LePetitJournal.com propose cette semaine, à défaut de pouvoir aller choper des acouphènes à un concert, une playlist par jour. Embarquez pour un aller-retour entre Paris et Londres dans cette série voyageant des sixties à nos jours. Après les années 60, 70 et 80, exploration de la révolution nineties, garantie 100% sans Spice Girls.
Earthling - I Could Just Die, 1995
L’album Radar du groupe de trip-hop originaire de Bristol sort en 1995. À sa sortie, son succès est timide. Il est évincé des spotlights par les mastodontes du genre qu’étaient Tricky, Massive Attack et Portishead. Entre 1994 et 1995, ces trois groupes sortent des albums tellement mythiques qu’ils reculent à vue d’oeil l’horizon du succès pour beaucoup d’autres à l’époque.
Mauvais timing, ça ne fait aucun doute, puisque Radar est loin d’être un album dépourvu d’intérêt. Ce premier album du groupe, très sombre, est une pépite assez méconnue du grand public. “Inquiétant et poisseux” pour les Inrocks, le rappeur Mau y traîne une morosité collante, presque dépressive. I Could Just Die ne déroge pas à la règle mais s’accompagne d’une voix chuchotante, lointaine, et de sonorités hypnotiques façon trip de drogue dure.
I Could Just Die raconte un trip hallucinogène puissant duquel Earthling (“les Terriens”) ne veulent plus redescendre, pourvu qu’ils s’y livrent corps et âme. Les Terriens, semblent alors vouloir s’extirper de leur misérable condition humaine, comme des aliens piégés dans un corps de chair et dans une vie de souffrance “I know what it's like to wanna die / If only for a second, it's like many say, I could just die” (Je sais ce que c’est de vouloir mourir / Si seulement, pour une seconde, comme on dit, je pouvais juste mourir).
Bob Sinclar, Thomas Bangalter - Gym Tonic, 1998
“Un personnage mystérieux hante depuis quelques mois déjà les dancefloors du monde entier. À la scène, son nom est Bob Sinclar, comme le personnage campé par Jean-Paul Belmondo dans "Le Magnifique". Mais, moins athlétique que Bébel, notre homme, avec sa fine moustache, évoque davantage un croisement gaguesque de James Bond et de Simon Templar”, c’est ainsi que le DJ français Bob Sinclar était présenté sur Rfi le 14 janvier 1999. Aujourd’hui il est internationalement connu pour ses tubes World, Hold on, Rock This Party, ou encore Love Generation. Le prétendu Bébel au rabais tient sa vengeance.
À la fin des années 1990, Bob Sinclar rencontre Thomas Bangalter, qui n’est autre qu’un tiers du groupe Stardust (The Music Sounds Better With You), et la moitié du duo Daft Punk, qui explosent à l’époque avec leur album Homework. Ensemble, ils produiront Gym Tonic, un revival du "two, three, four, five, six, seven, eight and back" d’une Jane Fonda à sa période fitness. Le titre phare de l’album Paradise, boucle groovy et minimaliste, tourne alors sans interruption aucune dans les boîtes de nuit françaises, et propulse la carrière de Bob Sinclar au rang d’icône.
Fatboy Slim - Praise You, 1998
À la fin des années 90, Fatboy Slim secouait les continents par son album You’ve Come A Long Way, Baby. Avec des tubes planétaires comme Right Here, Right Now ou The Rockafeller Skank, le DJ britannique s’offre une place au soleil parmi les plus grands.
Praise You fait partie des très, très bons morceaux de l’album avec son mix de sonorités électroniques et d’instruments plus classiques. Mais le morceau a surtout été retenu par l’histoire pour son clip déjanté devenu culte. Il est tourné à Los Angeles devant un cinéma, sans aucune autorisation préalable. L’idée avait été soumise par Spike Jonze, un réalisateur américain ayant travaillé avec Björk, Daft Punk, LCD Soundsystem, Beastie Boys, Tenacious D… la liste est longue, mais vous comprenez l’idée.
Pour le clip, Jonze caste un groupe de danse fictif qui se lancent dans une chorégraphie au ridicule maîtrisé, comme un flashmob avant le flashmob. Sous l'œil perplexe et amusé des spectateurs (parmi lesquels se cache Fatboy Slim) est alors filmé un des clips les plus cultes, qui sera récompensé par trois grands prix des MTV Music Awards de 98.
Fatboy Slim est aussi connu pour ses performances devant des foules hallucinantes : en 2002, il donne un concert sur une plage de sa ville de cœur, Brighton. 250 000 personnes noircissent le lieu, soit quasiment 200 000 de plus que l’affluence attendue par l’organisation de l’évènement. Gros bémol : le bilan s’élèvera à environ 160 blessés.
