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Le Prix Mujeres Avenir 2022 consacre le courage de deux femmes africaines

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Julia Robles
Écrit par Vincent GARNIER
Publié le 4 mars 2022, mis à jour le 6 mars 2022

Dans le cadre de la 5e Conférence internationale Femmes et Diplomatie, qui s'est tenue jeudi 3 mars au sein ministère espagnol des Affaires étrangères, l'association d'amitié hispano-française Mujeres Avenir a réuni 4 ambassadrices en poste à Madrid et la Secrétaire Générale de l'Organisation ibéroamériacine de la Sécurité sociale, pour débattre depuis une perspective de genre, autour du 8e point du Programme des Nations Unies de développement durable à l'horizon 2030 : Travail décent et croissance économique. La conférence a constitué l'occasion de mettre en valeur l'engagement de deux femmes issues du monde de la francophonie, la Sénégalaise Yayi Bayam Diouf et la Congolaise Mathilde Mihigo, dont l'action sur le terrain promeut l'indépendance économique des femmes de leur région respective, comme solution face aux problèmes plus globaux de l'immigration clandestine et de la guerre ethnique.

 

En présence de la Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et Globales d'Espagne Ángeles Moreno Bau -mais aussi de l'Ambassadeur de France en Espagne Jean-Michel Casa, de la Consule Générale de France à Madrid, Marie-Christine Lang et de nombreux diplomates en poste dans le pays- la rencontre a regroupé une centaine d'assistants, sous un format à mi-chemin entre le retour à la normalité et le maintien de certaines restrictions Covid, avec la persistance de jauges et la retransmission en streaming de rigueur. Surtout, en dépit des travaux en cours au sein de l'école de Diplomatie, traditionnel amphytrion de la manifestation, sa tenue au sein du nouveau siège du ministère des Affaires étrangères a participé à resserrer un peu plus encore les liens entre l'association et l'univers diplomatique. Mujeres Avenir défend depuis plusieurs années déjà l'internationalisation de son action et la perspective transfrontalière de la lutte pour l'égalite hommes-femmes. "Dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars prochain, il était important que nous portions le débat hors des frontières de l'Espagne", a insisté la Présidente de l'association Maria Luisa de Contes. La tendance n'est pas nouvelle : ancré dans le socle de l'amitié entre la France et l'Espagne, le rayonnement de Mujeres Avenir s'étend aux mondes de la francophonie et de l'hispanité, et au-delà, pour passer un message à valeur universelle.

 

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Ángeles Moreno Bau, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et Globales d'Espagne / Julia Robles

 

En introduction des débats, Ángeles Moreno Bau a tenu à rappeler le sens donné à l'intégration de la notion "féministe" à la politique extérieure espagnole, inscrite dans un programme stratégique d'action extérieure 2021-2025, "en cohérence avec la volonté du gouvernement de mettre au premier plan les principes d'égalité de genre et de les transmettre au plan international". "Notre ambition est d'être à la pointe des initiatives, au plus haut niveau, pour réduire les inégalités hommes-femmes", a-t-elle déclaré. "C'est un élément distinctif de notre politique extérieure".

 

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Maria Luisa de Contes a pour sa part tenu à souligner "la surprenante difficulté d'organiser des conférences internationales où l'agenda internationale féministe soit protagoniste". Comme fil conducteur de cette 5e Conférence internationale Femmes et Diplomatie, c'est donc le 8e objectif de l'Agenda 2030 des Nations Unies qui a été retenu, "Travail décent et croissance économique", après notamment "Paix, justice et institutions solides" l'an dernier (16e objectif), "Les inégalités dans le monde" en 2020 (10e objectif), ou encore "Penser équitablement, bâtir intelligemment, innover pour le changement" en 2019. "A titre purement informatif et non limitatif, observons que les hommes gagnent en moyenne 12,5% plus que les femmes dans 40 des 45 pays où l'on dispose de chiffres, tandis que la brèche salariale dans le monde s'élève à 23%", a exprimé la Présidente de l'association en préliminaire des échanges. "Le taux de particpation des femmes dans la vie active, à l'échelle mondiale est de 63%, contre 94% pour les hommes", a-t-elle ajouté, "et les femmes se chargent 2,6 fois plus que les hommes des tâches non rémunérées à caractère domestique ou des soins aux membres de la famille". Face à ce panorama résolument inégalitaire, et auquel il serait possible de rajouter un long "etcaetera", rappelons encore qu'il faudrait trois générations pour atteindre l'égalité de genre au sein de l'UE, selon le rapport 2021 de l'Institut d'inégalité de genre : "Nous ne pouvons pas nous permettre de maintenir ce rythme", a estimé la Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et Globales d'Espagne.

