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Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou

Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au PérouBrigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou
© GFLOR
Écrit par Guillaume FLOR
Publié le 4 novembre 2022, mis à jour le 5 novembre 2022

L’écrivaine française, biographe et professeure à l’Université de Paris-Nanterre, a réservé la première étape de son voyage sur le sol péruvien au centre de la Femme péruvienne “Flora Tristán” à Lima.

Avant de rejoindre Arequipa pour une intervention au Hay Festival 2022 (à l'invitation de l'ambassade de France au Pérou), ce samedi 5 novembre, Brigitte Krulic s’est montrée très émue en visitant, lundi dernier, l’institution qui a choisi le nom de Flora Tristan il y a maintenant plus de 40 ans et dont la mission est de défendre les droits des femmes au Pérou. À cette occasion, la biographe française a pu rencontrer la présidente de l’association, Cecilia Olea Mauleon, pour un échange autour de la figure de Flora Tristan.

 

Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou
© GFLOR

 

Flora Tristan (1803-1844), héroïne du mouvement ouvrier et martyre du féminisme

Celle qui se désignait comme « une aristocrate déchue, une femme socialiste et ouvrière féministe » a passé sa courte vie (1803-1844) à lutter contre toutes les misères. Constituer la classe ouvrière, proclamer l’égalité des sexes, redéfinir le code amoureux en consacrant le principe du consentement explicite des femmes : voilà la mission qu’elle s’est donnée.

Pauvre, Flora Tristan se marie à 17 ans à un artisan qui ne voudra plus jamais lui rendre sa liberté. Cette expérience malheureuse est sans doute à l'origine de ses revendications pour la liberté des femmes à disposer d'elles-mêmes.

 

Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou

 

Spécialiste de l'histoire des idées politiques au 19ème siècle, auteure d'une biographie d'Alexis de Tocqueville (1805-1859), Brigitte Krulic nous propose celle de Flora Tristan (Gallimard, 01-2022). Dans cette biographie, Brigitte Krulic retrace la vie de cette militante socialiste, pionnière du féminisme, femme de lettres et de terrain ayant connu une vie des plus romanesques, une figure fascinante du 19ème siècle.

Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou

 

Quelle importance ce voyage au Pérou de Flora Tristan (1833-1835) a-t-il eu sur sa vie et son militantisme ?

C'est le voyage initiatique. Elle part à la recherche de ses ancêtres et d’un héritage, mais aussi d’une reconnaissance. Flora Tristan a eu une enfance et une adolescence très difficiles. Elle est orpheline à 4 ans, elle vit dans l’un des quartiers les plus pauvres de Paris, donc quand sa mère lui parle de son père péruvien et de sa famille richissime, on imagine très bien que le Pérou a dû nourrir son imaginaire.

Son voyage au Pérou, ce n’est pas seulement une question d'argent, elle veut être reconnue par sa famille paternelle. Mais la désillusion est grande, car elle s'aperçoit qu’on veut bien la reconnaître mais comme bâtarde. Si son oncle Pío, un des grands hommes politiques du Pérou, accepte de lui donner une pension, il n'est pas question qu'elle soit traitée comme une fille légitime.

Depuis toujours, Flora Tristan cherche le moyen de surmonter l’injustice sociale, l’injustice entre homme et femme, or elle s'aperçoit très vite qu'au Pérou, elle ne trouvera pas la solution. Elle n'est pas reconnue dans sa famille et elle se rend compte que dans ce pays, les inégalités sont au moins, si non plus, importantes qu'en France.

Flora Tristan est le contraire d'une victime, ce n'est pas du tout la petite femme perdue ou larmoyante, c’est une combattante. De ses faiblesses et de ses échecs, elle en fait une force.

