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S. Vojetta: "L'Espagne aurait pu avec la crise se réformer davantage"

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Publié le 9 juin 2019, mis à jour le 10 juin 2019

Suppléant de la députée pour la 5e circonscription des Français de l'étranger, Stéphane Vojetta est, avant son engagement politique, un personnage engagé, appelé à faire évoluer la société et y laisser son empreinte. Avec son franc-parler sans concession et un certain dédain du politiquement correct, ce Lorrain partage ses compétences entre divers organismes de la communauté française expatriée, non sans assumer un esprit libéral et réformateur, et sans crainte des étincelles. 

 

Avec un parcours passionnant dans les entrailles de la banque d'affaire, au Royaume-Uni, en France et en Espagne, ce business angel, expert des marchés financiers et conseiller corporate finance auprès de quelques-unes des plus grandes entreprises espagnoles, dispose d'une vision privilégiée du fonctionnement de l'économie globalisée. Son expertise du système bancaire espagnol, à la restructuration duquel il a participé dès 2009, en collaboration avec la banque centrale espagnole et divers organismes de régulation, lui permet par ailleurs d'analyser avec une certaine sérénité le ralentissement actuel de la croissance ibère. "L'éclatement de la bulle immobilière avec ses implications sur l’économie au sens large, telle que nous l'avons connue lors de la crise entre 2009 et 2013, ne se répètera sans doute pas en Espagne, juge-t-il. Madrid est devenu un vrai pôle d'investissement international, qui pousse le dynamisme de la capitale de façon pérenne et sur des bases plus saines, moins spéculatives".

C'est pour sa part en 2005, après 7 années passées dans la banque d'affaires à Londres, que Stéphane Vojetta, 31 ans, débarque dans la capitale espagnole. " Ma compagne rentrait chez elle en Espagne, et c'était la dernière saison de Zidane en tant que footballeur professionnel. Je me suis dit, pourquoi pas aller à Madrid ? ". Romancées ou pas, les motivations du Lorrain seront pauvrement récompensées : les 9 buts que l'idole inscrira en Liga n'empêcheront pas la saison galactique d'être catastrophique, ni la démission, pour mauvais résultats sportifs, d'un certain Florentino Pérez. Et en attendant que quelques années plus tard, le parcours du magnat espagnol et les activités du courtier français ne se croisent, tout indique en ces premiers mois passés dans le pays, que l'économie espagnole est rapidement appelée à connaître les mêmes disgrâces que le Président du club madrilène. "On était en plein boom immobilier, mais depuis l'extérieur on voyait clairement les déséquilibres sur lesquels s’était appuyée la croissance du pays. Tous les achats immobiliers étaient financés par de la dette bancaire, elle-même nourrie par la liquidité des marchés financiers internationaux. Il était évident que lorsque la hausse des prix prendrait fin, tout se casserait la figure". En 2008, tous les voyants sont au rouge et la prophétie faite par Vojetta, alors responsable du secteur financier en Espagne pour la banque d'affaire UBS, est sur le point de se réaliser... En dépit des contradictions apparentes et de façon rétrospective, c'est cette situation et la crise qui s'en est suivie -plus que le ballon rond- qui ont donné un véritable sens à la venue du Français en Espagne. Sur le plan professionnel, mais aussi eu égard à son rôle à jouer dans la société, il tirera de l'expérience des enseignements essentiels, indissociables aujourd'hui du personnage qu'il aurait pu être et de la personne qu'il est devenu.

 

Approché par le FMI, sollicité par de Guindos

"Dès mon arrivée dans le pays, je me suis spécialisé sur le système des cajas de ahorro", se rappelle Stéphane Vojetta. Ces caisses d'épargnes typiquement espagnoles, cogérées par les municipalités, les communautés autonomes, les clients, les membres fondateurs et les employés, "ont trop souvent été l'objet de décisions stratégiques voire même de gestion prises selon des critères politiques, plutôt qu'entrepreneuriaux, considère-t-il. C'est ce qui les a menées à la faillite". Ainsi, dès fin 2007, il  suggère à la Generalitat catalane de fusionner et recapitaliser les caisses catalanes les plus fragiles pour anticiper la crise à venir. Sans succès. Vojetta et ses équipes sont finalement sollicités l'année suivante par la banque centrale espagnole pour gérer la première intervention d'une caisse d'épargne -la Caja Castilla la Mancha. "Il fallait trouver une solution qui implique les cajas, la banque centrale et les banques privées", "quelques mois après la chute de Lehmann Brothers et les sauvetages de Bear Stearns ou de RBOS, nous nous sommes énormément inspirés des expériences américaines et britanniques en la matière", explique-t-il. Les solutions techniques développées par ses soins passent notamment par une ségrégation des actifs sains et des actifs toxiques. Avec cette solution, les banques privées pouvaient racheter la partie viable de l'activité des cajas en détresse, tandis que les prêts et actifs immobiliers problématiques étaient appelés à être en grande partie protégés par une garantie de l'Etat, puis progressivement revendus sur le marché international, à des fonds d'investissement. "Après cette première intervention, il y en a eu des dizaines d'autres. J’étais impliqué au point d’avoir même participé à la définition des amendements à la loi régissant le secteur financier, pour permettre ce type de vente en urgence", résume Stéphane Vojetta.

