La capitale britannique est décidemment métropole aux visages multiples : la preuve avec Chinatown, une ville dans la ville, nichée entre Soho, Convent Garden et Trafalgar Square.
La rédaction s’est déplacé pour vous au coeur de Chinatown à Londres. Retour sur le passage au peigne fin d’un quartier unique en son genre et de deux rencontres spéciales qui donnent au tout une touche humaine.
Un incontournable pour manger asiatique à Londres
Le point fort de Chinatown est assurément sa panoplie de restaurants. On en compte plus d’une soixantaine, répartie dans les neuf rues du quartier. Autant dire qu’il y en a pour tous les goûts. Le restaurant Tao Tao Ju, spécialisé en cuisine chinoise, en fait partie depuis 2010. Mr Wing, son manager, nous a confié que selon lui « Chinatown est différent parce que la cuisine évolue. Si la gastronomie du sud de la Chine était majoritaire dans les cuisines il y a une dizaine d’années, les choses ont changé depuis. Par exemple, le Szechuan, style provenant du centre et de l’ouest du pays, est en vogue ». C’est en effet une cuisine plus piquante qui est proposée par de nombreux restaurants.
Sauf que Chinatown ne se cantonne pas à la gastronomie chinoise. Le restaurant Bab and Suul par exemple est spécialisé dans le barbecue Coréen. L’établissement a récemment ouvert, en décembre. Une preuve de l’affluence des établissements de restauration dans le quartier. Quand je demande à Leon, qui manage cet établissement, ce qu’il pense de Chinatown, il me répond que « c’est unique ». Rien que ça. Il explique que « les gens peuvent avoir différentes expériences à table. Ici, tu fais ton barbecue sur la table avec des sauces exotiques comme la Ssam Llang Sauce ». Il finira par me noter le nom de ce nappage tant je lui redemande de le prononcer.
Quant à l’attractivité de la restauration à Chinatown, Mr Wing en est convaincu : « Chinatown est l’une des attractions principales pour les touristes à Londres ». Il me glisse que les premiers temps de la pandémie furent durs, comme pour beaucoup, mais que la tendance s’est largement inversée l’année dernière. Je lui demande si les frenchies tentent l’exotisme, « Oui, les Français affluent depuis dix mois ». Travaillerez-vous autre part ? « Non. Ici, je suis heureux ». En voilà un qui a trouvé la voie du Chi.
Faire ses courses à Chinatown
Chinatown regorge également de toutes sortes de boutiques pour se faire à manger. Cinq supermarchés spécialisés permettent d’acheter une large gamme de produits d’Asie. Des condiments essentiels comme le vin de riz de Shaoxing, en passant par des snacks colorés, jusqu’à des produits de la mer frais, voire vivants. Vous trouverez par exemple dans le supermarché SeeWoo un aquarium avec des crabes à emporter. Pourquoi pas.
Mais ces supermarchés permettent avant tout d’acquérir d’impressionnantes quantités de riz pour un prix abordable. Au New Loon Supermarket, les sacs vont jusqu’à 20kg pour £34,99. Autant dire qu’on pourrait les confondre avec du matériel de chantier lorsque les distributeurs réapprovisionnent les stocks.
Dansey Place : l’arrière-boutique comme à Pékin
Dansey Place est une voie dérobée derrière les grands restaurants de la rue principale Gerrad Street. Des employés viennent y fumer tranquillement leurs cigarettes au milieu des palettes et camions de chargement. Certains lancent des regards interrogatifs lorsque je m’engage dans le passage. Pourtant, deux bouis-bouis s’y cachent. Mais il faut être attentifs, sans quoi on pourrait les manquer.
D’abord, le Young Cheng Fresh Seafood Shop. Comme son nom l’indique, c’est un étale de la mer, approvisionnant d’ailleurs de nombreux restaurants du quartier comme le SeeWoo. À proximité, Lo's Noodle est coincé entre deux façades. On croirait s’engager dans le couloir d’entrée d’un immeuble vieillot. En fait s’y trouve une fabrique de Ho Fun, une pâte élastique résultant d’un mélange harmonieux de riz, de pommes de terre et d’eau. Les nouilles sont faites avec. L’atelier fournit 95 % des restaurants de Chinatown, et ce depuis 1978. Vous pouvez toutefois en prendre à emporter. Vive le circuit court.
Le nouvel en Chinois à Londres
Depuis le premier février, une nouvelle année lunaire a commencé. Rien à voir avec notre calendrier grégorien puisque cette date est fixée à l’avènement de la deuxième nouvelle lune depuis le début du solstice d’hiver. Une nouvelle lune équivaut approximativement à 29 jours.
En Chine et dans beaucoup d’autres endroits de la planète, il est fêté en grande pompe puisqu’il représente culturellement l‘occasion de chasser les mauvais esprits et de s’attirer la bonne fortune. La nouvelle année est alors placée sous un signe du zodiaque chinois, en l’occurrence le Tigre en 2022. Selon la tradition douze se succèderaient en fonction des résultats d’une course organisée par l’empereur de Jade, un dieu mythologique.
Chinatown est sans aucun doute un haut lieu de célébration du nouvel an. Et cela depuis 1985, date officielle de la première célébration de la nouvelle année. De nombreuses festivités sont organisées le jour même et ceux qui suivent. Certains membres de la famille royale y sont conviés, comme le prince Charles en février dernier. Les restaurants proposent pour l’occasion des menus spéciaux souvent destinés à être partagés. Rendez-vous chaque année entre le 21 janvier et le 19 février.
Chinatown n’était historiquement pas à Soho !
