Loin de ne constituer qu’un simple loisir, le jeu demeure un élément central pour l’éveil et les apprentissages des écoliers. Lucie P., enseignante en maternelle à L’École des Petits, et Mathieu J., en charge d’une classe de CM2 à L’École de Battersea, reviennent sur une approche pédagogique appréciée des enfants, voire même essentielle pour certains élèves.
Pourquoi avoir décidé de mettre le jeu au cœur du processus d’apprentissage ?
Lucie P. : Le jeu fait partie intégrante des programmes officiels à l’école maternelle. Il est donc tout naturel qu’il fasse partie du projet éducatif d’un établissement d’enseignement Français. Des pédagogues ont d’ailleurs démontré que le jeu faisait partie inhérente de la vie d’un enfant, à commencer par Rousseau. Je pense aussi à Piaget et Maria Montessori.
Mathieu J. : Le jeu est une activité naturelle et innée chez les humains. C’est à travers le jeu avec sa mère, son père, sa fratrie et ses camarades que l’enfant découvre le monde et les relations aux autres. Les recherches de ces dernières années ont prouvé que des approches d’apprentissage actives et ludiques peuvent transformer les expériences éducatives des enfants dans les petites classes du primaire, renforcer leur envie d’apprendre et améliorer leur capacité d’apprentissage.
Depuis quand utilisez-vous le jeu comme outil d’apprentissage ?
Lucie P. : En tant que jeune professeure des écoles, je me suis toujours servie d’activités ludiques comme outils pédagogiques. Que ce soit avec des CM2 ou des Petites Sections, le jeu aide les élèves à se construire en tant que personne, dans leur unité. Il permet d’acquérir et de travailler un imaginaire, de se positionner face aux autres et par rapport à soi-même. Je pense même que l’imaginaire permet d’ouvrir son esprit et de s’exprimer : développer sa personnalité, jouer des rôles, s’approprier des modèles, des personnages, exploiter ses compétences, explorer ses émotions, les extérioriser…
Mathieu J. : Le jeu est une activité naturelle. Personnellement, je n’ai jamais cessé de jouer et j’ai toujours aimé ça. Ainsi, en tant que professionnel de l’enseignement, j’ai toujours utilisé cette approche pédagogique, sous toutes ses formes, afin de créer des liens avec et entre mes élèves dans le but de les faire apprendre.
Toutes les tranches d’âge sont donc concernées ?
Lucie P. : Bien sûr ! Le jeu est un moyen et un outil profitable à tout âge. Il favorise l’apprentissage de manière ludique, amusante et valorisante. Il peut être utilisé à chaque période de la vie, durant tout le parcours scolaire d’un élève et même plus tard lors de différentes formations.
Mathieu J. : Par ailleurs, si le jeu a tendance à être plus utilisé en maternelle et dans les premières classes de l’élémentaire, les recherches ont prouvé que les bénéfices du ludisme sont aussi très intéressants au cours du cycle 3.
Dans quelles matières le jeu est-il un élément essentiel de l’approche pédagogique des professeurs ?
Lucie P. : Pour un professeur, le jeu est essentiel car il permet de mettre en place des situations d’apprentissages variées, dans lesquelles se mêlent les différentes compétences. Il permet de travailler à la fois une notion mais également les aspects sociaux, affectifs, psycho-affectifs, moteurs, et neurologiques d’un enfant. Le jeu peut être utilisé dans toutes les matières. En maternelle, nous utilisons le jeu dirigé ou pédagogique, c’est-à-dire une participation active à des activités agréables et apparemment spontanées sous la direction subtile des adultes. Cela peut être à la fois des jeux de manipulation, de coopération, de construction, de collaboration, ou même de rôle.
Mathieu J. : À travers mon expérience, je peux affirmer que le jeu permet notamment de développer des compétences psychosociales (cognitives, émotionnelles et relationnelles) en partageant des moments de vie ensemble qui sont des points d’appui essentiels pour tout apprentissage : apprendre à se connaitre, à jouer ensemble, à coopérer, apprendre à respecter des règles simples, apprendre à gagner et à perdre… Mais ce type d’approche pédagogique vient également renforcer des compétences académiques : faciliter la mémorisation des faits numériques (doubles, compléments, tables d’additions et de multiplications, multiples fréquents) et des règles grammaticales ou orthographiques (conjugaisons, homophones…).
Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?
Lucie P. : En langage et en vocabulaire, j’utilise les jeux du loto, et des quiz pour les élèves. En graphisme, et notamment pour la correspondance des différentes écritures, c’est l’imaginaire qui est mis en avant avec les noms des lignes, une méthode imaginée et issue du blogueur Maitre François. Les lettres vivent sur la ligne de terre (ligne marron) : nous écrivons donc sur la ligne marron ; les petites lettres vivent dans l’herbe (les lettres ne dépassent pas la ligne verte) ; d’autres lettres volent dans le ciel… Avec cet imaginaire, les élèves peuvent se matérialiser les lignes d’écriture et se représenter l’écrit qui est encore abstrait à cet âge. Mais le jeu est également essentiel pour les activités de manipulation afin de travailler les principes mathématiques, logiques et d’orientation dans l’espace : le Logix, et le Sudoku permettent ainsi d’aider les élèves à développer des stratégies de réalisation.