Air - Sexy Boy, 1998
Les Versaillais du groupe AIR tiennent une place de choix dans le renouveau de la musique électronique française des années 90. Aux côtés de DJ tels qu’Etienne de Crécy, Laurent Garnier ou les Daft Punk, ils insufflent un vent nouveau et mènent la Révolution Assistée par Ordinateur.
Seulement, à l’inverse de beaucoup de leurs contemporains, AIR s’éloigne des dancefloors pour proposer des morceaux faits d’ondes, célestes et éthérés. Pour la journaliste Marine Normand, le duo serait “le visage contemplatif de la French touch” au sein de la scène électro française de l’époque.
Sexy Boy ne déroge pas à la règle. C’est un morceau mystérieux et langoureux où des voix féminines s’étirent et se déforment sous l’effet du vocodeur. La mélodie semble débarquée d’une autre planète avec ses sons cosmiques, ses voix françaises de sirènes lointaines et ses notes de synthés qui spiralent jusqu’à provoquer un état hypnotique.
Beastie Boys - Intergalactic, 1998
Le groupe hard rock/hip-hop phare des nineties débarque en 98 avec son cinquième album Hello Nasty. Dans son classement des albums sacrés, le site La Bible Urbaine rappelle les influences de cet album “Très varié, Hello Nasty est, certes un hommage au passé, mais également un clin d’œil à aux cultures geek et populaire.”
A l’instar de Praise You, c’est le clip d’Intergalactic qui fera le buzz à l’époque. Le réalisateur Adam Yaunch y met en scène le groupe dans un délire à mi-chemin entre humour, parodie et science-fiction. Le pitch : un robot géant sème la terreur en se battant avec une toute aussi géante créature à tête de pieuvre. Façon Ghostbusters japonais, les Beastie Boys grimés en scientifiques fous rappent face-caméra, filmés en fisheye aquariumesque pendant que les monstres anéantissent la ville en carton-pâte.
Le clip serait un hommage aux films Kaiju japonais, et plusieurs scènes furent même tournées à Tokyo. Là aussi, la vidéo des rappeurs mélomanes raflera la récompense du meilleur clip aux MTV Music Awards de l’année concernée.
Suprême NTM - Laisse Pas Traîner Ton Fils, 1998
Outre-Manche, c’est dans l’électro et le rap que la France des années 90 s'illustre. Suprême NTM fait partie de ces groupes emblématiques ayant appartenu à ce que beaucoup considèrent comme l’âge d’or du rap. Les originaires de Saint-Denis se placent en fins observateurs et en porte-paroles des souffrances, des espoirs et des revendications sociales de leur époque.
Avec Laisse Pas Traîner Ton Fils, le crew met le doigt sur une des plaies les plus béantes d’une jeunesse “à l’aube de l’an 2000” laissée pour compte : le manque d’amour. Au milieu d’un système, machine infernale qui ne tourne que pour le bien de quelques-uns, les jeunes sont privés de repères et de perspectives d’avenir.
Suprême NTM rappelle à l’ordre, particulièrement les figures paternelles, de la nécessité d’une présence, d’un guide, d’un réconfort. Joey Starr évoque d’ailleurs dès le second couplet une relation père/fils chaotique autobiographique, dont les marques sont encore profondes. Pour le média participatif Mélo “Le texte place haut l’idée que renforcer les liens familiaux est un des remèdes à la violence sociale.”
Aphex Twin - Un mystérieux live set pirate du début de la décennie refait surface en 2019
Au début de l’année 2019, la chaîne Soundcloud Lofidelic Records a fait resurgir un trésor des années 90. Depuis 25 ans, l’auteur gardait chez lui un enregistrement cassette d’une heure d’un mix du DJ britannique Aphex Twin, de passage au club New-Yorkais le Limelight. Il le digitalise et nous offre alors une heure de magie techno, acid et noise où se devine du Dave Clarke craché par les enceintes devant une foule battant le sol de la boîte.
L’enregistrement est daté, la qualité sonore est limite, mais le magazine musical Dure Vie est extatique devant le joyau déterré “Il constitue peut-être l’un des derniers souvenirs du mythique club new-yorkais – et l’occasion d’écouter un set d’Aphex Twin à l’époque où vous n’étiez peut-être même pas nés. À l’écoute, on peut encore sentir l’énergie brute et moite du club, comme si l’on était immergé au milieu du public.”
