Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 6
  • 0

Centenaire de la mort de Pierre Loti : pèlerinage sur ses pas à Istanbul

Le nom de Pierre Loti, qui nous quitta il y a cent ans, le 10 juin 1923, est, en dépit du temps qui passe, toujours associé à la ville d’Istanbul, puisque les sept séjours que l’écrivain y effectua, à la fin du XIX siècle et au début du XXe, lui inspirèrent, sans compter ses écrits courts, six œuvres majeures, Aziyadé (1879), Fantôme d’Orient (1902), Les Désenchantées (1906), le guide Constantinople (1890) mais aussi des essais politiques engagés en faveur de la Turquie, comme La Turquie agonisante (1913) ou Suprêmes visions d’Orient (1921).

rue Pierre Loti rue Pierre Loti
La rue Pierre Loti
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 8 juin 2023, mis à jour le 7 août 2023

Alors, pour commémorer le centenaire de celui qui, selon Claude Farrère, n’avait "point d’équivalent dans la littérature universelle", partons en pèlerinage sur les lieux perpétuant sa mémoire.

 

portrait Pierre Loti
Portrait dans le café Pierre Loti

 

Le lycée français Pierre Loti d’Istanbul

Le Lycée français Pierre Loti d’Istanbul, qui abandonna son appellation d’"Ecole française d’Istanbul" en février 1989, immortalisa ainsi le nom du grand écrivain turcophile. L’établissement accueille les élèves sur deux sites, à Beyoğlu et à Tarabya, où l’école est située dans le parc de l’ancienne résidence d’été des ambassadeurs de France, dont ne subsiste que le bâtiment autrefois affecté à l’intendance, le palais ayant été détruit par un incendie en 1913.

 

Les deux bâtiments de l'ambassade de Tarabya, fin XIXe
Les deux bâtiments de l'ambassade de Tarabya, fin XIXe

 

C’est dans cette rade que revint Loti en 1903, l’année de ses 53 ans, lors de son cinquième voyage en Turquie, pour prendre le commandement du Vautour, un "stationnaire" chargé d’assurer la sécurité du corps diplomatique. Et l’enseigne de vaisseau Charles Bargone, alias Claude Farrère, écrivit : "Si le Vautour n’est rien, Loti est quelque chose… Notre humble bateau sera demain commandé par l’un des plus grands hommes qui vivent à l’heure présente" !

La rue Pierre Loti

La rue Pierre Loti, "Piyer Loti Caddesi", témoigne de l’amitié des Turcs envers Loti. En effet, elle fut inaugurée à Sultanahmet par le préfet de la ville, le 3 janvier 1922, grâce à l’initiative de trois écrivains et journalistes turcs, dont le grand poète Yahya Kemal, qui participa activement au comité militant et fit l’éloge inconditionnel de Loti dans ses écrits.

Cette rue constitue l’un des symboles de la reconnaissance manifestée à Pierre Loti pour son engagement aux côtés de la Turquie lors des jours sombres de l’histoire du pays. Déjà, après la publication de La Turquie agonisante, dénonçant la coalition des Européens contre l’Empire ottoman, Loti avait été accueilli en visite officielle à Istanbul en 1913. Puis, plus tard, en 1921, la Turquie envoya à l’écrivain, alors très malade dans sa maison de Rochefort, une délégation dirigée par Madame Férid Bey, première secrétaire de l’ambassade d’Ankara en France, qui lui offrit un tapis spécialement confectionné pour lui par des orphelines de guerre.

La maison de Pierre Loti

En marchant sur Divan Yolu, on arrive à la maison de Çemberlitas, où le grand écrivain demeura lors de son sixième séjour, en 1910. Loti était invité à Kandilli chez le comte et la comtesse Ostrorog, dans leur demeure en bois au bord du Bosphore, mais pour échapper à la multitude de visiteurs brûlant de le rencontrer, il partit se réfugier dans cette habitation, que la comtesse Ostrorog, qui comprenait son besoin de solitude, l’aida à meubler "à la turque".

 

Maison de Pierre Loti
Maison de Pierre Loti

 

Elle écrivit d’ailleurs dans ses souvenirs : "C’était une petite maison au cœur de Stamboul, devant laquelle le passant s’arrête pour lire la plaque qui y perpétue le souvenir de l’hôte qui l’a illustrée par son court passage". En effet, lorsqu’en 1920 fut organisée, à l’Université d’Istanbul, une conférence sur Loti, on le nomma "citoyen d’honneur" de la ville et on apposa sur la façade de la maison la fameuse inscription gravée dans le marbre : "Pierre Loti, de l’Académie française, le noble et fidèle ami des Turcs dans leurs jours de prospérité ou de malheur, a habité cette maison en 1910."

