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Histoire de Madrid: le temple de Debod

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Illán Riestra Nava on Unsplash
Écrit par Quentin Gallet
Publié le 21 juillet 2020, mis à jour le 8 septembre 2024

Madrid renferme bien des curiosités. Certaines sont bien cachées au détour des rues étroites du centre-ville, d’autres étalent leur majesté à la vue des marcheurs même les moins attentifs. 

 

Le temple de Debod est caché tout en étant perché, discret tout en étant majestueux. Le monument égyptien, qu’on n’attend pas franchement dans une ville espagnole, dégage une irrésistible aura venue de l’aube des temps. Le temple de Debod est un monument fascinant qui gagne à être connu, qui offre aussi l’une des plus belles vues sur le Madrid des rois. 


Un peu d’histoire

Puisque tout se compte en dates, inutile de déroger à la règle. Le temple de Debod que le touriste, l’habitant, le curieux ou l’étudiant admire en 2019 a plus de 2.200 ans d’âge ! Pour ceux qui en doutaient encore, la pierre est une valeur sûre. 

La construction du monument commence au tout début du IIe siècle avant Jésus Christ. A cette époque, Rome est la puissance incontournable de la Méditerranée. L’«Urbs» a totalement supplanté les cités grecques qui ont connu leur apogée avec Athènes et Spartes. Rome, qui n’est pas encore un empire, copie toutefois ces glorieux prédécesseurs et, ce faisant, nous transmet l’héritage artistique, philosophique et culturel des Grecs. 
Sur la rive sud de la Méditerranée, l’Egypte est gouvernée par une famille d’origine grecque, les Ptolémée. On connait bien cette lignée grâce à Cléopâtre, la plus célèbre mais aussi la dernière souveraine indépendante de l’Egypte avant que le pays ne soit absorbé par Rome. Là aussi, la splendeur est passée : le souvenir des grands pharaons se perd dans la nuit des temps. 

Le temple de Debod n’était à l’origine qu’une petite chapelle située dans le sud de l’Egypte, proche de la première cataracte du Nil et à une quinzaine de kilomètres de l’actuelle ville d’Assouan. Le monument fut élevé juste à côté du village de Debod auquel il doit bien entendu son nom. 
Cette chapelle fut à sa construction dédiée à Amon. Il est l’une des principales divinités du panthéon égyptien. Surnommé le "Caché", il est représenté le plus souvent sous la forme d’un pharaon, homme coiffé d’un pshent surmonté de deux grandes plumes. Pour se donner une idée de l’importance de cet Amon, les Grecs associèrent rapidement sa figure avec celle du grand dieu Zeus de la mythologie. 

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 Le dieu égyptien Amon dit le "Caché"

Parité oblige, le temple de Debod est aussi la maison d’une des déesses les plus aimées en Egypte : la grande magicienne Isis. Dans la région de Debod, son culte est tellement ancré qu’il survivra près de 600 ans à la mise en place du christianisme. 

 

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La déesse égyptienne Isis


Avec le temps, la chapelle originelle a été agrandie et complétée par les pharaons bien sûr mais aussi sur ordres d’empereurs romains comme Auguste ou Hadrien dont la fascination pour l’Egypte antique est bien connue. 

Le temple de Debod actuellement visitable comporte cette petite chapelle d’une époque oubliée. Les visiteurs peuvent y admirer des scènes religieuses. D’autres vestibules et petites pièces jouxtent ce temple primitif. L’autel dédié à Amon se trouve dans la chapelle du "naos", le saint des saints des temples égyptiens. 

La maison des dieux

Si le temple est de nos jours accessibles à tous, tel ne fut pas toujours le cas. En effet, dans l’Antiquité, les temples égyptiens étaient avant tout considérés comme la maison des dieux : ici, en l’occurrence, celle d’Amon et d’Isis. A ce titre, seuls le pharaon et les prêtres pouvaient y pénétrer. Il ne faut pas imaginer des soldats, des paysans et encore moins des esclaves déambuler dans les pièces les plus sacrées du monument. 
Les religieux autorisés avaient la lourde tâche de prendre soins des statuettes des divinités auxquelles les Egyptiens de l’époque accordaient une importance considérable. 
Contrairement à ce qui se pratique de nos jours (où les gens viennent admirer le coucher de soleil -qui vaut le détour, nous y reviendrons), la magie opérait à l’époque à l’aube où les prêtres réalisaient d’immuables rituels avec attention et dévotion. Le prêtre avait une grande importance dans la société égyptienne de l’Antiquité. Véritable intermédiaire entre les vivants et les dieux, il était indispensable pour préparer le grand voyage dans l’au-delà. 

Plus de 800 ans après sa construction et une histoire riche faite d’ajouts égyptiens, grecs et romains, le temple de Debod est fermé suite à un décret de l’Empereur Justinien au VIe siècle après Jésus Christ. 
Les temps ont changé à nouveau. L’Empire romain d’Occident n’est plus mais son pendant oriental, dont l’Egypte actuelle fait alors partie, lui, survit. Le temple dédié à des divinités païennes et donc discréditées par la religion chrétienne doit fermer ses portes. 


Une lente redécouverte

Pour autant, le temple ne tombera pas dans l’oubli. Il fera l’objet de pèlerinages par quelques rares fidèles de l’ancienne religion polythéiste. Il sera visité par les chrétiens puis les musulmans, chacun laissant se petite trace dans le vieux monument. 
Plus tard, l’intérêt pour le temple va rejaillir avec la célèbre expédition d’Egypte de Napoléon. Champollion, le déchiffreur des hiéroglyphes, en fit d’ailleurs une brève description. 

