Les effets de la pandémie générée par le Covid-19 ont particulièrement frappé l’Espagne dépeuplée tout en nourrissant cependant réflexions, prises de conscience et espoirs pour cette partie du pays marginalisée.
L’Espagne du vide, ou "Espaňa vacía", est une réalité qui depuis vingt ans fait l’objet de débats animés et de fortes revendications outre-pyrénées, avec une acuité particulière ces cinq dernières années. Il s’agit d’une grande partie de l’Espagne rurale, l’Espagne oubliée, victime des diverses vagues de l’exode rural qui se sont succédées depuis la fin de la Guerre civile : des territoires mal connectés, sans grande activité ni actifs, où la moyenne d’âge ne cesse de vieillir, mais qui représentent une part importante de l’espace national. L’Estrémadure et les provinces de Soria ou de Teruel illustrent parfaitement ce phénomène. D’autres secteurs, moins étendus, pourtant relativement proches de la capitale, connaissent les mêmes difficultés (sierra nord de Madrid, campagne de Guadalajara, étendues de la Manche...)
Des mesures de confinement particulièrement handicapantes et dures pour ces territoires enclavés territorialement et technologiquement
La pandémie liée au Covid-19 et l’état d’alarme décrété par le gouvernement espagnol ont aggravé cette situation. Les mesures de confinement, au plus fort de la crise, ont pesé considérablement sur le quotidien des personnes demeurant dans ces espaces, du fait notamment de l’isolement extrême, de l’éloignement des lieux d’approvisionnement et de l’absence de structures sanitaires à proximité. L’hôpital le plus proche pour certaines localités de la meseta castillane se trouve par exemple à plus d’une heure de route. La sensation d’enclavement et de paralysie a été accentuée par un accès limité au monde numérique rendant en particulier parfois impossible l’enseignement à distance pour les écoliers demeurant dans les zones les plus marginales.
Les campagnes ont pourtant joué un rôle important dans la manœuvre de résilience de l’État espagnol et ont vu leur image valorisée
Au fil de la crise et des restrictions, le pays s’est toutefois soudainement souvenu du caractère vital du secteur agricole local, base de la filière agro-alimentaire, un des rares domaines d’activité autorisé à fonctionner au plus fort du confinement. La nécessité de disposer de produits issus de l’agriculture et de l’élevage nationaux ainsi que de privilégier les circuits courts ont mis en relief l’importance d’une grande partie de ces territoires oubliés. Les campagnes sont ainsi devenues un des acteurs majeurs de la résistance face au Covid.
Le télétravail et une nouvelle attractivité du monde rural dans ce début d’ère post Covid-19 constituent des sources d’espoir pour ces territoires
Par ailleurs, le recours quasi généralisé au télétravail imposé par la pandémie et les premiers retours d’expérience sur le fonctionnement de cette solution ouvrent de nouvelles perspectives et espoirs pour ce monde oublié et les tenants de son développement. Bon nombre de télétravailleurs ont en effet choisi de quitter les villes ou leurs ceintures périurbaines pour se rendre dans des communes rurales où ils disposaient de possibilités d’hébergement quand la désescalade et les employeurs l’ont permis. Dans une Espagne où le prix de l’immobilier urbain reste en général considérable au regard du niveau de vie moyen et où les préoccupations environnementales sont fortes, le télétravail pourrait être une voie de salut pour ce monde rural qui verrait s’installer des actifs attirés par le faible coût de la vie et un cadre réputé agréable. Dans un futur proche, les pouvoirs publics devraient encourager le travail à domicile ne serait-ce que pour limiter les déplacements quotidiens domicile–travail extrêmement polluants. La clef, la possibilité, pour que l’Espagne du vide puisse espérer profiter de cela réside en très grande partie sur la connexion de ces espaces au monde numérique. Un des défis majeurs pour ces territoires se trouve à ce niveau.
Ultime opportunité
Les espoirs du monde rural en cette période de sortie de confinement et de nouvelle normalité sont également symbolisés par les signes de dynamisme que connaît actuellement le tourisme rural ou vert. Selon la majorité des experts, le nombre de réservations à destination d’espaces naturels et ruraux va connaître ces prochaines semaines une forte progression en Espagne. L’impossibilité jusqu’alors de réaliser de longs trajets, des trajets interrégionaux, a déjà favorisé cette tendance. Les fortes réticences pour de nombreux Espagnols pour rejoindre des lieux touristiques très densément occupés et le besoin de grands espaces engendré par de longues semaines de confinement expliquent ces choix.
Les professionnels du tourisme ne s’y sont pas trompés et la mise en valeur médiatique de nombreux sites appartenant à l’Espagne du vide va actuellement bon train : la liste des localités pittoresques espagnoles, les villages aragonais ou ceux de la sierra de Madrid sont par exemple très présents dans les sites spécialisés.
L’Espagne du vide se trouve ainsi, à l’ère du Covid 19, dans une espèce de croisée des chemins décisive : soit ces territoires sont soutenus et se dynamisent à la faveur des politiques de sortie de crise, soit ils s’éteignent définitivement avec tous les problèmes que cela représente pour l’Espagne. Le député de Teruel Tomas Guitarte parlait ainsi le 13 juin dernier lors d’une conférence de presse "d’ultime opportunité".