sud.
C’est à cette époque que Club Med m’a approché pour m’offrir le poste de VP Marketing & Digital de l’ensemble de l’Amérique du Sud, basée à Rio di Janeiro où j’ai passé 4 autres années. Je suis ainsi arrivée de Rio à Milan en 2022, avec un nouveau défi, un nouveau périmètre, en reprenant la direction de la zone Europe du Sud et des pays émergents. Le bureau de Milan pour le Club Med existe depuis très longtemps. Depuis près de 45 ans, de nombreux directeurs de zone se sont succédé, et je suis la première femme à occuper ce poste-là.
La philosophie du Club Med est fondée sur le concept de « créer des moments de bonheur simples », faisant de son approche optimiste de la vie - l’art de vivre une vie heureuse – sa renommée. Comment cette philosophie s’intègre-t-elle dans le monde d’aujourd’hui ?
Le Club Med a été créé en 1950, après la seconde guerre mondiale, à un moment où les gens avaient envie de profiter de la vie, d’être en famille et entre amis. Il s’agissait alors d’une association, dont l’idée assez simple était de rassembler des groupes de personnes pour passer des vacances ensemble, dans des lieux exceptionnels. Le premier Village, aux Îles Baléares en Espagne, était alors constitué de tentes et de tables de minimum 10 personnes pour permettre aux vacanciers de partager leurs repas et faire connaissance, en plus des nombreuses activités organisées la journée, et les spectacles le soir.
Le Club Med a depuis énormément évolué, il est présent dans 26 pays, avec 70 resorts dans le monde entier. Malgré la montée en gamme des Villages, l’identité est restée, à savoir offrir des expériences uniques dans des lieux désirables avec des moments de convivialité. Après la pandémie, il a été flagrant de constater comme cette envie de connexion avec les personnes et ce besoin de profiter de la vie s’est réaffirmé.
Comment le Club Med a-t-il évolué, notamment en Italie ?
La montée en gamme est importante dans l’histoire du Club Med. Depuis le mois d’avril 2024, l’ensemble des 70 resorts du réseau sont désormais 100% Premium, déclinés en deux gammes de produits : les 4 tridents (équivalent des 4 étoiles) et l’exclusive collection, la gamme la plus élevée.
L’Italie compte aujourd’hui deux Villages : un exclusive collection à Cefalu en Sicile, et un 4 Tridents à la montagne à Pragelato Sestriere, qui attire les vacanciers été comme hiver.
Quels sont les changements et les tendances de comportements des voyageurs aujourd’hui ?
On note une forte conscience écologique et responsable de la part de nos clients. Ils se posent des questions sur l’origine des produits, le recyclage, l’utilisation de l’eau, de l’électricité, des énergies renouvelables. Cela nous pousse à être meilleur en tant qu’entreprise et en tant que responsabilité entrepreneuriale dans les zones où nous sommes implantés.
Par ailleurs, les destinations liées à la nature remportent un succès croissant, à l’instar de la montagne l’été comme à Pragelato Sestriere, qui offre en outre une échappatoire à la canicule.
On constate aussi que l’inflation généralisée et le climat d’incertitude en général ont engendré un effet rassurant de l’offre all inclusive, même auprès de la clientèle du Club Med qui est Premium.
Quelles sont les destinations préférées des Italiens ?
Les Italiens aiment la plage ! Les Maldives sont en tête des ventes, avant les Seychelles ou encore les Caraïbes. Mais la montagne retrouve également un regain d’intérêt été comme hiver.
Le mois dernier, Club Med a annoncé des résultats annuels records en 2023. Comment se place le marché italien ?
L’année 2023 a en effet marqué un record historique de ventes avec près de 2 milliards de chiffre d’affaires au niveau global, soit une croissance de 16%, et ce malgré la situation de la Chine qui reste compliquée. L’Europe est moteur, le marché historique restant la France. Le marché anglais a explosé notamment sur la montagne l’hiver, et l’Italie a connu une croissance significative de 13%, jamais vue auparavant. Or 60 à 65 % des clients italiens sont nouveaux, c’est une spécificité du marché.
