Lyon, Kolkata, Lucknow, qu’ont en commun ces trois villes ? Elles ont en commun un homme, le Major-Général Claude Martin, fils d’une modeste famille lyonnaise, qui par une disposition testamentaire généreuse, légua une part de son immense fortune pour la création d’écoles, dont il avait lui même choisi le nom : les écoles La Martinière, à la ville de Lyon et aux villes de Lucknow et Calcutta en Inde.
Les Lyonnais connaissent bien cette “institution” qu’est l’école publique La Martinière, proche de la place des Terreaux, fondée en 1827.
Après la seconde guerre, La Martinière s’est étendue et les filles sont alors transférées à La Martinière-Duchère. Par la suite en 1967, une troisième école La Martinière-Monplaisir, est construite dans le 8 ème arrondissement de Lyon.
Les établissements sont devenus indépendants les uns des autres en 1978.
Calcutta, la capitale de l’Etat du Bengale-Occidental, possède une école La Martinière fondée en 1836, un établissement scolaire privé, chrétien et indépendant du gouvernement, dont il est dit que “c’est l’un des établissements les plus prestigieux d’Inde”.
Les habitants de Lucknow, capitale de l’Etat indien de l’Uttar Pradesh, quant à eux, connaissent La Martiniere collège, un établissement scolaire privé, non confessionnel, de grande réputation, réparti en deux campus, l’un pour les garçons, fondé en 1845 et l’autre pour les filles, fondé en 1869.
Qui était Claude Martin ?
Claude Martin est issu d’une famille de vinaigriers, il était destiné à continuer l’affaire familiale, cependant il entra à 14 ans comme apprenti compagnon chez Jean Baptiste Girard, fabricant de soie et de fils de métal, en 1749 pour une période de cinq ans.
L’année suivante, la récolte de soie fut si mauvaise dans la région, que beaucoup de soyeux furent précipités dans le chômage et la pauvreté.
Claude Martin était un bon élève, doué en science et physique, il savait aussi compter et lire.
En septembre 1751, à l’âge de 16 ans, Claude Martin décide donc de s’enrôler comme "simple soldat" , dans la Compagnie française des Indes Orientales, pour aller servir en Inde.
On relate qu’alors, sa belle-mère lui dit :
“Pars donc obstiné que tu es, mais ne reviens qu’en carrosse”.
La Compagnie française des Indes Orientales, créée par le roi Louis XIV
La Compagnie française des Indes Orientales est créée en 1664 par Louis XIV à l’instigation de Colbert, pour damer le pion aux Anglais et aux Hollandais qui commerçaient déjà en Asie.
Elle reçoit du roi, pour cinquante ans, le monopole du commerce et de la navigation dans les océans indiens et Pacifique, ainsi que la concession à perpétuité de toutes les terres qu’elle pourra conquérir. Elle est chargée d’établir des comptoirs en Inde.
La Compagnie est un véritable État dans l’État, elle a le droit d’entretenir des relations diplomatiques avec les souverains locaux, de négocier des traités commerciaux et politiques, d’entretenir une armée, elle frappe sa monnaie (un hôtel des monnaies est construit à Pondichéry) et elle a le pouvoir de rendre la justice civile et criminelle.
Au XVIIIe siècle la “bonne société” européenne découvrait les marchandises “exotiques” que les commerçants rapportaient de leurs voyages dans les lointains pays de l’est : le mobilier, les objets en porcelaine, le thé, les épices dont le poivre, le café et de magnifiques cotonnades, soies et mousselines indiennes. À noter que les soyeux lyonnais obtiendront l’interdiction des importations de soies chinoises et indiennes en 1714.
La Compagnie des Indes Orientales disparaîtra avec la Révolution française.
Que sont les Indes du XVIIIe siècle, lorsqu’arrive Claude Martin ?
Claude Martin a quitté la France, sur laquelle régnait Louis XV, le 9 décembre 1751 alors qu’il avait 16 ans. Il embarque à Lorient sur le Marchault qui fait route pour Pondichéry.
Que sait-il du pays où il se rend, sinon qu’il espère y faire fortune ?