 

Je reste convaincu qu'en évitant ainsi un bail out complet, l'Espagne a de la sorte perdu une opportunité

 

En 2012,  il était approché par le FMI pour rejoindre l’institution en cas de "bail-out" de l’Espagne. Stéphane Vojetta aurait alors connu un rôle essentiel dans la restructuration du secteur bancaire, puis la remise sur pieds de l’économie du pays. Il s'y était préparé, y voyait l'opportunité de participer à la transformation de la société. "C'était l'occasion de travailler pour la sauvegarde du bien être de millions de personnes dans un contexte de grands périls économiques, avance-t-il. Cette possibilité a été pour moi, plus tard, révélatrice".

L'Histoire aura finalement été autre : "A l'époque j'allais tous les 3 mois à New York, pour décrypter la situation espagnole aux investisseurs américains", évoque-t-il encore. Tandis que de l'autre côté de l'Atlantique, les investisseurs mesurent les opportunités que la crise européenne est susceptible de générer, l'Espagne s'englue dans une course contre la prime de risque, qui arrive à dépasser les 600 points, rendant impossible le financement du pays sur les marchés. L'Etat formalise alors une demande d'aide à l'Eurogroupe, qui se concrétise sous la forme d'un prêt de 100 millions d'euros. "Il faut bien comprendre que cette intervention diffère du 'bail out', - plan de sauvetage qui veut que la "Troïka' -c'est à dire la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne- prenne le contrôle d’un pays et mette en place sa restructuration", précise Stéphane Vojetta. Et de lancer un pavé dans la marre : "Je reste convaincu qu'en évitant ainsi un bail out complet, l'Espagne a de la sorte perdu une opportunité". Pourquoi ? "Parce que je pense qu'en se contentant d'un prêt en contrepartie de quelques réformes à la marge, comme la hausse des impôts et la réduction de certaines prestations sociales, le pays a non seulement raté l'occasion de réformer structurellement l'Etat, son mille-feuille administratif et ses coûts associés, mais aussi d'accélérer la concentration et le nettoyage du secteur bancaire. Au contraire, sans contrainte externe forte, la sortie des actifs problématiques a trainé pendant de nombreuses années, les banques espagnoles continuant à espérer qu'un rebond du marché immobilier permettrait leur revente à un prix raisonnable, ralentissant d'autant le processus de sortie de crise". 

Stéphane Vojetta quitte finalement UBS en 2012. Approché par la suite par Luis de Guindos, ministre de l'Economie, pour rassurer les institutions étrangères sur la politique économique du pays, sollicité par le FROB -le fonds de restructuration des banques espagnoles- pour gérer le portefeuille de sociétés nationalisées, il monte finalement sa propre activité de conseil. "J'avais toujours eu la tentation de l'entrepreneuriat", justifie-t-il. Surtout, le Français est, après cette étape au contact des plus hautes instances du pays, rattrapé par une passion qu'il entretient depuis tout jeune, et qu'il a pu découvrir alors qu'il effectuait son service civil au Service d'information du gouvernement, sous la houlette de Manuel Valls : la politique, dans le sens du service public au plus haut niveau de l’Etat. "Après avoir été impliqué dans le sauvetage de l'économie espagnole, c'est progressivement devenu une évidence pour moi, ce besoin de travailler pour l'intérêt général". 

 

Bête noire des opposants politiques à Samantha Cazebonne

La suite est plus récente et un peu mieux connue : Président de l'APA du Lycée Français de Madrid de fin 2016 au printemps 2019 - il a récemment passé le flambeau mais assure rester impliqué dans l’activité de l’association- cofondateur avec Erwan Basnier du RAGEFE, le Rassemblement des Alumni des Grandes Ecoles Françaises en Espagne -il est lui-même alumni de l'ESSEC-, Stéphane Vojetta s'est au cours des dernières années fortement impliqué à l'échelle associative, au sein de la communauté française.

Par ailleurs, après avoir participé au comité de soutien d'Alain Juppé en 2016, il assiste en avril 2017 à l'une des premières réunions de Marcheurs en Espagne, répondant à l’invitation d’Ugo Lopez, coordinateur du mouvement en Espagne. "Je ne connaissais pas le mouvement. J'ai écouté et j'ai rencontré une volonté de changement et de renouvellement au-delà des partis traditionnels, une volonté de réforme de l'Etat, dans lesquelles je me suis retrouvé", résume-t-il. Son engagement aux côtés de la députée de la 5e circonscription, comme suppléant, constitue une continuité somme toute logique de cette démarche. "Cela a contribué à faire de moi une bête noire des opposants politiques à Samantha Cazebonne, particulièrement à Madrid", remarque-t-il avec un certain détachement. "Même si politiquement, mon implication à ses côtés se résume surtout à un rôle de représentation. J'en suis d'ailleurs très fier, de la même manière que je suis fier de représenter à travers Samantha le gouvernement et la majorité parlementaire actuelle".

