Lors d’une rencontre à la librairie la Page de Londres, la journaliste Hélène Devynck est revenue sur son livre Impunité, consacré à l’affaire PPDA et au combat judiciaire et médiatique qu’elle a mené avec des dizaines d’autres femmes victimes de l’ex-présentateur star de TF1 : “À partir d'un certain niveau de célébrité, aucun homme n'a jamais été condamné pour des violences sexuelles en France.”
Hélène Devynck est journaliste. De 1991 à 1993, elle est assistante de Patrick Poivre d’Arvor alors que ce dernier présente le 20 heures de TF1. Après la plainte pour viols déposée par Florence Porcel à l’encontre de PPDA en février 2021, puis l’intervention de ce dernier sur le plateau de Quotidien, Hélène Devynck décide de se présenter dans un commissariat de police pour témoigner du viol qu’elle a subi lorsqu’elle collaborait avec le présentateur.
Les éditions du Seuil publient Impunité en septembre 2022. Dans cet ouvrage, Hélène Devynck porte la voix des femmes victimes des agissements de Patrick Poivre d’Arvor et raconte le combat médiatique et judiciaire qu’elle a mené à leurs côtés pour mettre fin au régime du silence qui entourait le comportement de la vedette de TF1.
Vous avez écrit Impunité après avoir témoigné dans la presse et auprès de la justice française, notamment avec d’autres femmes victimes des agissements de Patrick Poivre d’Arvor. Quelle est la raison d’être de cet ouvrage ?
Hélène Devynck : J’ai commencé à écrire lorsque l’enquête a été classée sans suite. Nous étions 23 à avoir témoigné, et avec cette décision, la justice a dit “Circulez, il n'y a rien à voir”. Je me suis dit que si la justice n’entendait pas cette histoire, il fallait la raconter. Nous avions déjà témoigné dans la presse, mais nous avions le sentiment que notre histoire n'avait pas été comprise. Dans le livre, je raconte un an de ma vie, mais aussi tout ce que j'ai appris avec les autres victimes. J'ai essayé de faire un livre qui soit une somme de toutes nos réflexions, ensemble.
Est-ce qu’on peut dire que cet ouvrage prend place dans un processus de reconstruction, pour vous et les autres femmes ?
Je ne crois pas du tout en la littérature thérapeutique. Je ne crois pas qu'écrire des livres permette d'aller mieux. Est-ce que ce livre participe à une reconstruction ? Je ne peux pas l’affirmer.
Dans votre ouvrage, vous déclarez que la justice française “ne répare pas” en matière de crimes sexuels. Avez-vous perdu toute confiance envers le système judiciaire ?
Nous avons fait tout ce que la société demande. Nous sommes allées témoigner devant la justice, devant la police, et cela n'a eu aucun effet. Aujourd'hui, nous sommes une cinquantaine à avoir témoigné devant la justice. À l'époque, nous étions 45. Les études les plus sérieuses disent qu'il y a entre 2% et 8 % des femmes qui mentent. Patrick Poivre d'Arvor dit que nous sommes toutes des fausses victimes, que nous sommes toutes des menteuses. Quelle est la probabilité qu'il ait raison ? La possibilité que lui soit innocent et que nous soyons toutes des menteuses est négligeable. Pourtant, c'est l'hypothèse que la justice retient, ce qui est un problème.
Voyez-vous une porte de sortie potentielle à cette inefficacité judiciaire ?
Il y a beaucoup de choses à faire. Je ne suis pas sûre que nous devrions tout miser sur le répressif. Il y a quelques semaines, une commission chargée de réfléchir à la redéfinition du viol dans le code pénal s'est ouverte au Parlement. Ils ont débuté la session avec un extrait de mon livre. Cela m'a beaucoup touchée. Si le livre peut participer à cela, nous sommes fières d'avoir permis ce début de changement.
Au total, une centaine de femmes nous ont raconté ce que leur a coûté leur rencontre avec cet homme.
Aviez-vous conscience de cette possibilité de mise en place d’une “résistance féminine” (d’après vos propres mots) de cette ampleur avant votre mobilisation ?
Je n'imaginais pas du tout que cela aurait pu se dérouler ainsi. Lorsque j'ai témoigné auprès de la police, je me suis dit que j'avais fait mon devoir. Une enquête était ouverte, j'avais des éléments sur cette enquête, je savais que c'était prescrit, mais j'avais l'impression d'avoir fait ce que je devais faire en allant témoigner. Dans le livre, je raconte qu'une journaliste m'a convaincue de témoigner à visage découvert en me disant que cela allait paraître dans Le Monde, et que j'écrirai moi-même. Je me suis alors dit "Si, moi, je ne peux pas faire ça, qui peut le faire?". Nous avions aussi des conditions protectrices pour le faire. À cette occasion, j’ai rencontré des femmes qui avaient eu les mêmes réflexes que moi, et que je ne connaissais pas. Cela a été quelque chose de très important dans notre vie à toutes. Une cinquantaine de femmes ont témoigné. Beaucoup d’autres nous ont appelées mais ne veulent pas témoigner. Au total, une centaine de femmes nous ont raconté ce que leur a coûté leur rencontre avec cet homme.
À partir d'un certain niveau de célébrité, aucun homme n'a jamais été condamné pour des violences sexuelles en France.
