Certaines applications éduquent, d’autres amusent. Telmi, elle, fait parler les enfants. Plateforme éducative, pour les enfants de 6 à 12 ans, elle trouve son inspiration dans un destin acharné : celui de Véronique Trang. Après un parcours riche, allant d’Unilever à Ernst & Young, la fondatrice française choisit de consacrer son expérience à l’éducation. Elle crée Telmi, née de sa propre difficulté à prendre la parole en public et à la surdité partielle de son enfant. L’application permet aux enfants de créer facilement des podcasts et de s'entraîner à s'exprimer en public : “J’ai mis 25 ans à trouver ma voix, mais j’ai vu avec mon fils et ma fille la force qu’un enfant ressent quand il découvre sa voix, quand il se sent écouté.”
Jour d’examen, vous êtes appelé au tableau et malgré vos leçons apprises sur le bout des doigts, à l’oral, les mots se bloquent, les idées s’emmêlent. Cette scène, des millions d’enfants la connaissent, et beaucoup d’adultes aussi, qui n’ont parfois jamais appris à parler en public. Cette difficulté, Véronique en fait l’expérience, dès son enfance : “J’ai grandi dans une famille où la culture n’était pas orientée vers la discussion, et j'avais beaucoup de mal à prendre la parole en classe.” Au Royaume-Uni, on parle ici de shy learners : des enfants capables sur le plan scolaire, mais trop réservés pour organiser leurs idées et les exprimer. Une réalité qui deviendra le moteur de Telmi.
De la finance à Londres, aux jus de fruits brésiliens
Véronique arrive en Angleterre en 2007, pour son premier job de consultante en stratégie chez Ernst & Young (EY). Trois ans et demi plus tard, animée par sa fibre entrepreneuriale, elle quitte le groupe, pour un long voyage autour du monde : “J’ai passé 14 mois en sac à dos entre l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Océanie, tout en travaillant en digital nomade.”
Au fil de ce périple, elle découvre sa passion pour… les jus de fruits frais ! “Je voyais ces petites échoppes au Brésil ou en Asie et je me suis dit : pourquoi nous n’avons pas ça en Europe ?” De retour à Paris, elle lance un bar à jus mobile qui collabore avec Solidays et la mairie de Paris, mais comprend vite que le concept n’est pas taillé pour l’échelle : “Je ne me voyais pas lever des fonds ni rester dédiée à ce projet pendant dix ans.”
Elle met donc ce chapitre de côté et retourne en Angleterre, où elle participe à la création
d’Unilever Foundry, la plateforme d’open innovation du groupe. Là, elle est au cœur de l’innovation, à la croisée des grandes marques comme Dove ou Magnum et des start-ups pionnières : “Ce que j’ai surtout aimé, c’était de découvrir de nouveaux modèles économiques, des technologies émergentes et des entreprises à impact qui réinventent nos modes de consommation.”
Des briefings d’Unilever aux podcasts de Telmi
Confinée pendant le Covid, Véronique quitte Unilever pour s’occuper de sa famille. Sa fille a 5 ans et son deuxième fils naît avec une surdité partielle. Très vite, une question s’impose : comment l’aider à s’exprimer dès le plus jeune âge ? “À travers mes recherches, j’ai réalisé que la parole est un muscle : plus on la pratique dans un cadre bienveillant, plus elle devient fluide et naturelle.” Une quête qui résonne avec son histoire personnelle : “Académiquement, j’étais réservée. Comme je ne parlais pas je ne progressais pas. Lorsqu’il fallait prendre la parole devant la classe, j’avais du mal à organiser mes idées et je préférais me taire.”
Le confinement devient alors un terrain d’expérimentation familiale : “Ma fille commence à écouter des livres audio et des podcasts. Très vite, elle veut en créer.” Armée d’un simple téléphone, la fillette s’improvise conteuse : “Salut! Moi, c’est A…, j’ai 5 ans et aujourd’hui je vais vous raconter l’histoire de… I hope you enjoyed my story !” Véronique remarque alors que sa fille pense déjà à une audience : “Ce n’était pas juste un vocal pour ses parents, elle imaginait des gens qui allaient l’écouter.” Elle cherche alors une application ludique et sécurisée pour que sa fille crée ses propres podcasts. Elle ne l’a pas trouvée, alors elle l’a inventée.
Telmi : Prêt ? Feu ? Enregistrez !
À tâtons, Véronique se lance : curation de podcasts, développement de playlists… et enfin, création de podcasts, qui devient le cœur du projet Telmi. Elle teste ce format comme un moyen d’aider les enfants à prendre confiance à l'oral et un partenariat avec la Guildhall Art Gallery se concrétise avec des visites où les enfants créent des podcasts sur leurs œuvres préférées. Les parents envoient les enregistrements, l’équipe de Telmi les transforme en podcasts publiables.
