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Le Fez... de la Grèce antique au 25 novembre 1925

Fez traditionnel ottomanFez traditionnel ottoman
Fez traditionnel
Écrit par Chantal et Jacques Périn
Publié le 24 novembre 2022, mis à jour le 28 février 2024

Qu’il se nomme, fes en turc, fési en grec, fās ou tarbouche en arabe, sarp̄ūšā en syriaque, tarbūš en hébreu, fês en kurde, aṭerbuc en berbère, ou encore chechya stambouli en arabe maghrébin, c’est toujours du même couvre-chef en forme de cône tronqué, en feutre rouge, orné d’un pompon noir pendant sur le côté, dont on parle.

 

Très probablement originaire de la Grèce antique, ce bonnet sans bord a été adopté par de nombreux peuples pendant plusieurs siècles pour prendre, au XIXème, une place prépondérante dans le vestiaire ottoman.

Si, dans sa longue histoire, le fez a été le couvre-chef masculin préféré des Grecs, Turcs, Arabes, Albanais, Berbères, Arméniens, Levantins, ainsi que chez de nombreuses populations musulmanes, force est de constater qu’à ce jour, il est de moins en moins porté.

Le fez n’a pas toujours eu la forme qu’on lui connaît généralement, et il a, au fil du temps, présenté divers aspects. Le modèle le plus ancien qu’on connaisse avait une forme de bonnet blanc, rouge ou noir, entouré d’un long turban.

 

 

sultans fez ottoman

 

À son arrivée à Constantinople, sa forme se modifie progressivement, il diminue, s’arrondit, puis le turban disparaît.

 

Le fez dans l’Empire ottoman

Durant le règne du Sultan Mahmoud II (1808–1839), connu pour la réorganisation de l'Empire sous le nom de Tanzimat, pour la suppression "musclée" de l’ordre des Janissaires et la création d’une nouvelle armée sur le modèle européen, la mode occidentale a progressivement remplacé les vêtements traditionnels portés par la cour.

Peu à peu, si la mode des pantalons et des vestes Alafranga s’est imposée, les couvre-chefs européens à larges bords, haut-de-forme ou à visière s’avérèrent incompatibles avec les prescriptions de l’Islam imposant de toucher le sol du front durant la prière.

C’est l’Amiral Mehmed Husrev Pacha, gouverneur d’Egypte puis Capitan Pacha pendant la guerre d’Indépendance grecque et enfin, en 1827, Commandant de la nouvelle armée remplaçant les Janissaires, qui, dit-on, proposa au Sultan l’usage du fez.

En 1829, le Sultan émit un firman officialisant l’usage du fez dans sa forme modifiée.

Remplaçant le turban, le fez devint la marque de la nouvelle politique nationaliste visant à l’homogénéisation des différentes populations de l’Empire ottoman.

Dès lors, l’ensemble de la population adopte le nouveau couvre-chef, symbole d’une nouvelle façon de concevoir l’égalité des membres de l’Empire, et d'afficher son goût pour la modernité.

 

Sultan empire ottoman fez

Mahmoud II après ses réformes de mode (circa 1830)

 

À la suite de Mahmoud II, ses deux fils Abdülmecid 1er puis Abdülaziz ainsi que les Sultans suivants, Mourad V, Abdülhamid II, Mohammed V, Mohammed VI et enfin le Calife Abdülmecid II perpétuèrent scrupuleusement le port du fez jusqu’à la fin de l’ère ottomane.

 

fez sultan Empire Ottoman
fez ottoman

 

Afin de stimuler l’économie locale, une usine de fabrication de fez est créée sur la rive ouest de la Corne d’Or à Eyüp.

fez ottoman usine istanbul
fez usine istanbul

 

La fabrication du Fez

Désormais conçu exclusivement en feutre de couleur rouge, il nécessite des opérations spécifiques pour obtenir sa forme particulière sans qu’aucune couture ne s’impose à sa fabrication.

. Le feutre : textile non tissé fabriqué par ébouillantage et pression de poils de chèvre, mouton, chameau, ours, castor ou encore de cheval. Chaud, imperméable et résistant, il est utilisé depuis la préhistoire pour la confection de couvertures, tapis, vêtements, yourtes, bottes etc.

. La coloration : caractéristique du feutre du fez, elle est obtenue par macération des baies de cornouiller mâle (kızılcık) donnant cette belle couleur rouge brillant.

 

fez ottoman

 

. Le façonnage : une fois coloré, assoupli et humidifié, le feutre est introduit dans un moule, pressé et chauffé pour avoir sa forme définitive. Une fois sec, le feutre est démoulé et on peut alors procéder aux finitions.

 

fez fabrication

 

Vers l'interdiction du port du Fez

Après la première guerre mondiale, lors la création de la République de Turquie, Mustafa Kemal voit dans le fez un symbole de féodalité incompatible avec la notion de modernité et de laïcité et il dénonce, en outre, son origine grecque.

Présenté comme moyen d’homogénéisation des diverses populations ottomanes depuis presque un siècle par la Sublime Porte, le fez voit soudainement son image se ternir et est expulsé du vestiaire turc en qualité de "costume étranger".

Le 25 novembre 1925 le port du fez est interdit et les hommes turcs se voient contraints de porter un chapeau européen.

La disparition de cet accessoire vestimentaire ne fut pas sans conséquences et, en premier lieu, l’usine de fabrication dut trouver rapidement une autre activité. Très vite recyclée dans la confection de vêtements, elle termina sa carrière dans la fabrication de jouets en bois jusqu’à ce que le plastique envahisse les rayons de jouets et sonne son déclin.