Ce qu'elle avait cru être des chemins possibles pour améliorer son sort, comme quand elle essaye de voir si l'amour avec un homme serait une solution, ne sont que des échecs. Il lui faut inventer autre chose, donc quand elle rentre en France, elle décide d’utiliser son lien avec le Pérou pour prendre pied sur la scène politique et intellectuelle française. Elle va raconter son voyage en écrivant des articles, notamment sur le couvent d'Arequipa, qui passionnent le public français. Elle publie également un livre « Pérégrinations d'une paria » qui reprend quelques-uns de ses articles.

Flora va jouer de son identité franco-péruvienne et du cliché de l'époque, l’Andalouse. Elle va aussi profiter du fait que sa famille était amie de Simon Bolivar, héros de toute la gauche européenne, pour se positionner. On parlerait aujourd’hui d’une véritable stratégie de communication extrêmement habile pour une femme qui est seule, sans famille ni amis. Alors qu’elle part de rien, ce voyage au Pérou va lui servir de tremplin.

Au Pérou, elle se désigne comme une voyageuse consciencieuse. Elle observe, elle veut tout noter parce qu'elle veut améliorer, elle veut corriger.

Avant même d'arriver au Pérou, dès qu'elle monte sur le bateau à vapeur, le Mexicain, sur lequel elle passera 133 jours, elle va expérimenter ce qui va être sa vocation, être une enquêtrice sociale. Cette traversée est très longue, elle est la seule femme à bord et elle s'ennuie, donc Flora commence à interroger le capitaine et les matelots, à observer leurs conditions de vie, elle s'aperçoit qu’ils ne pensent pas à économiser de l'argent et qu’ils sont très mal équipés. Elle les fait parler de politique et de l’Amérique latine qu’ils connaissent très bien. En véritable autodidacte, Flora Tristan est une pionnière de l'enquête sociale.

 

Redécouverte seulement dans le dernier tiers du 20ème siècle, comment Flora Tristan devient-elle une figure du syndicalisme et des féministes ?

On a peu parlé d’elle pendant longtemps, d’abord parce que c’est une femme et qu’elle est morte jeune, à 41 ans, donc sans avoir eu le temps d'élaborer un véritable courant de pensée. Puis, contrairement à ce qu'elle espérait, elle n'a pas eu de disciple qui puisse porter son flambeau. Enfin, et c’est certainement la raison la plus importante, c'est que Flora était une figure qui se revendiquait comme étant « un être à part ». Elle n’est la disciple de personnes, c'est une autodidacte, extrêmement intelligente, qui ne veut s’inféoder à aucune école. Elle est donc libre et indépendante, mais le revers est qu'il n’y a personne pour poursuivre son œuvre après elle.

Flora Tristan est une pionnière du syndicalisme. Pour elle, ce qui est important, c’est ce qu'on appellera plus tard les droits sociaux c'est-à-dire le droit au travail, le droit au logement, le droit à l'éducation… Les droits politiques avec la question du suffrage universel, ce n'est pas sa priorité. Son idée, vraiment révolutionnaire pour l’époque et qu'elle articule avant Marx, est de constituer la classe ouvrière, qui indépendamment des différences de métier, d’origine géographique ou de sexe, a des intérêts communs.

Ensuite, dans le cas de Flora Tristan tout est lié. Son engagement pour les femmes est lié à son engagement social. En tant que femme, la discrimination du sexe vient s'ajouter à la discrimination sociale.

 

Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou
© GFLOR

 

Pourquoi se lancer dans une biographie de Flora Tristan ?

Quand on travaille comme moi sur l'histoire des idées au 19ème siècle, on a forcément déjà rencontré Flora Tristan. L'histoire des idées, c'est la démocratie, c'est Tocqueville, ce sont les conséquences de la Révolution française, et bien Flora, c'est une enfant de la Révolution française. Mais pour elle, la révolution s'est arrêtée en chemin en n'émancipant pas vraiment les ouvriers et surtout en oubliant la moitié du genre humain, les femmes.

Flora a cette très belle formule qui pour moi résume tout : « Il faut faire enfin sonner le 89 des ouvriers (Liberté-Égalité-Fraternité), mais tant que le 89 des femmes n'aura pas sonné, les promesses de la Révolution française seront lettres mortes ».