 

J'aimerais aussi que nous puissions dégager du temps et de l'énergie sur d'autres sujets, notamment par exemple l'accompagnement des entrepreneurs et l'aide aux travailleurs indépendants français de la circonscription


 
"Le début du mandat de Samantha Cazebonne a été en grande partie accaparé par la réforme de l'AEFE", estime-t-il. "Car il est urgent que le réseau puisse fonctionner sans vivre une situation de crise permanente. C'est une des priorités des Français de l'étranger. Le Lycée français de Madrid constitue un centre névralgique du réseau AEFE. Avec un des effectifs et des budgets les plus importants, il constitue un énorme symbole, mais fonctionne aussi, à de nombreux égards, comme un grand laboratoire", poursuit l'ex Président de l'APA. "Pour ma part je continue à défendre les parents d'élèves, qui devraient être beaucoup plus impliqués dans les grandes décisions des établissements, comme les projets immobiliers, et je me bats afin que la hausse des frais de scolarité reste aussi limitée que possible". "Au-delà de ces aspects liés à l’AEFE, la présence consulaire et les outils mis au service des démarches administratives des expatriés, ainsi que la légitimité des représentants de ces derniers, constituent deux des autres préoccupations de nos concitoyens", analyse encore Stéphane Vojetta. "Quant au reste de la législature j'aimerais aussi que, avec Samantha,  nous puissions dégager du temps et de l'énergie sur d'autres sujets, notamment par exemple l'accompagnement des entrepreneurs et l'aide aux travailleurs indépendants français de la circonscription. Ce sont des populations qui prennent des risques au quotidien et pour qui un soutien de la France, notamment logistique et financier, serait le bienvenu".

 

Le financement du nouveau stade Santiago Bernabeu

Dans un "schéma moins normé", "plus indépendant et plus créatif", associé actionnaire depuis 2015 de Key Capital, une structure d'une cinquantaine de personnes montée par des Français de Madrid, il se frotte quant à lui désormais avec succès à l'aventure entrepreneuriale. Elle l'a ramené, l'an dernier, sur ses premiers pas dans le pays, au Santiago Bernabeu. Cette fois-ci Zinedine Zidane y officiait comme entraîneur, avec le succès qu'on lui connaît, et Florentino Pérez était depuis longtemps déjà de retour à la Présidence du club, avec sous le bras un des projets dont il a le secret : un relifting complet du stade merengue, pour un coût estimé de quelque 800 millions d'euros. "Notre structure est spécialisée dans le corporate finance", explique Vojetta. "Nous conseillons nos entreprises partenaires dans la structuration et le financement d'opérations très complexes, en coordonnant l'ensemble des parties concernées, mais trouvons aussi les solutions souvent innovantes à leurs besoins de financement". Key Capital avait déjà accompagné ACS, la première multinationale de concessions d’infrastructures au monde -présidée par Florentino Pérez- lors de son acquisition d'Abertis en 2018. Pour la réforme du Bernabeu, Key capital a permis au club madrilène de se tourner vers le marché obligataire américain, "beaucoup plus habitué à financer des stades que le marché européen". Une belle opération, qui a dû définitivement réconcilier l'entrepreneur lorrain avec le club. 

L'activité de conseil promue depuis l'Espagne par Key Capital devrait donc encore avoir de beaux jours devant soi, d'autant que pour Stéphane Vojetta le pays ne risque aucune surchauffe immobilière. "Le marché immobilier en Espagne n'est pas comparable à celui antérieur à la crise", décrypte-t-il. "Le nombre des transactions y est inférieur de 30%, et le nombre et montant moyen des hypothèques inférieur de près de 50%. Par ailleurs, les banques ne prêtent plus la totalité du montant de l'achat immobilier, comme elles ont pu le faire par le passé. Enfin, dans certaines zones de l'Espagne, à Soria, ou en Extrémadure par exemple, les prix sont encore à la baisse, contrairement à ce que l'on peut croire depuis Barcelone ou Madrid. Si les prix à l’achat et à la location montent aujourd'hui dans la capitale, c'est que le marché est plus étroit. Il y a moins d’offre et les acheteurs sont disposés à faire plus d'efforts pour un produit immobilier qui leur plaît. Plus concrètement concernant Madrid, la hausse de l'immobilier est liée à un vrai boom que connaît la capitale. La population explose, les entreprises arrivent en grand nombre, la fiscalité attire les investisseurs... On observe de partout une poussée de l'immobilier logistique et de l'immobilier commercial, de nouvelles infrastructures, de nouveaux restaurants. Madrid est devenu un vrai pôle d'investissement international, qui pousse le dynamisme de la capitale de façon pérenne et qui explique la hausse des prix".
 

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