D’autres dommages se firent sentir chez les chapeliers qui durent rapidement ranger les stocks de fez restants et investir au plus tôt dans les nouveaux couvre-chefs occidentaux.

Un journal français de l’époque déplorait les effets de la loi du 25 novembre 1925 sur le commerce stambouliote.

 

fez ottoman

 

Le fez et l’armée

Entre les XVème et XVIIIème siècles, les militaires étaient dotés d’un casque métallique rembourré autour duquel était fixée une cotte de mailles destinée à protéger le cou et les épaules.

 

casque armée ottomane

 

En 1840, le fez rouge orné d’un pompon bleu devint la coiffure règlementaire de l’armée turque.

fez armée turquie

 

En 1910 l’uniforme kaki remplaça la tenue bleu marine et le fez se vit remplacé par le casque sans visière. Durant la première guerre mondiale, les unités de réserve de la marine ainsi que les soldats en permission étaient exceptionnellement autorisés à porter le fez.

 

soldats turcs

 

Durant le XIXème siècle, le fez fait très fréquemment partie de l’uniforme de nombreuses armées recrutées principalement dans les colonies.

Les troupes françaises d’Afrique du Nord portaient un couvre-chef similaire au fez mais non rigide, la chéchia. Cette dernière devint la coiffure traditionnelle des troupes d’Afrique : zouaves, tirailleurs algériens et sénégalais, chasseurs d’Afrique, spahis algériens et tunisiens…

 

guerre de Crimée

 

Pendant la domination britannique en Inde (1858-1947), deux régiments indiens, recrutés dans les zones musulmanes, portaient des fez. En Afrique, les armées anglaises avaient des fez rayés rouges et noirs.

L'armée égyptienne a gardé le modèle classique turc jusqu'en 1950. L’armée belge au Congo avait de larges fez semblables à ceux des tirailleurs sénégalais. En Afrique orientale allemande, de 1885 à 1919, les soldats portaient un fez kaki. Les régiments au service de l'Italie en Érythrée et en Somalie portaient le fez rouge orné d’un pompon de la couleur de leur unité. De leur côté, les bataillons libyens et les escadrons de l'armée coloniale italienne optèrent pour un fez rouge, plus petit que le fez traditionnel, porté sur des calottes blanches. L’infanterie de Bosnie-Herzégovine créée en 1882, porta le fez durant la première guerre mondiale.

 

guerre fez

 

À noter que lors de la deuxième guerre mondiale, les soldats recrutés parmi les Bosniaques musulmans de la 13ème division SS de montagne portaient également le fez.

 

fez ottoman

 

Adopté par de nombreuses armées, coloré, décoratif et pittoresque, le fez s’est toutefois révélé peu pratique pour de nombreuses raisons ; trop voyant, offrant une cible aux tireurs ennemis, faible protection contre les intempéries, trop facilement perdable lors des assauts et n’offrant aucune protection contre les balles.

À l’issue de la décolonisation, les armées ont rapidement délaissé le fez au profit de couvre-chefs plus discrets et surtout plus protecteurs. Toutefois, il est resté dans le vestiaire cérémonial de quelques armées comme les Gardes rouges au Sénégal, les Bersaglieri en Italie, les Regulares en Espagne ainsi que la milice volontaire des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc dont l’uniforme de parade se compose de la cape blanche et du fez traditionnel.

Le fez dans la publicité

Mais revenons quelques décennies plus avant pour dire quelques mots du fez le plus célèbre en France : celui figurant sur les affiches et les emballages de la marque de chocolat en poudre BANANIA.

Pierre-François Lardet, aidé d’un ami pharmacien qui a pu déterminer la proportion exacte de farine de banane, de céréales, de cacao et de sucre à mélanger pour obtenir cette boisson reconstituante, dépose la marque le 31 août 1914, et commence la commercialisation industrielle.

Lorsque la première guerre mondiale éclate, le  Banania devient la boisson réconfortante de la France en guerre. Pierre-François Lardet décide d’envoyer quatorze wagons remplis de la célèbre poudre chocolatée sur le front pour donner "force et vigueur" aux soldats, dont les tirailleurs sénégalais, qui se battent courageusement.

C’est cette image de force et de courage qui inspire alors le dessinateur Alexandre de Andréis, peintre de sujets militaires et dessinateur publicitaire, créateur du fameux tirailleur de Banania.

Plus d’un siècle plus tard, bien que le graphisme ait évolué, on peut toujours voir, sur les emballages de la fameuse boisson, l’image discrète du désormais célèbre tirailleur sénégalais, et de son illustre fez.

 

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Désireuse de maîtriser et de gérer la partie la plus importante de la confection des tenues vestimentaires militaires, la France fait appel à des fabriques métropolitaines pour le façonnage des fez destinés aux armées coloniales. C’est ainsi que les établissements Cabrol et Baissette, dans le sud de la France, sont choisis pour fabriquer le fameux couvre-chef jusqu’à ce que son usage tombe en désuétude, et laisse la place à la casquette.

 

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Relégué aujourd’hui au rang de souvenir pour touristes, orné d’arabesques fantaisistes, de broderies ou de fausses monnaies en faux or, en carton floqué, souvent fabriqué en Chine, le fez, souvenir d’une époque révolue, résiste cependant à l’oubli de l’histoire et conserve l’aura d’un Orient toujours envoutant.

 

fez dans la culture populaire moderne

 

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