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La gastronomie est-elle devenue meilleure au Royaume-Uni qu’en France ?

De belles assiettes sur une table en boisDe belles assiettes sur une table en bois
Stefan Johnson - Unsplash
Écrit par Judith Chouzenoux
Publié le 16 octobre 2021, mis à jour le 20 août 2023

Vous avez apprécié cette tartiflette tout droit sortie de chez Picard ? Nous aussi, on la trouve pas mal. Mais pour Jonathan Miller, chroniqueur anglais pour The Spectator et conseiller municipal d’un village héraultais, il n’en fallait pas plus pour dézinguer, dans un article dévastateur publié dans le Courrier International, ce qu’est devenue la cuisine française. Le journaliste tacle notre fierté nationale, et il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Incapable d’innover et de se réinventer, gangrenée par la malbouffe, la France serait même en train de se faire supplanter par le pays dont les beans sont le symbole gastronomique.

 

La nourriture a longtemps été réputée mauvaise au Royaume-Uni. Le chroniqueur le reconnaît de bonne grâce : le passé culinaire de son pays n’est pas très glorieux. Des dîners en amoureux chez Wimpy - une chaîne de fast-food - aux célèbres fish and chips à emporter, les écriteaux des restaurants de Grande-Bretagne ne faisaient que très peu envie il y à cinquante ans. La cuisine française, elle, était reconnue par tous comme étant ce qui se faisait de mieux. Les Britanniques nous enviaient encore le raffinement de nos vins, de nos pains, de nos restaurants, de nos fromages et de nos cafés.

 

Une tendance culinaire qui se serait inversée

Mais Miller soutient vertement que la tendance entre les deux nations se serait depuis radicalement inversée. La Grande Bretagne serait devenue le berceau de l’innovation culinaire. Selon le journaliste, toutes les cuisines du monde y sont représentées et déconstruites, allant même jusqu’à se mélanger et se réinventer. De ses gastropubs, à ses diners à l’américaine, en passant par ses dim sum - la fusion de bistrots asiatiques et de bars à tapas - le pays voit la diversité et la qualité de sa gastronomie se décupler. Le Royaume-Uni semble s’approprier les traditions étrangères avec une facilité déconcertante et propose désormais des pains artisanaux au levain, que l’éditorialiste qualifie « d’incroyables », des sushis végans, des falafels « n’ayant rien à envier à ceux de Jérusalem ». Le tout accompagné de vins venus des quatre coins du monde et qui n’auraient prétendument rien à envier à leurs homologues français.

 

La cuisine française, “insipide” et aux prix “exorbitants” ?

Le journaliste explique que la cuisine de l’Hexagone n’a pas échappé à la mondialisation. Nous, Français, serions en train d’oublier notre grandeur culinaire, en nous gavant dans les chaînes de restauration rapides. Nos terrasses seraient, elles, devenues un paysage « fade et uniforme » aux plats peu savoureux et prévisibles. Jonathan Miller, dans toute sa grandeur d’âme, nous décerne toutefois un titre, celui de République de la malbouffe, expression apparue pour la première fois dans un reportage du documentariste français Jacques Goldstein.

 

Bien plus que le déclin de sa cuisine, c’est toute l'exigence de la restauration tricolore qui serait en train de se perdre. Celui que l’on devine friand des petits plats frais et faits-maison déplore l’industrialisation des petits bistrots servant « du pot-au-feu sous vide préparé à la chaîne dans les usines de grossistes alimentaires appartenant à des fonds d’investissement américains ». Le service et le personnel seraient également à la hauteur de ces plats : « insipides et insuffisants ». Non pas que le français soit par essence une personne snobe et hautaine, non, le journaliste impute la faute à une législation rémunérant ses employés au salaire minimum, tout en rendant les recrutements « exorbitants ».

 

« C’est la faute de l’Etat » - une expression française courante dont Jonathan Miller semble adepte

On ne saurait déterminer l’évènement ou le moment exact qui a poussé le critique à écrire cet article enflammé. Ce que l’on sait, c’est que le conseiller municipal est très agacé de ne pas pouvoir trouver un restaurant auquel s’attabler passé 13h30 dans un village français (a-t-il déjà tenté l’expérience dans la capitale anglaise passé 22h ?). Pour lui, le déclin de la restauration française, et ses horaires étranges, ne serait que le reflet d’une dégringolade plus globale, celle d’un pays tout entier, qui stagne depuis 40 ans, tant économiquement que politiquement.

