Selon la Constitution espagnole, "aucune confession n’a le caractère de religion d’Etat". Pourtant, le 2 juin dernier, la prise de fonction de Pedro Sánchez, sans Bible ni crucifix, autant de signes religieux qui étaient jusqu’alors de mise, a constitué une première dans la démocratie espagnole et l'intention n'est pas passée inaperçu.
Le nouveau président a clairement entendu faire passer un message en incarnant la laïcité d’Etat qu’il entend représenter, dans l’optique de mettre fin à des "privilèges hérités du passé", selon lui.
Da fait, même si l’article 16.3 de la Constitution espagnole de 1978 pose qu’"aucune confession n’a le caractère de religion d’Etat", les symboles catholiques et les avantages de l’Eglise, liés à l’histoire du pays, sont encore nombreux en Espagne. Les fêtes et jours fériés d’origine catholique remplissent le calendrier officiel, avec notamment la Semaine Sainte à Pâques. La société est encore majoritairement catholique, même si depuis le début du XXIe siècle, une sécularisation très rapide est à l’œuvre en Espagne. Selon l’étude "Laïcité en chiffres 2017" de la Fondation Ferrer i Guardia, les jeunes non-croyants (53,5%) ont pour la première fois dépassé ceux qui croient en un Dieu. Seulement 22% des mariages ont été célébrés selon le rite catholique, alors qu’il y a presque 20 ans, les trois quarts étaient célébrés par l’Eglise. L’Espagne est un des pays européens qui s’est laïcisé le plus rapidement, en seulement 20 ans. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette sécularisation, selon le sociologue Javier Elzo, qui affirme que l’étape franquiste, où le catholicisme était la religion d’Etat et sa pratique était obligatoire, a provoqué une réaction des Espagnols, notamment des jeunes, qui associent la religion à la droite ou l’extrême droite conservatrice. La place donnée à la femme par l’Eglise a également été selon lui un facteur clé du passage d’une religion "de masse" sous le franquisme à un culte de conviction personnelle.
L’Espagne est un des pays européens qui s’est laïcisé le plus rapidement
Cependant, dans la loi et les institutions publiques, la laïcité a encore du mal à s’imposer. Il existe encore des accords entre l’Etat espagnol et le Saint-Siège, souscrits en 1979 dans la continuité du Concordat entre le régime franquiste et l’Eglise, qui concernent la justice, l’enseignement et la culture, l’assistance religieuse dans les forces armées et le domaine économique. A tous les échelons de la sphère publique, l’article 16.3 de la Constitution se voit souvent enfreint par les représentants de l’Etat, qui jurent sur la Bible, arborent des croix dans les mairies ou assistent à des événements religieux dans le cadre de leur fonction. L’Espagne n’est donc pas un pays laïc, au sens idéologique du terme, qui entend que la religion soit reléguée à une affaire personnelle et privée, qui n’a pas sa place dans les affaires publiques, comme l’école par exemple. En effet, dans l’enseignement public comme privé, la loi LOMCE entrée en vigueur en 2015, prévoit que les élèves puissent choisir des cours de Religion catholique, qui comptent dans leur moyenne générale au même titre que les mathématiques par exemple.
La loi LOMCE entrée en vigueur en 2015, prévoit que les élèves puissent choisir des cours de Religion catholique, qui comptent dans leur moyenne générale au même titre que les mathématiques par exemple
Dernièrement, un décret de la Communauté de Madrid prévoit de donner la possibilité aux candidats du Bachillerato de choisir la religion comme option, une note qui influencera leurs résultats et donc leur entrée en études. Tous les établissements de la région seront donc obligés d’enseigner cette option. Les élèves dans le secondaire public sont donc de plus en plus nombreux (40%) à choisir la matière, jugée plus simple que la matière "Valeurs éthiques" par exemple, autre option enseignée par des professeurs de philosophie qui notent de manière plus exigeante. Le Congrès espagnol a demandé en février dernier au Gouvernement de retirer la matière Religion de l’offre pédagogique, pour garantir la laïcité du système éducatif.
Le domaine juridique est l’autre terrain de lutte principal pour la laïcité. En effet, le Code Pénal condamne toujours le délit de blasphème, hérité de la dictature, et dénoncé par de nombreux juristes espagnols. La dernière condamnation en date est celle d’un ouvrier de Jaén avec une amende de 480 euros pour avoir diffusé un montage de son visage avec la couronne d’épines de Jésus Christ. Il n’y a même pas eu de procès, car la Défense a choisi de trouver un accord avec le parquet pour éviter une peine supérieure, qui peut aller jusqu’à 6 ans de prison et peut-être influencée par les croyances des juges. Pour Patricia Laurenzo, professeure de Droit Pénal et experte en délits de haine, "dans un Etat aconfessionnel l’existence d’un tel délit qui protège spécifiquement la religion n’est pas justifiée, quand il existe déjà des délits généraux comme celui de contrainte ou d’atteinte à l’honneur qui protège déjà la liberté religieuse". En 2014, trois féministes qui défilaient avec une vulve parée d’une cape bleue lors de la manifestation du 1er mai ont écopé de chacune 3.000 euros d’amende, pour "raillerie du dogme de la sainteté et de la virginité de la Vierge Marie". En Espagne, la religion majoritaire, liée aux fondements historiques et culturels, bénéficie encore d’une attention particulière et d’avantages spécifiques.