Alors qu’aucune carte n’est en usage dans le domaine public, quelles représentations avait-il, lui comme tant d’autres, du sous-continent indien ?
En 1398, il y eut les invasions musulmanes et les armées turco-mongoles commandées par le sanguinaire Tamerlan qui arrivèrent d’Asie centrale en 1398. Delhi devient un sultanat, et Tamerlan poursuivit ses conquêtes et massacres, dans le chaos le plus total. Les Indes sont alors divisées en de multiples États musulmans ou hindous.
L’Empire des Grands Moghols 1526-1857
Babur, descendant de Tamerlan vient lui aussi réclamer son héritage. Il est le fondateur de la dynastie Moghol. Chassé d’Asie Centrale, il part à la conquête du nord de l’Inde à la demande d’un prince Rajput (du Rajasthan) auquel il s’allie. Il ramène avec lui l’ordre, une période de paix et lance un certain renouveau culturel et artistique d’inspiration persane, que nous connaissons encore aujourd’hui : l’art des jardins (les jardins de Shalimar à Lahore), l’art funéraire (le Taj Mahal construit entre 1636 et 1652), et l’art des pierres précieuses (le trône du Paon 1739).
Babur initie l’unification du nord de l’Inde, construit des routes, développe l’industrie et impose une monnaie unique. Lorsqu’il meurt en 1530, ses successeurs ont des règnes brefs et agités.
L’Empire Moghol est le plus puissant du XVII ème siècle, les villes de Lahore, Delhi, Agra, Ahmedabad, font parties des villes les plus fastueuses du monde et on estime, qu’alors l’Inde assure 25% de la production manufacturière mondiale.
L’empire Moghol commence à se déliter après la mort d’Aurangzeb en 1707, un des derniers Grands Moghol qui fit de l’empire la plus grande économie du monde.
Nader Chah, un Turcoman qui règne sur la Perse, porte un coup fatal à cet empire qui s’est affaibli, avec le saccage et le pillage de Delhi en 1739. 30000 habitants de Delhi sont massacrés.
Une guerre de succession s’amorce, plusieurs gouverneurs seigneuriaux prennent leur indépendance et se livrent à des guerres locales, finalement l’Empire s’effondre.
Une longue période de colonisation européenne de 1498 à 1954.
En 1498, Vasco de Gama ouvre au Portugal la route des Indes. Possédant une grande maîtrise des mers et le monopole du commerce maritime avec l’Inde, les Portugais ne réussiront à imposer leur autorité que sur de petites enclaves sur la côte ouest : Goa, Daman, Diu, Dadra et Nagar-Aveli.
Le Raj britannique : 1757 à 1947.
En 1639, les Anglais fondent Madras et construisent le Fort Saint George au Tamil Nadu, ils s’installent à Bombay et Calcutta. En 1690 au terme d’une guerre Anglo-Mongole qui dure quatre ans, les Anglais, avec l’accord bienveillant des Grands Moghols et des nababs du Bengale, construisent un fort à Calcutta.
Cette situation permet à la Compagnie anglaise des Indes orientales de prendre le contrôle du pays à partir du Bengale, où elle est bien implantée.
Les Britanniques disposant de l’immense force technique que leur confère la révolution industrielle Européenne du XVIIIe siècle, entament une conquête territoriale. Les territoires des chefs indiens sont soit annexés, soit placés sous protectorat.
Ce n’est que 40 ans plus tard, que les Anglais soumettent l’Inde du sud et l’actuel Sri Lanka.
La colonisation française : 1668 à 1954
Le premier comptoir de l’Inde française est Surat, dans l’Etat de Gujarat à l’ouest de l’Inde, fondé en 1668 par la Compagnie des Indes orientales. Ensuite les établissements de Pondichéry sont créés en 1674. La ville qui possède un port devient la capitale de la colonie. Vient alors Chandernagor en 1686, situé au bord d’un cours d’eau qui donne accès à la riche province du Bengale, Mahé en 1721, Yanaon en 1725 et Karikal en 1739. Huit comptoirs s’y ajoutent.