 

Quand on pense à Flora Tristan, on pense aux féministes parce qu’il y a des centres comme celui que nous visitons aujourd’hui, qui sont des structures d'accueil pour les femmes opprimées, comme l’a été Flora, une femme que son mari a essayé d'assassiner. Elle en gardé une balle dans le sein.

 

Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou
© Carla Salazar

 

Cecilia Olea Mauleon, présidente de l’association péruvienne « Flora Tristán »

Le centre de la Femme péruvienne Flora Tristan est une organisation féministe fondée en 1979 dont la mission est de combattre les causes structurelles qui restreignent la démocratie et les droits des femmes.  L’association met en œuvre des stratégies pour promouvoir des transformations sociales, culturelles et politiques au bénéfice de toutes les femmes dans leur diversité, et spécialement celles qui se trouvent dans des situations de grande vulnérabilité et d'oppression.

Les objectifs de l’institution sont de promouvoir l'égalité de genre comme droit humain et fondement de la justice sociale et de la démocratie ; lutter contre les discriminations et le patriarcat ; renforcer l'action féministe au niveau national ; promouvoir le droit à une vie libre de violence de genre ; défendre les droits politiques, sociaux, culturels, économiques et environnementaux des femmes.

 

Pourquoi avoir choisi le nom de Flora Tristan pour votre association ?

« Nous avons choisi Flora Tristan pour trois raisons : Premièrement, pour son origine franco-péruvienne car nous voulions donner une vocation internationale à notre organisation ; ensuite, parce que Flora Tristan était une socialiste utopique, une pionnière de l’union du prolétariat mondial. Or, nous étions à l’époque toutes des militantes de gauche. Au-delà de l'égalité entre homme et femme, ce qui nous motivait, c’était surtout la justice sociale. Enfin, la troisième raison, c’est que Flora Tristan place très clairement les revendications des femmes devant toutes les autres injustices sociales », explique Cecilia Olea.

 

Quelles sont vos principales actions avec le centre ?

« Depuis plus de 40 ans, nous avons d’abord travaillé avec des groupes de femmes des centres urbains, puis du monde rural andin et enfin avec des femmes des communautés indigènes de l'Amazonie. Nous travaillons aussi dans les écoles, les collèges et les universités afin de mettre en avant la production culturelle des femmes : rendre visible les femmes poètes, les écrivaines… La lutte pour le changement culturel, faire évoluer l'imaginaire collectif, nous paraît important pour montrer aux jeunes filles qu’elles sont les maîtresses de leur futur, et ainsi ne pas rester enfermées dans des modèles préétablis par les hommes ».

 

Nous avons quatre grands axes de travail : 

  • Faire respecter les droits humains de la femme, depuis une perspective féministe et intersectionnelle, tout particulièrement le droit à une vie libre de violence et le droit à l'accès à la justice, tant au niveau national que régional, dans les espaces urbains et ruraux.
  • Défendre les droits sexuels et les droits reproductifs des femmes et des adolescentes, obligeant l'État à garantir l’application des normes internationales dans le cadre du droit à la santé. 
  • Renforcer l'exercice des droits politiques et citoyens des femmes à travers la mise en place de collectifs féministes régionaux, de mouvements de femmes et d'institutions publiques afin d’avoir une influence politique et communicationnelle qui permettent d'avancer vers la démocratie paritaire.
  • Contribuer à l'incorporation de la perspective de genre dans les politiques de développement rural et dans la lutte contre le changement climatique, en priorisant les droits des femmes rurales et la relation équilibrée avec la nature.

 

Brigitte Krulic, sur les pas de Flora Tristan au Pérou
© GFLOR

 

Intervention de Brigitte Krulic au Hay Festival d’Arequipa 2022

« Tout sur Flora Tristan » (modération de Doris Guillén) - Samedi 5 novembre 2022, 12h – UNSA (Avec le soutien de l'Ambassade de France au Pérou).

 

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