 

Inscription sur le mur de la maison de Pierre Loti
Inscription sur le mur de la maison de Pierre Loti

 

La tombe d’Aziyadé

La tombe d’Aziyadé se trouve vers la porte d’Edirne, dans un vieux cimetière appelé "Eski Topkapı Mezarlığı", soit "l’ancien cimetière de Topkapı". Tout d’abord, rappelons qu’entre le 1er août 1876 et le 27 mars 1877, Loti, âgé de 26 ans, effectua un premier séjour à Istanbul comme enseigne de vaisseau sur Le Gladiateur. L’événement majeur de cette période fut son histoire d’amour avec Aziyadé, une jeune turque qu’il rencontrait en cachette et dont il se fit tatouer le prénom sur la poitrine. Le départ du marin pour d’autres horizons, en mars 1877, marqua la fin de son idylle.

 

Portrait d'Aziyadé
Portrait d'Aziyadé

 

Dix ans plus tard, lorsqu’il revint à Istanbul pour un court séjour, Pierre Loti reprit son costume local et se rendit dans la vieille ville, en quête des souvenirs du passé. Entre temps, il avait publié anonymement Aziyadé, avait aménagé une "chambre turque" dans sa maison de Rochefort, tenté de convaincre un ami de l’ambassade de faire enlever Aziyadé et surtout, avait acquis la célébrité sous le pseudonyme de "Pierre Loti", en écrivant plusieurs romans, dont le fameux Pêcheurs d’Islande. Mais il apprit alors avec effroi, à "Stamboul", non seulement la mort d’Ahmet, son fidèle complice, mais aussi celle d’Aziyadé. Les plaintes lyriques du narrateur à la recherche des tombeaux constituèrent le sujet de Fantôme d’Orient… Lors de son cinquième séjour, comme il l’écrivit dans son journal intime le 8 mars 1904, il déroba la stèle de celle qui se nommait en réalité "Hatidjé, fille d’Abdullah le Caucasien" et l’emporta dans sa maison de Rochefort, après l’avoir remplacée par une copie qui disparut ensuite.

 

Loti sur la tombe d'Aziyadé
Loti sur la tombe d'Aziyadé

 

Aujourd’hui, on peut lire une épitaphe plus récente apposée par les amis de Loti : "Ici repose la Circassienne Hatice, fille de Abdullah Efendi, héroïne du roman Aziyadé (1879), du romancier français Pierre Loti. Paix à son âme. 23 octobre 1880".

 

Tombe d'Aziyadé aujourd'hui
Tombe d'Aziyadé aujourd'hui

 

Le café Pierre Loti

Le café Pierre Loti, à Eyüp, est sans doute le lieu le plus emblématique de l’écrivain à Istanbul. La colline sur laquelle il se trouve prit son nom en 1922, au moment où l’on inaugura sa rue.

 

Le café Pierre Loti
Le café Pierre Loti

 

Deuxième chalet du café
Deuxième chalet du café

 

Contrairement à ce qu’on lit parfois, le café Pierre Loti n’était ni la maison où l’écrivain rencontrait Aziyadé, ni l’une de ses habitations mais un modeste café existant depuis le XVIIIe siècle, où il se rendait parfois pour fumer un narguilé. C’est une dame nommée Sabiha Tansuğ, qui, après avoir collecté des objets anciens et des souvenirs de l’écrivain, lui redonna tout son lustre en 1964.

 

Loti fumant le narguilé Istanbul
Loti fumant le narguilé

 

Depuis la construction d’un téléphérique qui permet d’y accéder sans gravir la colline par le sentier traversant le cimetière, la romantique petite maison de bois sombre, accolée à une bâtisse envahie de glycines où l’on vend des objets souvenirs, est devenue une destination de promenade dominicale, dans une ambiance de kermesse. Si l’on veut y prendre un café sur la terrasse en contemplant le merveilleux panorama du fond de la Corne d’Or ou y évoquer la mémoire de Loti, mieux vaut donc s’y rendre en semaine…

 

Le panorama depuis le café Pierre Loti
Le panorama depuis le café Pierre Loti

 

Même si l’on peut regretter l’absence à Istanbul d’un Musée Pierre Loti, ces lieux garderont vivace la mémoire de l’auteur, qui avait conscience de leur caractère unique, puisqu’il déclara à la fin de sa vie : "Le Café Pierre Loti, c’est mon plus beau titre de gloire, avec la plaque que l’on a posée, en ville, sur la maison que j’ai habitée…"

Pour terminer ce pèlerinage, disons, à l’instar d’Aziyadé : "Seni seviyorum, Loti"…

 

Un graffiti à Eyüp
Un graffiti à Eyüp

 

> À partir du 17 juin, l'Institut français de Turquie mettra en place une application gratuite "Istanbul, sur les traces de Pierre Loti", à télécharger sur Apple Store et Google Play 

Sujets du moment

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions