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Vers la transparence salariale en Europe : un regard croisé Italie – France

Où en est la parité salariale en France et en Italie ? Si des cadres juridiques nationaux existent, dont l’efficacité reste contrastée, ils devront être adaptés aux nouvelles exigences européennes introduites par la directive transparence salariale.

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Photo de Mathieu Stern sur Unsplash
Écrit par Lablaw
Publié le 28 juillet 2025, mis à jour le 24 août 2025

La parité salariale entre les femmes et les hommes reste un objectif à atteindre en Europe, malgré des progrès notables au cours des dernières décennies. Selon les dernières données d’Eurostat publiées début 2024, l’écart moyen de rémunération horaire dans l’Union européenne est de 12,0 %, contre 16,4 % en 2012. En France, cet écart demeure plus marqué que la moyenne européenne : les femmes perçoivent en moyenne 22,2 % de moins que les hommes dans le secteur privé, principalement en raison d’une plus forte proportion de contrats à temps partiel, et 3,8 % à poste équivalent et contrats à temps plein (Insee). En Italie, les données d’Eurostat indiquent un écart horaire moyen bien plus faible, autour de 2,2 % en 2023, même si ce chiffre masque une sous-représentation notable des femmes dans les fonctions les plus rémunératrices. On notera que les écarts varient fortement d’un pays européen à l’autre : en 2023, le plus élevé a été relevé en Lettonie (19,0 %), tandis que le plus bas a été observé au Luxembourg (-0,9 %), signe que les dynamiques nationales restent contrastées au sein d’un même cadre juridique européen.

 

La directive 2023/970 : un cadre renforcé pour la transparence

Alors même que le droit européen consacre depuis longtemps l’égalité de rémunération, les écarts persistants ont mis en lumière les limites des instruments existants et ont conduit à l’adoption de la directive transparence salariale (UE) 2023/970 le 10 mai 2023. Ce texte ambitionne de rendre plus effectif le principe énoncé à l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne - à savoir un salaire égal pour un même travail ou un travail de valeur égale - en complétant et en renforçant les mécanismes déjà prévus par la Directive 2006/54/CE sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes pour les contrats de travail. Plutôt que de se limiter à une interdiction abstraite de la discrimination salariale, la Directive impose désormais aux employeurs une série d’obligations précises, applicables à toutes les étapes de la relation de travail et assorties d’un régime probatoire renforcé.

À la phase de recrutement, les entreprises devront systématiquement indiquer dans leurs annonces de poste la rémunération initiale envisagée ou une fourchette salariale objective. La pratique courante consistant à demander aux candidats leur salaire actuel ou antérieur sera formellement interdite, afin d’éviter la reproduction mécanique des écarts existants.

Une fois la relation de travail engagée, les employeurs seront tenus de garantir un accès effectif à l’information concernant les critères de fixation et d’évolution des rémunérations, qui devront être objectifs, transparents et neutres au regard du genre. Chaque salarié pourra obtenir, sur demande écrite et dans un délai raisonnable, des données concernant son propre salaire et la rémunération moyenne, ventilée par sexe, des travailleurs occupant un emploi équivalent ou de valeur comparable.

 

Des obligations spécifiques selon la taille de l’entreprise

La Directive prévoit également des obligations spécifiques pour les entreprises en fonction de leur taille. À partir de plus de 100 salariés, un système progressif de reporting sera instauré, imposant aux entreprises la communication régulière de données statistiques sur les écarts de rémunération et la proportion d’hommes et de femmes dans chaque quartile de rémunération. Pour les structures de plus de 250 salariés, ces obligations seront annuelles et assorties d’une évaluation conjointe avec les représentants des travailleurs lorsque des écarts supérieurs à 5 % ne peuvent être justifiés objectivement. 

 

Un double défi pour l’employeur

Et encore, la Directive introduit par ailleurs une inversion du fardeau de la preuve en cas de contentieux, plaçant l’employeur dans l’obligation de démontrer que la différence constatée repose sur des éléments objectifs et non discriminatoires. Ce renversement devrait encourager les entreprises à documenter de manière rigoureuse leurs pratiques salariales et à anticiper d’éventuels litiges. Pour les employeurs, ces nouvelles exigences représentent un double défi : technique, car elles nécessitent une adaptation des systèmes d’information, des classifications et des procédures internes ; et culturel, puisqu’elles supposent d’ancrer une véritable politique d’égalité salariale, fondée sur la transparence et la prévention des biais implicites.

Les États membres ont jusqu’au 7 juin 2026 pour transposer la Directive dans leur droit national, les entreprises auraient tout intérêt à engager dès à présent cette transition, sous peine de s’exposer non seulement à des sanctions financières, mais aussi à un risque réputationnel dans un contexte où la responsabilité sociale et la transparence deviennent des critères décisifs pour les parties prenantes.

 

France et Italie : entre acquis et lacunes

La mise en œuvre de la Directive ne part toutefois pas d’une page blanche : la parité salariale en France et en Italie s’appuie déjà sur des cadres juridiques nationaux, dont l’efficacité reste contrastée et qui devront être adaptés aux nouvelles exigences européennes.

En Italie, le principe d’égalité de rémunération est garanti par la Constitution et décliné dans le Code des chances égales (décret législatif 198/2006). Depuis 2021, la loi 162 impose aux entreprises de plus de 50 salariés de publier, tous les deux ans, un rapport détaillant la situation du personnel au regard de la parité, ce qui a marqué un premier pas vers plus de transparence. Pour autant, aucune obligation ne pèse encore sur les employeurs quant à la transparence précontractuelle des salaires, et le droit individuel d’accès aux informations reste limité dans sa portée et sa mise en œuvre. La Directive exigera donc des ajustements significatifs, notamment pour formaliser des systèmes d’évaluation des emplois fondés sur des critères objectifs et neutres et pour garantir un véritable droit d’accès des salariés à l’information.

En France, la trajectoire a été plus volontariste. Depuis 2019, les entreprises d’au moins 50 salariés doivent publier chaque année leur Index de l’égalité professionnelle, qui attribue une note sur 100 et impose des plans d’action correctifs en cas de résultat insuffisant. Cet outil, bien qu’imparfait, a contribué à familiariser les entreprises françaises avec les logiques de reporting, d’auto‑évaluation et de dialogue social sur les écarts de rémunération. La France et l’Italie devront, dans tous les cas, former leurs responsables RH, revoir leurs systèmes de classification et inscrire la transparence dans une véritable culture d’entreprise, pour éviter que les obligations de conformité ne se réduisent à des formalités dénuées d’impact réel.
 

Penser l’égalité au prisme des discriminations croisées

La Directive européenne innove en introduisant explicitement la notion d’intersectionnalité, concept élaboré par des juristes féministes comme Kimberlé Crenshaw, Martha Fineman, Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon.

Au considérant 25, elle souligne que « les discriminations fondées sur plusieurs motifs peuvent se recouper et interagir. Par exemple, une femme peut être victime de discrimination en raison de son sexe et de son origine ethnique, de sa religion ou de son handicap. Cette dimension intersectionnelle devrait être prise en considération par les États membres lorsqu’ils appliquent la présente directive ».

angelo Quarto Beatrice Russo

 

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