Mathieu J. : Le jeu est fréquemment utilisé pour faciliter la mémorisation des faits numériques (doubles, compléments, tables d’additions et de multiplications, multiples fréquents) et des règles grammaticales ou orthographiques (conjugaisons, homophones…). Le memory, le loto et les dominos sont des activités que j’affectionne particulièrement. De nombreux jeux dits éducatifs existent également dans le commerce : selon moi, la difficulté pour les éditeurs de jeux est de conserver leur aspect ludique. Parfois, certains ne sont plus vraiment des jeux mais uniquement un moyen de travailler certaines compétences spécifiques. Il est important que les enseignants soient au clair sur les objectifs et les finalités des activités proposées. Le jeu peut être utilisé pour mémoriser des conjugaisons mais dans ce cas, il doit être présenté comme tel, et non pas comme un véritable jeu où la créativité et l’imagination seront sollicitées. À titre d’exemple, L’atelier des potions est un jeu mathématique conçu par des professeurs de mathématiques et des chercheurs afin de répondre à une difficulté réelle des élèves face à la compréhension des fractions. Il est basé sur la manipulation et permet un apprentissage ludique des fractions.
En quoi cette méthode est-elle intéressante aussi bien pour l’élève que pour le professeur ?
Lucie P. : Les enfants se construisent et construisent leur personnalité à travers le jeu. En revanche, il ne faut pas oublier que le professeur des écoles doit aussi jouer avec ses élèves. Nous avons un vrai rôle dans le « apprendre à jouer ». Nous apportons aux enfants les clefs pour développer les procédures et techniques de jeu, mais nous pouvons aussi le rendre plus complexe. Enfin, cette approche pédagogique nous permet d’approfondir notre relation avec les élèves, de leur montrer qu’un adulte peut et doit jouer. Cela permet de créer et de renforcer notre lien avec eux. Un enfant est une personne à part entière, que nous découvrons aussi en partageant des moments autres que ceux de la vie quotidienne. C’est ce qui me plait en tant que professionnelle : participer activement à faire grandir un enfant dans sa globalité, afin qu’il explore sa personnalité et qu’il devienne ce qu’il souhaite et non pas ce que les autres attendent de lui.
Mathieu J. : Un enfant investi physiquement et mentalement dans une activité est un enfant en apprentissage. Ainsi, si le jeu proposé est bien choisi, c’est-à-dire adapté aux besoins de l’enfant, ce dernier développera les compétences souhaitées. Pour un professeur, avoir des élèves concentrés et actifs sur une tâche adaptée constitue un gage d’apprentissage et donc de réussite professionnelle. Le jeu est donc un levier efficace pour favoriser les apprentissages pour tous les élèves, notamment pour ceux qui se montrent habituellement peu investis dans les apprentissages scolaires. Selon moi, ce type d’approche pédagogique est un des moyens pour remobiliser les enfants qui décrochent en mobilisant leurs forces dans une activité perçue comme non scolaire.
Quelle différence de résultats avez-vous observé entre un apprentissage par le jeu et un apprentissage plus classique ?
Lucie P. : Aujourd’hui, l’apprentissage n’est plus « descendant » ou « frontal », c’est-à-dire avec un maître qui détient le savoir et les élèves qui « ingurgitent ». Les nouvelles pédagogies, les programmes et les nouvelles générations nous poussent en tant que professeur des écoles à nous renouveler constamment. C’est ce que j’essaie de faire dans mon métier. Le jeu dans les apprentissages permet aux enfants de devenir plus autonomes et de devenir maîtres de leurs apprentissages. Les progrès se font donc en fonction de leurs attraits et de ce qui les anime. Cela leur permet aussi de progresser à leur rythme, et d’atteindre la maturité propre à chacun pour acquérir les compétences.
En quoi l’état d’esprit des élèves change avec un apprentissage comme celui-ci ?
Lucie P. : La plupart des élèves scolarisés dans les écoles bilingues sont des enfants privilégiés et stimulés dans leur milieu familial. Tous parlent au moins deux langues et disposent donc d’une réelle richesse culturelle. Mais, avec le jeu, je remarque surtout qu’il y a une réelle dédramatisation de l’erreur ; l’élève peut gérer plus facilement sa frustration. Il y a bien évidemment différents caractères, qui prennent parfois le dessus, mais cela reste un réel travail sur les personnalités.
Mathieu J. : J’ajoute que nous pouvons aisément faire une comparaison de l’utilisation du jeu dans les systèmes éducatifs français et anglais. L’aspect ludique et « fun » a toute sa place à l’école et donc dans les apprentissages au Royaume-Uni. En France, le jeu est encore perçu comme une activité uniquement récréative et n’est pas encore rentré dans les mœurs du système éducatif qui privilégie les méthodes plus classiques, efficaces pour certains mais parfois inadaptées pour d’autres.