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1'100 migrants traversent la Manche en deux jours, la tension entre les pays monte

Migrants traversant la mer dans une embarcation de fortuneMigrants traversant la mer dans une embarcation de fortune
Flickr - Óglaigh na hÉireann
Écrit par Margaux Audinet
Publié le 11 octobre 2021, mis à jour le 12 octobre 2021

Entre vendredi et samedi, 1.115 migrants ont atteint la côte du Kent après avoir illégalement traversé la Manche, renchérissant sur les tensions croissantes entre la France et le Royaume-Uni.

 

Les relations franco-britanniques ne sont pas au beau fixe, elles n’auraient même « jamais été aussi tendues » selon une ancienne ambassadrice française en Grande-Bretagne. Une tension ambiante qui s’illustre dans le cadre de la crise migratoire, sur fond de crise diplomatique globale entre pénuries, Brexit, accord AUKUS et permis de pêche.

 

La crise migratoire de part et d’autre de la Manche

Chaque année, de nombreux migrants partent des côtes du nord de la France pour atteindre l’Angleterre. A la fin du mois de septembre, 17'085 personnes ont franchi la Manche depuis le début de 2021 ; c’est 202% de plus qu’en 2020. Ces traversées, dangereuses et illégales, font l’objet d’une lutte commune franco-britannique. Au cours du mois de juillet, une déclaration mutuelle entre les deux pays a fait l’état de la situation migratoire et a fixé de nombreux objectifs ambitieux dans le cadre d’une coopération renforcée. Parmi eux, le renforcement des effectifs policiers français, l’amélioration des technologies de contrôle et des infrastructures et la valorisation de centres d’accompagnement des migrants. Ces améliorations seraient permises par un investissement financier britannique considérable : la Grande-Bretagne s’est engagée à fournir 62,7 millions d’euros entre 2021 et 2022 pour aider la France.

Ces promesses n’empêchent pas des heurts fréquents entre les ministres concernés, Priti Patel du côté britannique et Gérald Darmanin en France. Début septembre, ce dernier a accusé son homologue britannique de chantage financier alors que la ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni voulait renvoyer des migrants de l’autre côté de la Manche. Des suggestions envisageaient également l’abandon des engagements financiers britanniques si le nombre de traversées illégales ne diminuait pas drastiquement. Une éventuelle mesure qui a suscité un mécontentement du côté français, d’autant plus que la question de quotas chiffrés n’aurait jamais été abordée au cours des négociations précédentes.

 

L’intervention de Gérald Darmanin ce week-end cristallise la problématique migratoire

Après que Sky News ait diffusé un extrait inédit montrant des policiers français laissant ouvertement passer des migrants qui transportaient des bateaux sur une plage, le ministre de l’Intérieur s’est déplacé sur les plages du Nord pour aborder la question migratoire. Selon Gérald Darmanin, 50 à 65% des bateaux quittant les côtes françaises en direction de la Grande-Bretagne sont interpellés, précisant que si les Britanniques tenaient leurs promesses, ce chiffre pourrait atteindre 100%. Il s’agace que « pas un seul euro (n’ait) été dépensé » par le Royaume-Uni pour venir en aide à ses voisins dans le cadre de la lutte contre la crise migratoire. Il demande donc concrètement au gouvernement britannique de payer son dû en estimant que c’est la France qui « tient la frontière pour eux ».

 

 

Adam Parsons, le correspondant européen de Sky News, présent à la prise de parole du ministre français, juge que cet argumentaire constitue une bonne excuse lorsque la situation est mauvaise. Pour Parsons, les propos du ministre de l’Intérieur constituaient donc « une réponse aux critiques, un message politique à la Grande-Bretagne pour qu'elle "tienne sa promesse", une assurance pour les policiers et les agents de sécurité français que leur ministre de l'intérieur les soutient. D'un point de vue national, il s'agissait de rassurer. Mais lorsqu'il regarde de l'autre côté de la Manche, l'attitude de M. Darmanin est différente, et plus combative. Son thème, en fin de compte, était simple : "Montrez-moi l'argent". » De son côté, le gouvernement britannique affirme que son pays travaille « très efficacement » avec la France pour gérer les flux migratoires traversant la Manche. Les reproches formulés par Darmanin ont été mentionnés à ses homologues britanniques, ce dernier a indiqué qu’il attendait leur réponse afin d’engager les discussions.

 

Illustration des tensions croissantes animant la France et la Grande-Bretagne

Les médias français et britanniques regorgent depuis plusieurs mois d’exemples traduisant une relation compliquée entre les deux pays voisins. Pour Patrick Martin-Genier, spécialiste des questions européennes et enseignant à Sciences Po Paris, cette crise serait « le symptôme d’une relation brisée entre la France et le Royaume-Uni ». Ce dernier précise que « s’agissant de l’immigration, c’est exactement la même chose, on s’aperçoit qu’on a un gouvernement aux prises avec une logique nationaliste et populiste, qui a dit qu’il voulait reprendre le contrôle de ses frontières […] et fait des migrants les otages d’une politique intérieure britannique ».

Diverses personnalités politiques de part et d’autre de la Manche ont également eu leur mot à dire sur la situation diplomatique. Alors que Peter Ricketts (ambassadeur britannique en France de 2012 à 2016) considère que « la France a purement et simplement perdu toute confiance en la Grande-Bretagne en tant qu’allié », Sylvie Bermann, ambassadrice française au Royaume-Uni pendant trois ans, estime que la relation entre les deux pays « n’a jamais été aussi tendue et hostile ».

Un conflit larvé cristallisé autour de plusieurs sujets : cinq ans de négociations impossibles pour le Brexit, la crise diplomatique des sous-marins il y a quelques semaines, des restrictions sanitaires plus sévères pour la France que pour les autres pays pendant l’été, Boris Johnson accusant récemment la France d’avoir volé des doses du vaccin AstraZeneca, ou encore la crise migratoire et son lot de rebondissements. Pour Elvire Fabry, chargée de recherche senior à l’Institut Jacques Delors à Paris, la divergence est inévitable : alors que Boris Johnson justifie constamment le Brexit, Emmanuel Macron est profondément pro-européen.

Ainsi, « L’un représente l’incarnation de ce que l’autre rejette le plus ». D’une perspective française, les attaques de BoJo sur la France permettent de ne pas attirer l’attention sur la crise de la chaîne d’approvisionnement que connaît la Grande-Bretagne. De l’autre côté de la Manche, le Président français est considéré comme le ‘bad cop’ des négociations du Brexit, et aurait beaucoup à gagner pour les élections présidentielles à venir. Ainsi, il miserait tout sur l’audience domestique, au détriment du Royaume-Uni.