Les petits rois locaux négocient avec les Français, ils ont compris qu’ils peuvent s’enrichir en vendant aux Européens qui arrivent sur leurs bateaux, des parcelles de terrains sur les côtes et percevoir en retour, des taxes douanières sur les marchandises qui traversent leurs territoires.
Pondichéry est repris à la France par les Britanniques à trois reprises, mais en 1816 elle est définitivement rendue à la France.
Entre 1950 et 1954, les différents territoires se détachent de la France pour rejoindre l’Union indienne.
Claude Martin a Pondichéry, un soldat d’expérience
Après six mois de voyage, Claude Martin arrive dans un pays fragmenté, livré à de multiples conflits.
Il débarque à Pondichéry et sert sous les ordres du commandant Dupleix, alors général des établissements français en Inde et gouverneur de Pondichéry. En 1754, sur la foi de rapports mensongers, celui-ci est rappelé en France.
En 1758, le Comte de Lally baron de Tollendal, commissaire du Roi et commandant en chef des forces armées indiennes, est envoyé à Pondichéry par la France sur ordre de Louis XV, pour maintenir les positions françaises et “rétablir l’ordre, le règlement et la discipline parmi les troupes de la Compagnie”. Duval de Leyrit est alors gouverneur de la ville.
Parmi les soldats, ceux qui ont réussi à survivre six ans, aux maladies et aux épidémies, comme Claude Martin, sont considérés comme des hommes endurcis et expérimentés. Il est alors naturellement affecté à la garde personnelle du Comte de Lally. Les troupes de la Compagnie anglaise étaient alors engagées dans le nord de l’Inde sous le commandement de Robert Clive pour reconquérir Calcutta, tombée aux mains du Nabab du Bengale.
Le comte de Lally obtient que le Fort anglais de Cuddalore se rende et il s’empresse d’assiéger et de conquérir la ville de Madras (Chennai), occupée par les Anglais, pour asseoir la domination française en Inde du Sud.
Cependant les troupes françaises ne sont pas payées ou avec beaucoup retard, elles manquent de munitions et de nourriture. Les soldats indisciplinés courent les rues de Madras, cherchent de quoi manger et pillent ce qu’ils trouvent. Une série de regrettables manœuvres stratégiques font perdre Madras aux Français. À la suite, les troupes indiennes de Lally, qui attendent en vain leur solde, désertent. Des mutineries éclatent dans l’armée française qui refuse d’obéir à ses ordres lors de la bataille de Wandiwash, considérée comme un tournant décisif dans la lutte pour le contrôle de l’Inde par l’Angleterre.
Le commandant en chef, a acquis la réputation d’être fanfaron, malgré sa vivacité d’esprit, mou et plein de mépris pour ses troupes en Inde, alors que du côté britannique le lieutenant général Sir Eyre Coote est appelé par ses troupes de cipayes (fantassins indiens professionnels), Coote Bahadur (Coote le Brave).
De nombreux soldats français désertent et viennent lui offrir leurs services, contre de meilleurs traitements.
En 1760, Sir Coote décide de promouvoir officier le meilleur sergent parmi les soldats déserteurs français et il désigne cinquante hommes qu’il nomme « Volontaires » et qui doivent être prêts à combattre « lors de situations délicates à la place de ses hommes ».
Ainsi lorsque Claude Martin, qui a 25 ans, vient à son tour proposer ses services à Sir Eyre Coote, celui-ci, l’ayant repéré comme “homme d’esprit”, il le désigne pour prendre la tête de la “Compagnie Française Libre”, constituée de déserteurs.
Claude Martin expliquera plus tard dans une lettre adressée à un ami, que ses relations avec Lally étaient devenues déplorables, ” alors que je m’opposais au Général Lally, il tourna sa colère contre moi ; s’il avait eu la mauvaise idée de me frapper, je lui aurais certainement passé mon épée en travers du corps”.
Le Comte de Lally retourne en France, en disgrâce, comme son prédécesseur Dupleix et il est exécuté en 1766. En 1778, il est réhabilité par les autorités françaises qui admettent leurs torts et son titre et ses biens sont restitués à son fils.
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