 

Le journaliste illustre son ressenti en s’appuyant sur l’exemple de la réouverture des terrasses. Son article rapporte qu’après huit mois passés les rideaux baissés, le retour des chefs en cuisine et des clients aurait dû représenter une véritable renaissance pour la restauration hexagonale. Mais c’était sans compter la capacité de l’Etat à miner sa propre croissance en instaurant des règles tout bonnement « absurdes » selon notre ami anglais. En limitant la capacité d’accueil des établissements et en exigeant une distanciation sociale entre les tables, le gouvernement n’aurait fait qu’accentuer la pression sur un secteur avec lequel la législation n’est déjà pas très tendre. Miller juge qu’entre les charges sociales « exhorbitantes », la fiscalité punitive et l’absence de souplesse vis-à-vis du temps de travail, gérer un restaurant en France n’est pas une partie de plaisir, ni de repos.

 

Bon. C’est peut-être aussi (un peu) la faute des français.

S’il n’est pas tendre avec le gouvernement, l’article ne tarit pas d’éloges non plus sur notre comportement à nous, consommateurs français. Notre « manque de curiosité pour tout ce qui n’est pas steak-frites, cassoulet ou confit de canard » aurait conduit les restaurants à réduire leurs ambitions et à proposer des cartes toutes aussi prévisibles les unes que les autres. Ironiquement, le journaliste déplore notre manque d’appétence pour les saveurs de nos anciennes colonies, au même moment où nos voisins britanniques s’approprient la cuisine de « tous les grands chefs de leur ancien Empire. » La question, bien qu’elle semble sans réponse, doit être posée : sommes-nous réellement devenus une nation nombriliste campant sur ses acquis culinaires comme l’affirme Miller ?

 

Notre « immobilisme créatif » n’offrirait que des résultats peu glorieux. Le journaliste n’a pas fini de nous achever, puisqu’il s’empresse d’affirmer que notre pays et ses douces régions n’auraient « rien produit de digne d’intérêt depuis plus de soixante ans ».

 

Cet âge d’or passé serait le fait de la disparition de chefs d’exceptions, comme Georges August Escoffier et Paul Bocuse, mais aussi de nos plats traditionnels, confectionnés avec amour par nos grands-mères. Les produits qu’elles utilisaient autrefois ont été supplantés par les plats préparés du géant des surgelés Picard, sonnant le glas des somptueux repas français confectionnés avec des produits de qualité.

 

Des bonnes adresses qui se font toujours plus « rarissimes »

Le critique reconnaît qu’il existe toujours de « bonnes tables », mais ces dernières ne seraient pas accessibles au commun des mortels. Il faut connaître les bonnes adresses, mais surtout avoir un portefeuille bien épais. Parmi elles, les tables inscrites au graal français - le guide Michelin - ne sont disponibles que sur réservation des semaines à l’avance, et l’addition à la sortie avoisine toujours les sommes à trois chiffres pour chaque convive. Les petites brasseries, gérées en famille et servant des assiettes prodigieuses à petit prix, se feraient désormais « rarissimes », détrônées par McDonald’s, numéro un de la restauration en France, qui sert plus d’un million de burgers chaque jour.

 

Pizza à l’emmental et tacos trois viandes

La junk-food est devenue un véritable phénomène social en France. Nos rues sont inondées par les panneaux lumineux des enseignes proposant pizzas, kebabs et autres “tacos” à la française. Mélanger du cordon-bleu, des nuggets et du poulet dans une galette accompagnée d’une « sauce fromagère », on se délecte d’avance à imaginer la réaction de notre reporter s’il était un jour amené à y goûter.

 

Alors que chaque village possède son camion à pizzas, l’auteur s’insurge que l’on ose même leur en attribuer le nom. Il s’insurge que, si notre cuisine traditionnelle a perdu de sa grandeur, notre junk-food, elle, est une véritable hérésie. La pizza à la française se fait avec de l’emmental - et non de la mozzarella - sans utiliser une farine adéquate.

 

“Sorry, not sorry”

Jonathan Miller n’a pas l’intention de nous « présenter des excuses », à nous, Français un peu prétentieux. Il termine sa démonstration en pestant que notre peuple devrait « avoir honte de sa décadence, d’être passé des sommets aux tréfonds ». Et comme si le clou n’étais pas encore assez profond, le nouveau meilleur ami de la guillotine explique que, malgré l’égale présence de McDonald's au Royaume-Uni, « un des deux pays s’est bonifié pendant que l’autre a régressé » - nous laissant peu de doutes sur le pays qui, à l’image d’un bon vin face au temps, aurait gagné en qualité. Sans rancune ?

 

 

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