Quelles sont les autres particularités du marché italien par rapport au reste du monde ?
Pour la clientèle italienne spécifiquement, nous notons un équilibre entre les familles et les couples, probablement du fait de la démographie du pays, marquée par une population vieillissante et où les familles sont moins nombreuses.
Sur l’ensemble de notre gamme, l’Italie représente en outre le marché qui choisit le plus la gamme exclusive, à 35%. Cela montre que les Italiens veulent de la qualité. On note par ailleurs une autre spécificité du marché italien, liée au problème actuel du renouvellement des passeports, avec des délais très longs. Aussi, nos destinations où seule la carte d’identité suffit pour les Italiens, connaissent une véritable explosion, à l’instar des Antilles françaises et de la Turquie.
Quels sont les projets de Club Med, principalement sur l’Italie ?
De manière globale, des ouvertures sont prochainement prévues en Afrique du Sud, à Oman, en Malaisie et au Brésil. Sur l’Italie, des projets sont en cours de discussion pour renforcer notre présence sur le territoire. Le Lido de Venise nous intéresse, la Sardaigne aussi, éventuellement un deuxième Village en Sicile... Mais en Italie, les discussions sont plus longues, administrativement c’est parfois plus compliqué. Cela prendra donc le temps nécessaire.
Avec ce multiculturalisme et la spécificité de votre parcours, quelle est votre approche du leadership ?
J’étais très jeune au comité de direction, j’ai appris au fur et à mesure des années. Je suis un manager de ma génération, cela signifie que je suis beaucoup à l’écoute. Aujourd’hui, ce sont les nouvelles générations qui savent plus que les anciennes, je n’ai donc aucune prétention de penser savoir davantage que les autres, au contraire.
Comment définissez-vous votre rôle de manager, représentatif de votre génération ?
Mon rôle est de coordonner plusieurs talents pour les faire avancer ensemble, et faire évoluer des talents pour qu’ils émergent. Ayant travaillé dans plusieurs pays, je m’intéresse également aux spécificités culturelles, à l’écoute de ce qui motive une personne italienne versus une brésilienne de jeune génération, car ce n’est pas la même chose. Il convient d’être à l’écoute des différences culturelles, mais aussi des effets générationnels.
Je suis très heureuse de pouvoir représenter un manager de ma génération, d’être une femme dans un environnement qui a été très masculin jusque-là, de contribuer à un changement générationnel et à un type de management.
Le bien-être mental représente également l’une de mes priorités en termes de management, aussi car cela est inhérent à ma personne. Je porte une attention particulière aux heures de travail, je veille à ne pas envoyer de mails le soir ni le week-end. Je n’apporte d’ailleurs que rarement mon ordinateur à la maison. Et si exceptionnellement j’écris un mail durant le week-end, je ne l’envoie que le lundi car je refuse de lancer un mauvais signal à mes équipes.
Cette discipline permet d’être très efficace pendant la journée, rythmée par une excellente organisation. Ce ne sont pas les heures de travail qui font la différence, j’en suis le produit. J’ai travaillé dur et j’ai eu la chance d’être là au bon moment.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune professionnel ?
Travailler dur il le faut. Cela ne se traduit pas dans la durée mais dans l’engagement. Être là au bon moment, cela signifie savoir saisir les opportunités des portes qui s’ouvrent, savoir oser même si ce n’est pas ce que l’on avait prévu.
J’ajouterais un autre conseil : ne pas hésiter à exprimer ce à quoi on aspire. Je parle en tant que femme, car souvent nous nous mettons des barrières psychologiques. Je pense que la plupart du temps, l’ennemi pour l’évolution professionnelle, est soi-même. Je pense qu’il ne faut rien s’interdire, tout est possible.
Il n’existe pas de limite, ni hiérarchique ni liée à l’âge, à partir du moment où il y a du talent.
Et en cas d’échec ?
Sur l’ensemble de mes expériences, j’ai connu des échecs. Mais ces échecs ne vont pas empêcher une évolution professionnelle. Il faut savoir rebondir. Ce sont les victoires que les gens vont retenir.