 

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Temple de Debod au milieu du XIXème siècle / Photo tirée du domaine public

Tout au long du XIXe siècle, aventuriers et égyptologues de tous poils se succédèrent et apportèrent leur petite pierre à l’édifice de la connaissance de ce fascinant lieu. 


Bouger ou disparaître

Admiré, étudié et choyé au XIXe siècle, le temple de Debod fut malmené au XXe siècle. Le temps des romantiques qui se pâmaient devant les vieilles pierres était passé. L’époque était celle de la volonté modernisatrice qui animait une Egypte, sur le papier tout du moins, encore membre de l’Empire ottoman. La première Guerre Mondiale mettra fin à la domination turque sur la terre des pharaons. 
L’aménagement d’un premier barrage d’Assouan au début du siècle met en péril le patrimoine du sud de l’Egypte. Cinquante ans plus tard, l’affaire est encore plus sérieuse. Nasser est à la tête d’une Egypte indépendante et entend bien faire savoir au monde que son pays compte dans le grand concert des nations. Les infrastructures étant nécessaires au développement du pays, on décide la construction d’un second barrage d’Assouan (l’ancien ne donnant pas pleine satisfaction).
Le nouveau barrage doit alors retenir le volume titanesque de 150 millions de mètres cubes d’eau. Dans ces conditions, le patrimoine égyptien de la région se retrouvera au fond de l’immense lac créé par l’infrastructure hydraulique. La présence des monuments de l’Egypte ancienne aux environs d’Assouan pose problème. Ils vont tout simplement disparaitre, noyés sous les eaux, s’ils restent in situ. 
Mais l’affaire est suivie. Depuis quelques années déjà, plusieurs pays occidentaux s’alarment du sort des monuments du sud de l’Egypte. Dans la foulée, l’UNESCO tire la sonnette d’alarme. En Espagne, un comité de sauvetage est créé. 


Pourquoi l’Espagne ? 

L’édifice capital qu’il fallait sauver était alors le temple d’Abou Simbel : chef d’œuvre de l’Egypte antique que le pouvoir nassérien, cherchant à glorifier l’héritage pharaonique du pays, ne pouvait se permettre de voir disparaître sous les eaux. C’est ainsi que l’Espagne, les Pays-Bas, l’Italie et les Etats-Unis donnèrent de l’argent afin de sauver le monument. Reconnaissant, Nasser décida en 1968 de récompenser l’Espagne en lui offrant tout bonnement un des temples en péril. Le destin du temple de Debod en sera changé. La maison d’Amon et d’Isis trouvera refuge dans la très catholique Espagne du général Franco. 


Comment transporter un tel monument ? 

On imagine bien les difficultés inhérentes au transports des œuvres d’art, souvent prêtées d’un musée à l’autre. Or, c’est une chose que de déplacer la Joconde, compte tenu de son immense valeur, mais c’est une toute autre logistique que de faire traverser la mer à un temple de pierre. 
Le temple de Debod est démonté en 1960 et transporté, pierre par pierre, sur l’île Eléphantine sur le Nil en face de la ville d’Assouan, l’année suivante. Le temple "en kit" restera là pendant neuf ans jusqu’au mois d’avril 1970 quand les blocs de pierre descendront le Nil jusqu’au port d’Alexandrie. Nous sommes alors deux ans exactement après la donation officielle du temple par l’Egypte à l’Espagne. 
D’Alexandrie, les pierres du temple furent embarquées à bord du bateau à vapeur Benisa. Douze jours plus tard, le convoi touche la terre espagnole en accostant dans le port de Valence. 
Encore deux semaines et le monument de l’Egypte méridionale trouvait sa destination actuelle. 

Ne restait plus qu’à reconstruire l’édifice qui avait parcouru des milliers de kilomètres. Mais le plus dur était à venir. Il faut bien dire que le service des Antiquités espagnoles ne fut guère aidé dans sa tâche par les documents accompagnant le temple qui étaient sensés servir à sa bonne reconstruction. Ainsi, le plan du temple était sommaire et les photos prises en Egypte n’avaient pas toujours la clarté rêvée. De plus, le système de numérotation appliqué afin d’assembler les blocs de pierre souffrait de très nombreuses erreurs. 

Malgré tout, après deux ans de travail acharné, le temple de Debod est reconstruit. Afin de recréer, autant que faire se peut, le climat égyptien où le temple a vécu pendant deux millénaires, on décida d’installer l’aire conditionné afin d’y faire souffler un air chaud. Pour évoquer l’imposant Nil au bord duquel le temple de Debod a été construit, un bassin de faible profondeur fut aménagé devant les portes antiques.


Une vue sur le Madrid des rois

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Si le temple de Debod est une attraction touristique importante de la capitale espagnole, ce n’est pas uniquement parce que sa visite passionnera les amoureux de l’Egypte ancienne. En effet, son emplacement surplombe les environs. Ainsi, si on longe le temple par la gauche, on arrive à un large promontoire d’où on dispose d’une vue imprenable sur le Palais royal, la cathédrale de la Almudena et même la basilique de Saint-François-le-Grand. Un coup de tête vers la droite nous offrira aussi un très joli panorama des montagnes environnantes. 


Des couchers de soleil somptueux

Pourquoi ne pas profiter d’avoir monté les marches pentues de la colline où est installé le temple pour attendre le coucher de soleil ? En effet, il s’agit du nec plus ultra du monument. Aux alentours de 21h30 en été, le soleil descend lentement jusqu’à se coincer dans les arches monumentales du temple, pour le plus grand plaisir des touristes et des habitants. 
Les grandes pelouses qui bordent l’édifice permettent d’attendre en toute quiétude et au frais ce moment magique qui nous fait oublier que nous nous trouvons en Espagne et nous plonge immédiatement dans l’Egypte des pharaons. Il s’agit d’une expérience mémorable. 

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