 

Le taux de particpation des femmes dans la vie active, à l'échelle mondiale est de 63%, contre 94% pour les hommes

 

Au cours des échanges, modérés par María Jesús Conde Zabala, Ambassadrice en mission spéciale pour la politique extérieure féministe du gouvernement espagnol, Hala Keyrouz, Ambassadrice du Liban, Nives Malenica, ambassadrice de Croatie, Danka Savic, ambassadrice de Bosnie Herzégovine, Fatma Omrani Chargui, ambassadrice de Tunisie, et Gina Magnolia Riaño, Secrétaire Générale de l'Organisation ibéroamériacine de la Sécurité sociale, ont décliné l'approche du 8e objectif des Nations Unies dans chacun de leur pays et région, selon la perspective de genre. Avec des réalités contrastées et des histoires récentes souvent mouvementées, passant des conflits ethniques de l'ex Yougoslavie au Printemps arabe en passant par l'explosion du port de Beyrouth ou la crise des réfugiés syriens, les intervenantes ont toutes souligné le rôle joué par la pandémie dans la régression en matière d'égalité de genre. "Tous les 8M constituent l'occasion de débattre d'anciennes et de nouvelles questions sur l'égalité de genre", a estimé la représentante de Bosnie Herzégovine, qui a évoqué "la diversité ethnique" du pays, "les normes patriarcales de la société" et l'importance de l'économie informelle. "En dépit des programmes de promotion de l'eentrepreneuriat féminin, les femmes choisissent rarement l'auto-emploi", a-t-elle constaté, "choisissant plus souvent de travailler à temps partiel ou de se dédier aux tâches domestiques". Cet état des lieux a concordé à bien des égards à celui dressé par l'ensemble des intervenantes, et même si les initiatives visant à réduire les inégalités hommes-femmes ont aussi été déclinées, les débats ont participé à mettre en relief un évident atavisme de la société à l'heure de rompre avec son organisation patriarcale. Comme l'a souligné Hala Keyrouz, ambassadrice du Liban, "Nous sommes conscients que la participation pleine et équitative de la femme, dans toutes les domaines, aidera à surmenter la crise que nous vivons et permettra de créer une société plus juste et une économie inclusive".

 

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Une centaine de personnes ont assisté à la conférence / Julia Robles

 

L'intervention de Fatma Omrani Chargui, Ambassadrice de Tunisie, a pourtant à cet égard rompu un certain nombre de stéréotypes. "L'emploi constitue une thématique stratégique de notre politique intérieure", a-t-elle expliqué, "le travail est un droit constitutionnel, avec la garantie pour les hommes comme pour les femmes d'un travail décent et d'un salaire juste, comme reflété par la Constitution de 2014". "Nous célébrons la journée de la Femme deux fois par an", a encore commenté l'ambassadrice, "le 8M et le 13 août, en mémoire du 13/08/1950 et de l'adoption du Code de la Famille, qui a positionné la Tunisie à l'avant-garde sur certains aspects [relatifs à l'émancipation de la femme]". Avec Najla Bouden, première femme à la tête du gouvernement tunisien, "nous espèrons que des mesures beaucoup plus favorables à l'égalité seront prochainement adoptées", a-t-elle poursuivi, "et que la consultation citoyenne en cours permette la modification du code électoral et favorise l'accès d'un plus grand nombre de femmes aux responsabilités politiques". L'intervention de l'ambassadrice de Croatie, Danka Savic, a elle aussi été marquée par l'optimisme. "Pour protéger les femmes sur le marché du Travail, la Croatie a développé une importante législation", a-t-elle exprimé, évoquant le rôle de l'autonomie économique des femmes dans la question de l'égalité de genre. 

Gina Magnolia Riaño, Secrétaire Générale de l'Organisation ibéroamériacine de la Sécurité sociale, a en fin de comptes résumé en quoi l'objectif 8 de l'agenda 2030, débattu autour de la table, s'avère crucial concernant la question de l'égalité de genre. "La croissance n'est pas une fin en soi, mais un moyen, qui doit permettre une meilleure qualité de vie", a-t-elle jugé. Et d'ajouter : "Le Travail décent, c'est aussi l'élimination du travail des enfants ou de l'économie informelle, mais encore une meilleure protection sociale ou une hausse de la productivité, via des politiques de promotion de l'innovation et de la créativité". 

 

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Les représentantes du Sénégal et du Congo, en compagnie de Maria Luisa de Contes / Julia Robles

 

Dans la foulée, la remise du 5e Prix Mujeres Avenir a donc récompensé deux femmes africaines. C'est Marie-Christine Lang, Consule générale de France à Madrid, qui s'est chargée de remettre le Prix à la Présidente du collectif des femmes pour la lutte contre l’émigration clandestine, la Sénégalaise Yayi Bayam Diouf. "Yayi Bayam Diouf s'est engagée dans ce combat, suite à la perte de son unique fils, au large des côtes des Canaries, alors qu’il tentait de gagner l’Europe", a-t-elle évoqué. "Son organisation « Collectif des femmes pour le développement intégré » participe à un effort multiple de prise de conscience et de prévention, afin d’éviter que les jeunes Sénégalais n’aient recours à l’émigration illégale comme unique voie de prospérité économique. Le collectif renverse les mythes de succès sur les projets d’émigration et montre une réalité crue, celle des migrants qui finissent trop souvent noyés en haute mer, exposés aux éléments ou confrontés à de très difficiles conditions de vie des immigrés clandestins en Europe". 

Pour sa part, Alicia Rico Pérez del Pulgar, Directrice Générale pour l'Afrique au sein du ministère espagnol des Affaires étrangères, s'est chargée de remettre le second Prix à la Congolaise Mathilde Mihigo, pour son travail au sein du projet des Nations Unies "Le Droit des femmes à la Protection et à la Participation pour l’Egalité et la Paix autour des mines artisanales du Sud-Kivu". Son engagement est crucial dans un contexte de guerre civile où les groupes armés ont à maintes occasions utilisé le corps des femmes comme arme de guerre. Une réalité extrêmement crue, que le Prix décerné par Mujeres Avenir a permis de visibiliser un peu plus et d'inclure dans une lutte plus globale, qui se défend(aussi) entre diplomates.