“Les enfants étaient hyper excités, les parents adoraient. C’était une manière intelligente d’utiliser la technologie.” En 2022, Véronique obtient une subvention d’Innovate UK pour concevoir le prototype d’une application mobile permettant aux enfants de créer leur podcast de manière sécurisée. 50 familles participent à un ‘programme de podcasting à Noël, 12 d’entre elles sont devenues des ‘super testeurs’, co-créant l’application au fil des versions. Parallèlement, Véronique échange avec des centaines d’orthophonistes, d’enseignants, de parents, d’enfants aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni pour affiner l’aspect pédagogique et ludique de l’application.
Comment fonctionne Telmi ?
Début 2023, Telmi prend vie : “J’ai moi-même mis 25 ans à trouver ma voix. Mais j’ai vu avec mon fils et ma fille la force immense qu’un enfant ressent quand il découvre sa voix, prend la parole et se sent écouté.” Outre-Manche, ce phénomène se nomme l’oracy, (équivalent de la “literacy” pour l'écrit): il s’agit de la capacité à parler et à écouter efficacement. À l’heure actuelle 77 % des adultes redoutent de prendre la parole en public : “Nous parlons donc d’un enjeu sociétal.”
L’idée est donc simple : “Un enfant crée un podcast de 2-3 minutes sur un sujet donné.” Initialement conçue pour les familles, Telmi suscite depuis 2025 un fort intérêt des écoles. Plus de 70 établissements y voient un outil pour faire présenter, réfléchir ou discuter les élèves, parfois même en langue étrangère. La start-up a ainsi lancé ses premiers pilotes en classe. La fondatrice de l’app précise : “Dans une de nos écoles pilotes dans le Kent (Bromstone Primary School), des enfants en difficulté scolaire et notamment à l’écrit ont travaillé sur le même sujet que leurs camarades, mais à l’oral. Sur le thème de l’Amazonie, ils ont préparé leurs idées, écrit des mots-clés, puis enregistré un podcast en s’interviewant.” Et si le directeur adjoint confie qu’il entendit leurs voix pour la première fois ; ces enfants silencieux, ou en difficulté, ont pu montrer leurs connaissances. L’écrit n’a pas été supprimé, mais renforcé.
L’expérience de l’enfant au coeur du projet
“L’enfant s’enregistre, choisit une musique de fond dans la librairie, ajoute une illustration et en quelques secondes, le podcast est prêt : voix, musique, image.” La fierté est immédiate : en s’écoutant avec la musique, il se découvre déjà créateur. “Ça développe un vrai growth mindset (esprit de croissance,ndlr) ils se disent : ‘en fait, je peux le faire!'" D’ailleurs, 75 % des enfants se sentent plus confiants après avoir créé un seul podcast, confirme la fondatrice de l’application (étude interne Telmi).
Dans cette même école du Kent, où 40 % des élèves présentent des besoins éducatifs particuliers, le directeur adjoint confie : “Telmi est un game changer.” Une enseignante de Y4 (CE2) détaille : “Tous les lundis au cours d’histoire, les élèves me demandent si on fait Telmi.” L’application permet aux enseignants de compiler en quelques clics une playlist de podcasts créés par les élèves. Aujourd’hui, des enseignants de 5 écoles ont piloté Telmi, qui est aujourd'hui soutenu par le fond à impact Bethnal Green Ventures et développe sa version “école” dans l'accélérateur tech et impact de l’University College London (UCL) Centre for Digital Innovation.
Du côté des familles. Une mère raconte : “Ma fille est très timide et je l’ai surprise en train d’inventer une histoire sur Telmi en regardant le jardin.” Enfin, d’autres parents voient l’application comme une alternative rassurante : “Mon enfant veut être YouTuber ou sur Tiktok, mais je ne veux pas qu’il soit exposé. Telmi, c’est le compromis parfait.”
La recette d’un bon podcast, selon Véronique :
Un podcast réussi, “c’est d’abord l’envie de partager”. Les enfants explorent tous les formats :
-“Moi, j’ai fait un mini-concert !”
-“J’adore les échecs, alors j’ai expliqué une partie que j’ai gagnée.”
-“On a inventé une histoire pour Halloween, chacun rajoutait une idée folle.”
-“Je recommande des livres… mais il faut dire pourquoi je les aime.”
L’application guide chaque enfant : “Tu recommandes ton livre, mais pourquoi ?” ce qui
les amènent à structurer leurs idées, en gardant leur spontanéité.
Véronique Trang, lauréate du Trophée Innovation des Trophées des Français du Royaume-Uni
Véronique se dit honorée d’avoir remporté le Trophée Innovation, remis par le Lycée International Winston Churchill. Jusqu’ici, Telmi n’a pas encore travaillé avec des écoles françaises : “C’est donc très émouvant pour moi que le projet soit reconnu par une école francaise des plus prestigieuses à Londres. Cela montre que notre mission, aider chaque enfant à trouver sa voix et à s’exprimer avec confiance, résonne jusque dans une institution qui incarne l’excellence académique et l’ouverture internationale. Même si je vis au Royaume-Uni depuis presque 20 ans, je reste bien sûr française! Cette reconnaissance me touche particulièrement.”
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