Vous citez Virginie Despentes dans ce livre (“J’ai fait du stop. J’ai été violée. J’ai refait du stop.”). Son positionnement est très fort. Votre vision du féminisme a-t-elle évolué avec cette mobilisation ?
Virginie Despentes a aussi dit : "le viol, c'est ce qui me défigure et me constitue". Je pourrais affirmer la même chose. Cette phrase vient casser l'imaginaire collectif de la victime qui doit être triste et sombre pour toujours. J'essaye de briser cette image aussi dans le livre. Bien sûr, cela fait mal, cela est traumatisant, mais nous ne réagissons pas toutes de la même façon. Puis, il y a une vie après. Si nous avons peur, nous ne pouvons plus vivre. La question des violences sexuelles a été soulevée par le féminisme dans les années 1970, puis oubliée après. Dans les années 1990, il y a eu un moment creux, puis les militantes sont revenues. Je fais partie de la première génération qui a pu vivre une vie de femme en maîtrisant totalement sa fécondité. Nous avions accès à la pilule, à l'avortement, et nous n'imaginions pas que la vie puisse être autrement. Nous avions l'impression d'être libres. Sauf que nous avions occulté les violences sexuelles, qui sont pourtant restées très prégnantes.
La troisième vague du féminisme et le mouvement #MeToo ont montré que "le sol gronde, mais le ciel ne bouge pas", pour reprendre les mots de la sociologue Kaoutar Harchi. Il y a une prise de conscience réelle dans la société, avec des livres notamment, mais rien ne change du côté des condamnations. À partir d'un certain niveau de célébrité, aucun homme n'a jamais été condamné pour des violences sexuelles en France. Le silence, la complaisance et la victimisation de l’agresseur lient les affaires Depardieu et PPDA. De l'autre côté, la parole des victimes est immédiatement mise en doute, alors que personne n'a envie de faire ce genre de témoignages publiquement.
Dans ce système, les femmes fuient. Celles qui restent sont celles qui arrivent à s'adapter et qui, quelquefois, sont aussi masculinistes que les hommes.
Vous avez été confrontée à l’inaction de TF1 et à l’ambiance sexiste de LCI lorsque vous y étiez présentatrice. Quel rapport avez-vous avec le monde journalistique désormais ?
Je ne fais plus d'antenne, donc je ne peux pas dire comment cela passe maintenant. En revanche, les équipes de TF1 font comme si cela n'avait pas existé. Au sein de la chaîne, quelqu'un a dit que c'était de la vieille histoire, et que tous les protagonistes ont de toute façon disparu, comme si nous n'étions même pas les protagonistes de cette histoire. Je trouve que cela en dit long sur le sexisme qui est resté chez TF1. Un prédateur sexuel ne peut pas agir sans un contexte favorable ex-nihilo. Dans ce système, les femmes fuient. Celles qui restent sont celles qui arrivent à s'adapter et qui, quelquefois, sont aussi masculinistes que les hommes. Et elles en sont récompensées. 20 ans après, ce terreau est toujours là.
Cela donne le sentiment qu'il existe une prescription dans la société, même hors de la justice...
Patrick Poivre d'Arvor est resté chez TF1 jusqu'en 2008. Tout ce qui s'est passé à partir de 2007 n'est pas encore prescrit. Donc il est possible qu'il y ait eu des agressions après cette date, et nous en avons eu des échos. Mais ces femmes ne peuvent pas en parler, puisque TF1 a choisi de nous ignorer et de nous mépriser. Évidemment, cela fait taire tout le monde dans la rédaction.
La structure qui permettait à des personnes comme PPDA d'avoir ce genre de comportement a-t-elle évolué, d'après vous ?
Je pense que cela est encore très présent, en tout cas dans le pouvoir. Des hommes comme PPDA, Gérard Depardieu ou Stéphane Plaza sont protégés. M6 fait comme si cela n'existait pas avec Stéphane Plaza. La chaîne a repris la jurisprudence TF1. Cela ne leur coûte rien de mépriser les victimes. Il n'y a eu aucun retrait de l'antenne, et les audiences sont toujours bonnes. L'affaire Gérard Depardieu reproduit les mêmes mécanismes. Charlotte Arnould a porté plainte il y a trois ans. Depuis, Gérard Depardieu a tourné une dizaine de films. Cela n'a aucun effet, sauf quand il y a une très grande pression sur l'opinion publique. Pour le reste, un argument pèse toujours : le manque de preuves. Comme si tout le reste n'existait pas. Comme si nous n'étions pas des preuves.
Le 21 juin 2021, le procureur a annoncé le classement sans suite de l’affaire PPDA en raison du délai de prescription pour 21 femmes. Les accusations de viols non prescrites ont quant à elles été décrétées insuffisamment caractérisées. Florence Porcel s'est portée partie civile en novembre 2021, déclenchant l’ouverture d’une nouvelle instruction sur les viols qu'elle dénonce. Le parquet de Paris a annoncé la mise en examen de Patrick Poivre d'Arvor dans le cadre de cette enquête le mardi 19 décembre 2023 : “Si la justice n'arrive pas à trancher sur la culpabilité de cet homme, ce sera l’échec de la justice, pas le nôtre”, nous a affirmé Hélène Devynck.