Au Royaume-Uni, la lutte contre les discriminations contre les Noirs est représentée par des militants politiques, mais pas que. La scène culturelle et intellectuelle est aussi un espace de revendication et de commémoration de l’histoire de cette communauté. Portrait de trois personnalités artistiques et intellectuelles qui tiennent une grande place dans les débats autour du racisme en Grande-Bretagne.
Akala, du rap conscient à la lutte contre les discriminations raciales
Akala, de son vrai nom Kingslee James McLean Daley, est un rappeur et militant britannique. Il naît en 1983 à Crawley, dans le sud de l’Angleterre, de mère blanche écossaise et de père noir originaire de Jamaïque.
Très tôt attiré par la musique, Akala se lance dans une carrière dans le rap et sort sa première mixtape en 2004, qu’il intitule The War Mixtape. Il propose un “rap conscient” dont les paroles sont vouées à pointer du doigt les travers de la société dans laquelle il évolue : la société anglaise du XXIe siècle. Les discriminations raciales se retrouvent alors au cœur de ses textes, puisqu’il en est lui-même le témoin et la victime au quotidien.
Les paroles de Welcome to England, le premier titre de sa mixtape, sont très évocatrices :
“Every single area with an ethnic majority / Tous les quartiers à majorité ethnique
Full of drugs, guns and poverty, getting to thirty is a lottery / Plein de drogues, d'armes et de pauvreté, arriver à trente ans est une loterie
And the government, deceiving the white working classes / Et le gouvernement, qui trompe les classes ouvrières blanches
Into believing they're supportive to us black bastards / en leur faisant croire qu'ils nous soutiennent, nous les bâtards noirs.
Bullshit!"
En 2006, sa carrière s’envole lorsqu'il reçoit le prix du Best Hip Hop Act lors des MOBO Awards, une cérémonie qui récompense les artistes musicaux noirs au Royaume-Uni.
En parallèle de la production de ses six albums, le rappeur troque sa casquette d’artiste pour celle d’activiste. En 2018, il publie son premier essai, Natives: Race and Class in the Ruins of Empire. Akala y soutient la thèse controversée de l’existence d’un racisme systémique envers les Noirs au Royaume-Uni. À partir de ses lectures mais aussi de sa propre expérience avec le racisme, il couvre plusieurs sujets allant de l’héritage de l’empire colonial et ses effets sur la société multiculturelle britannique à la progression des idées d’extrême droite et les problématiques liées à l’éducation.
Depuis les années 2010, il soutient ouvertement le politicien Jeremy Corbyn et le Labour Party. Akala est également contributeur pour plusieurs médias britanniques dont The Guardian, avec lequel il a participé à l’élaboration de vidéos à visée éducative sur le racisme.
Black Month History : qui sont les voix de l’anti-racisme britannique aujourd’hui ?
David Olusoga, le spécialiste de l’histoire des Noirs au Royaume-Uni
David Adetayo Olusoga est né à Lagos, au Nigeria, dans les années 1970. Métis de père noir nigérian et de mère blanche britannique, il grandit au nord-est de l’Angleterre. Confronté au racisme dès son plus jeune âge lorsque le National Front s’attaque à son domicile en raison de la composition raciale de sa famille, il est très vite sensibilisé à cette thématique. Il décide de se pencher davantage sur le sujet et étudie l’histoire de l’esclavage à l’Université de Liverpool, puis le journalisme.
Sa carrière sera une combinaison de son expertise d’historien spécialiste des questions de l’esclavage, de la race et de l’Empire britannique et de sa formation journalistique. David Olusoga aspire à rendre l’histoire accessible à tous. On lui doit plusieurs émissions de radio ainsi que de nombreux documentaires historiques réalisés pour la BBC. Le documentaire Britain’s Forgotten Slave Owners lève par exemple le voile sur la façon dont le Royaume-Uni “s'est construit sur les profits de l'esclavage, l'abolition impliquant la décision choquante d'indemniser les propriétaires d'esclaves pour la perte de leurs "biens"".
Son ouvrage historique Black and British: A Forgotten History, publié en 2016 et accompagné d’une série documentaire en quatre épisodes, marque l’apogée de son travail au service de la reconstruction de l’histoire des Noirs au Royaume-Uni. Il y retrace aussi bien les rapports complexes entre la Grande-Bretagne et ses homologues caribéens et africains que la question de l’identité des Noirs-Britanniques aujourd’hui.
En 2019, il reçoit le titre d’Officier de l’Ordre de l’Empire Britannique (OBE) pour ses “services rendus à l’histoire et à l’intégration communautaire”. En 2023, c’est cette fois lors de la cérémonie des BAFTA qu’il se voit auréolé d’un Prix spécial pour l’ensemble de sa carrière télévisuelle et documentaire.
Zadie Smith, l’auteure qui témoignait des discriminations raciales au Royaume-Uni
Née de père britannique et de mère jamaïcaine dans les années 1970, Sadie dite “Zadie” Smith grandit à Willesden, dans le nord-ouest de Londres. Elle entame sa carrière d’auteure après des études de littérature anglaise à l’Université de Cambridge.
En 2000, elle publie le roman à succès White Teeth, dans lequel elle fait le récit de l’amitié qui lie Archie Jones, un Britannique blanc, à Samad Iqbal, un immigré bangladais. Son livre est l’occasion pour elle de dépeindre la société britannique multiculturelle et postcoloniale qu’elle connaît avec une tonalité souvent humoristique et cynique. L'œuvre littéraire de Zadie Smith est en effet traversée par la question des relations qu’entretient la Grande-Bretagne avec ses populations issues de la colonisation, teintées de discriminations. La religion, l’identité raciale et l'intégration de toutes les communautés dans la société se trouvent aussi au cœur de sa réflexion.
La démarche de Zadie Smith concernant la lutte contre les discriminations raciales diffère quelque peu de celles de nombre des militants anti-racistes. Dans une interview accordée au Guardian en août 2023, elle s’exprimait à propos de son rôle prétendu de représentante de la lutte : “J'y prends du plaisir. C'est quelque chose que je pense tenir de Zora Neale Hurston et de Toni Morrison. Il ne s'agit pas d'un poids moral fastidieux. C'est un plaisir [...] Je ne suis pas là pour représenter qui que ce soit. Je me représente à peine moi-même. Mon travail consiste à penser à des choses et à les exprimer dans la langue.” Si Zadie Smith incarne aujourd’hui le combat contre les discriminations raciales, c’est pour son rôle d’observatrice et de témoin-clé du Royaume-Uni multi-ethnique contemporain.
crédit de la photo principale : www.chrisboland.com
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