Originellement, Chinatown était situé dans le quartier de Limehouse à l’est de Londres. Proche de la Tamise, c’était un point d’arrivé de marchandises maritimes. Une communauté de marins, provenant de la région de Canton en Chine, s’y installa au 18ème siècle. Puis, la prise de Hong-Kong en 1840 donna l’opportunité à des familles de venir y habiter, fait rare auparavant.
Il ne faut pourtant pas comparer Limehouse avec Soho. Le premier abritait très peu de restaurants et de boutiques asiatiques car la population de l’époque s’en méfiait. L’architecture n’était pas non plus typique et, en réalité, la communauté chinoise partageait les lieux avec d’autres cultures. Les habitants souhaitaient d’ailleurs que le terme Chinatown soit retiré, notamment dans la presse écrite.
Seulement, les bombardements intensifs de Londres pendant la 2nd Guerre mondiale ravagèrent le quartier. C’est à ce moment qu’une partie importante de la communauté asiatique s’est établie à Soho. Conjointement, les soldats britanniques rentrant d’Asie firent grimper la demande de gastronomie asiatique. Le nombre d’établissements alimentaires explosa et Chinatown était née.
La magie des lanternes de Chinatown
Dans Chinatown, on ne peut pas s’empêcher de lever les yeux. Pour cause : les centaines de lanternes rouges décorant les rues de l’enclave asiatique. Elles sont typiquement chinoises et leur origine remonterait au 2ème siècle après JC.
Oui, les lanternes sont jolies. Pourtant, elles ne se cantonnent pas seulement à leur aspect décoratif. La couleur rouge en l’occurrence véhicule une symbolique de richesse, de prospérité et de réussite. Elle est donc au cœur des célébrations importantes comme le Nouvel an lunaire ou les mariages.
Mais pas seulement, comme en témoigne leur présence annuelle à Chinatown. Les entreprises et quartiers chinois à l’étranger en ont fait un canal de communication en faveur de l’identité de l’Empire de Milieu. Si l’on regarde de plus près, on remarque les logos de quelques sociétés sur les lanternes suspendues, comme le conglomérat d’assurance China Taiping. Business is business.
Les quatre portes chinoises de Londres
Lorsque l’on parle d’enclave asiatique pour désigner Chinatown, on ne peut pas omettre les quatre portes d’accès. En se tenant devant, elles semblent garder jalousement le quartier. Si les trois premières, construites en 1986, résultent d’une fusion des cultures asiatique et européenne, celle de Wardour street se détache par son style et sa taille.
Inaugurée en juillet 2016 par le prince Andrew, elle fut réalisée à Pékin avant d’être construite à Londres. Les artisans chinois étaient spécialisés dans l’architecture Qing, la dynastie impériale régnant de 1644 à 1912. De fait, elle prend la forme d’un authentique Paifang, ce qui signifie une arche dans la culture asiatique. 17 millions de personnes la traversent chaque année. Il ne manque plus qu’un service de douane.
Les deux lions de Gerrard Street : gardiens de Chinatown
La majeure partie de la faune rencontrée à Chinatown atterrit généralement dans nos assiettes. Au centre de Gerrard Street pourtant, se tiennent deux statues de lions que l’on ne doit surtout pas mépriser. C’est un cadeau de la République populaire de Chine livré en 1985, la même année que les trois premières portes du quartier.
Les statues sont appelées Shi ou chiens de Fo. Leur rôle est de garder un lieu, plus souvent une entrée et d’être gage de bonne fortune. Les deux ne sont pas pour autant identiques, puisqu’en réalité une femelle et un mâle sont représentés. Rien de plus simple pour les reconnaitre. Concentrez-vous sur leurs pates avant, vous verrez qu’ils tiennent deux objets différents : une balle brodée pour le mâle et un petit lion pour la femelle. Gare aux morsures !
Se faire soigner (d’une autre manière) à Londres
L’aspect culinaire de Chinatown est sans aucun doute prépondérant. Le quartier offre pourtant d’autres services dans le domaine de la santé. En tête de proue, la médecine chinoise. Grosso modo, elle se fonde sur le maintien du bien être par le biais de plantes médicinales et de techniques ancestrales telles que l’acupuncture. Une douzaine de pharmacies/cabinets proposent ces services.
Vous pouvez également profiter d’autres savoirs faires de plusieurs pays d’Asie comme la réflexologie. Non, ce n’est pas un vestige de nos cours de philosophie mais une méthode de guérison employée dans le cabinet New Step in reflexology. À travers sa vitrine, on aperçoit cinq ou six sièges avec le même nombre d’employés s’affairant autour. Leur secret ? Appliquer des pressions au niveau de la voute plantaire car certains points de cette dernière seraient liés à d’autres parties de notre corps. Elle permettrait ainsi d’en guérir les maux. Une bonne transition à faire après un festin dans le resto du coin.
Boire un verre à Chinatown : clin d’œil à l’opium d’antan
Pour finir votre virée dans le quartier de Chinatown, quoi de mieux que de s’arrêter boire un cocktail aux senteurs d’orient. Quelques enseignes sortent alors de l’ordinaire. Le bar l’Opium par exemple, qui se situe derrière une porte dérobée de la Gerrard Street.
Le nom est un clin d’œil aux temps de l’ancien quartier de Chinatown, Limehouse. Le trafic d’opium s’y était fortement répandu sur fond de criminalité. De fait, une mauvaise étiquette était rattachée à la communauté asiatique. Le bar Opium en reprend, lui, les codes pour en faire un élément de communication matérialisé par des panneaux fixés sur la façade du bâtiment. Peut-être en servent-ils encore ?