Fabe & Koma feat. K-Reen - Mal partis, 1997
“Inscrit au panthéon du rap français”, c’est en ces termes que les Inrocks présentent la Scred Connexion. Ce groupe français originaire de Barbès à Paris est composé originellement des rappeurs Fabe, Koma, Haroun, Mokless et Morad. Aujourd’hui moqué par certains, ironisé sous l’étiquette de “rap conscient”, le rap d’alors se veut le mégaphone d’une jeunesse en souffrance. La Scred Connexion, "Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction", donne une voix à ceux qui n’en ont pas avec comme fil conducteur la non-violence.
Nous retrouvons deux des illustres membres du crew sur Mal Partis, sorti en 1997, réunis avec l’interprète K-reen par le DJ Cut Killer sur ce titre porteur d’espoir. Comment mieux décrire Mal Partis autrement que : plus années 90, tu meurs ? Syntaxe travaillée, propos lourds de sens, messages réfléchis et chœurs féminins, le quatuor rappelle à ceux qui se sentiraient lésés que rien n’est jamais couru d’avance. Mal partis vient marteler que les dés peuvent être jetés plus d’une fois.
En 2014, le DJ Cut Killer offre aux nostalgiques une petite piqûre de rappel en publiant une vidéo live d’une performance de Mal Partis. Pour ceux qui n'avaient pas la chance d’y être, c’est aussi une jolie session de rattrapage.
Blur - The Universal, 1995
Le 7 ème titre de l’album The Great Escape du groupe anglais est passé relativement inaperçu, en comparaison de Song 2 ou de Girls and Boys. Pourtant, pour beaucoup, il s’agit de l’un des meilleurs morceaux de Blur, élément qui marquerait en tout cas le passage à une nouvelle forme de légitimité du groupe. Plus intemporel, plus réflexif et se détachant de l’éternelle comparaison avec Oasis, The Universal compte quelques adeptes.
Dans un clip façon Orange mécanique aseptisé mimant un paradis artificiel et aux contours matelassés, Blur laisse couler son “When the days seem to fall straight through you / Just let them go” (“Quand les jours semblent te traverser / Laisse les simplement faire”). L’écriture du morceau laisse alors entendre une forme de résignation, voire d’abandon, face aux événements de la vie.
Mais certains y voient aussi un clin d'œil au lancement de la loterie britannique, en 1994, d’où la répétition incessante d’”It could be you” (Ca pourrait être toi), “It could really happen” (Ca pourrait vraiment arriver). À l’époque de la controverse de la loterie britannique qui finançait le rachat de biens de Winston Churchill MP, le groupe dénonçait alors un bonheur factice fait de billets de banque maintenus à portée de bras des pauvres mortels, baignés dans l’illusion de pouvoir un jour toucher le jackpot.
Boris (Philippe Dhondt) - Boris Fait Un Disque, 1997
Sympathique animateur de la radio locale Radio Galaxie, le Roubaisien Philippe Dhondt y met régulièrement en scène son alter-ego : Boris. Boris était un personnage de fiction auquel il fait vivre des aventures extraordinaires sur fond de musique trance. “Truc de drogués”, “underground”, l’animateur ne manque pas d’humour lorsqu’il évoque les débuts de ce qui deviendra une success story à la française. En 1995, Boris se matérialise et devient un album sur lequel figure le titre phare Soirée Disco. Plaisir d’initiés d’abord, puis de notoriété publique quelques temps après, l’album finit par se répandre dans les boîtes de nuit underground jusqu’aux plateaux télés mainstream (Arthur en fit le générique de son émission La fureur du samedi soir).
“Avec Boris je suis passé du statut « d’émission de radio de drogués » à celui de « Carlos de la techno ». Le Boris underground de Galaxie n’existait plus, il était devenu le beauf sympathique” analysera non sans second degré l’auteur du titre au magazine Gonzai, chroniqueur du Nord de la France devenu icône des soirées underground des nineties.
Aujourd’hui, Philippe Dhondt a disparu des boules disco pour redevenir ce qu’il a toujours aimé être : une voix. Les droits d’auteur de Soirée disco lui garantissant toujours un confortable bonus annuel, il est retourné vivre dans le Lot-et-Garonne où il confie à Purebreak être toujours très pris par diverses apparitions : “Ça peut être un Zénith ou une discothèque au fin fond de la campagne devant 200 personnes (...) J'arrêterai le jour où on ne voudra plus de moi. Tout simplement. Mais tant que je ne suis pas ridicule, je continue”.
Pour ne rien perdre de l’actu londonienne, abonnez-vous à notre newsletter en deux clics !