Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

INDUSTRIE TEXTILE – Des usines du Cambodge aux grands magasins parisiens… Comment alerter l’opinion ?

Le Collectif Ethique sur l'étiquette, membre français du réseau européen Clean Clothes Campaign, se donne pour mission d'alerter l'opinion publique sur les conditions de fabrication des vêtements et les violations des droits humains au travail dans les usines du monde. L'association a récemment lancé ''Made in Cambodge : le salaire de la faim'' : une campagne-choc dont Nayla Ajaltouni, coordinatrice du Collectif Ethique sur l'Etiquette, nous explique les principaux enjeux.

LePetitJournal.com : Vous avez lancé mardi 18 septembre la campagne Made in Cambodge avec une action coup de poing : un die-in dans un magasin parisien pour dénoncer les conditions de travail des ouvrières du textile au Cambodge. Quel bilan faites-vous de cette journée de mobilisation ?

Évanouissement symbolique devant un magasin H&M à Paris, mardi 18 septembre 2012.
Photo © SGEN, FEP-CFDT, Fédération des services CFDT, Raphaël Mège


Nayla Ajaltouni : L'objectif de cette action a été atteint : plus que de mobiliser un grand nombre de participants, il s'agissait d'attirer l'attention des médias sur l'objet de notre campagne, par une action ''d''évanouissement'', symbolisant des nombreuses ouvrières qui se sont évanouies d'épuisement dans les usines de textile au Cambodge (NDRL : des actions similaires ont été organisés dans toute l'Europe).
Au-delà de cet événement symbolique, qui a rassemblé une vingtaine de militants membres du Collectif ESE, nos collectifs locaux engageront une action de terrain (interventions, débats, etc), visant à sensibiliser le public à la question des salaires dans l'industrie textile au Cambodge via des débats. Dans le même temps, nous dialoguons avec les 4 marques ciblées pour qu'elles mettent en oeuvre des actions concrètes en faveur d'un salaire vital. Le but de toutes ces actions : amener le plus grand nombre de citoyen(ne)s à signer via notre site web un courrier d'interpellation adressé aux marques concernées pour qu'elles s'engagent concrètement dans la mise en oeuvre d'un salaire vital.

Des usines cambodgiennes... aux grands magasins parisiens : comment mobilise-t-on l'opinion en France pour une cause qui se trouve finalement si ''éloignée'' d'un point de vue géographique ?

C'est tout l'enjeu du Collectif, et des organisations de solidarité internationale en général : il s'agit de faire prendre conscience aux citoyens des interactions entre nos modes de consommation ''ici'' et les modes de production ''là bas''. Aux deux extrémités de la chaîne, ce sont les consommateurs et surtout les ouvriers qui paient le prix de course effrénée vers le moins disant social. En outre, cette course vers le bas impacte aussi nos conditions de travail ici : comment lutter ici pour le maintien de conditions décentes de travail, quand une main d'?uvre abondante et peu chère est à portée de main dans les pays moins-disant socialement ? Cette concurrence instaurée entre les travailleurs du monde n'est pas viable à long terme. Nous ne nous plaçons pas sur le terrain de la culpabilisation : nous souhaitons montrer que l'interdépendance des économies ne souffre pas l'inertie citoyenne !

H&M avait d'ailleurs exprimé son engagement en faveur d'une résolution rapide du conflit social suite à l'un de vos appels urgents en septembre 2010. La multinationale suédoise a-t-elle montré d'autres efforts en ce sens depuis ?

Nous sommes face à l'éternel fossé entre l'engagement des grandes marques, et la communication excessive qu'elles en font, et leurs actes. Les multinationales ont toutes pris l'engagement de respecter ? ou plutôt de faire respecter par leurs fournisseurs ? les droits humains au travail. Le problème est aujourd'hui que ces engagements ne se traduisent par des avancées significatives pour les travailleurs qui continuent, malgré les audits sociaux et les codes de conduite, à devoir travailler 70 heures par semaine pour des salaires de misère et dans des conditions dangereuses. Les ouvriers de la confection au Cambodge ont subi une perte de 14 % de leur pouvoir d'achat depuis 10 ans, si l'on prend en compte l'inflation qui touche les biens de base.
C'est pourquoi, malgré l'attitude ''volontariste dans l'intention'' d'entreprises comme H&M, nous avons décidé de lancer cette campagne publique. Le véritable problème réside dans les pratiques d'achat : sans une modification de ces pratiques de pression à la baisse sur les prix et les délais, aucune amélioration tangible des conditions de travail et des salaires ne pourra advenir.

Répression syndicale, licenciements : Les syndicats comme C.CAWDU ont-ils selon vous une réelle marge de man?uvre dans ce conflit social ?

La marge de man?uvre existe, mais elle est réduite. Au Cambodge, 60% des ouvriers du secteur textile sont syndiqués, contrairement à d'autres pays de la zone, ce qui constitue une force certaine malgré la répression syndicale existante. En outre, les syndicats ont avec eux la maîtrise de la production! Même si cela est loin d'être aisé en raison des impacts sur les revenus et l'emploi des travailleurs, les grèves massives, ayant impliqué plus de la moitié de la force de travail du secteur ont eu un impact important. Si les entreprises du textile s'adressent aujourd'hui au gouvernement du Bangladesh pour demander une revalorisation du salaire minimum, c'est surtout car les grèves désorganisent la chaîne de production... et donc le système rôdé de production à moindre coût!
Aujourd'hui au Cambodge, des négociations salariales existent, impliquant, entre autres, C.CADWU, GMAC et le gouvernement. Nous estimons que les multinationales ont la responsabilité de donner aux gouvernements un signe positif, selon lequel elles ne délocaliseront pas leur production en cas d'augmentation du salaire minimum, à un niveau décent, mais absorberont cette augmentation nécessaire.

Qui sont vos interlocuteurs privilégiés au Cambodge ? Travaillez-vous avec des ONG sur place, des officiels ?

Nos actions n'ont de sens que si elle sont réalisées en soutien, et en lien étroit avec les premiers concernés, c'est-à dire les travailleurs et leurs représentants. Au Cambogde, nous travaillons avec plusieurs ONG et syndicats. Au-delà de courriers ponctuels lorsqu'ils peuvent se justifier, nous n'entrons pas régulièrement en relation avec les autorités locales ; notre rôle est d'appuyer les organisations partenaires dans la négociation collective avec les autorités publiques et l'industrie locale, en amenant notamment les entreprises européennes à traduire en actes leurs politiques de responsabilité sociale vis-à-vis de leur chaîne d'approvisionnement.

Céline Ngi (www.lepetitjournal.com/Cambodge) Vendredi 28 septembre 2012