Le Premier ministre Modi s'est rendu les 10 et 11 février à Paris au Sommet d'action sur l'intelligence artificielle. Sa coprésidence aux côtés du président Emmanuel Macron rappelle que la France est aujourd'hui le partenaire le plus important de l'Inde en Europe.


L'Inde : l'intelligence artificielle (IA) pour tous
Lors de son passage à Paris, Narendra Modi a défendu l'idée d'une une intelligence artificielle pour tous ("AI for all") et souhaite que l'Inde devienne un des pays importants dans le développement de l'IA.
Pourtant l'Inde présente certaines faiblesses. Malgré le fait qu'il existe de grandes entreprises comme Tata Consultancy Services, Infosys ou Wipro qui ont un véritable savoir-faire dans le numérique, l'Inde accuse un retard dans la course à l'IA. Ce retard est en partie lié au fait que malgré un vivier important de jeunes diplômés en informatique, le pays manque de véritables talents en IA faute de formation adéquate. Les grands groupes doivent donc faire appel à de la main d'œuvre étrangère hautement qualifiée pour mener à bien leurs missions de développement.
Une autre faiblesse réside dans le fait qu'à ce jour l'Inde dépend de la Chine pour les semi-conducteurs. Si elle envisage de faire des Etats-Unis son futur partenaire privilégié, l'implantation d'usines de production locales serait nécessaire pour gagner en autonomie stratégique. Or, bien que le gouvernement répète le slogan "Make in India" comme un mantra pour inciter les investisseurs étrangers à produire en Inde pour le marché indien, il n'existe aujourd'hui que trois projets de construction d'usines de production de semi-conducteurs.
Conscient de l'importance de l'IA et de son retard dans le domaine, le gouvernement a mis en place en 2023 la Mission indienne de l'intelligence artificielle. Quelques jours après qu'un laboratoire chinois d'IA ait lancé le modèle fondamental à faible coût DeepSeek, le gouvernement indien annonça qu'il avait décidé de construire son propre grand modèle linguistique national pour rivaliser avec ses concurrents américains (ChatGPT) et chinois (DeepSeek). Un budget de plus d'1 milliard d'euros est décidé pour mener à bien cette mission et 18 solutions d'IA ont été sélectionnées pour le premier cycle de financement. Ont également été sélectionnées 10 entreprises qui fourniront les GPU, ces processeurs graphiques (sortes de puces haut de gamme) nécessaires au développement d'outils d'apprentissage automatique. L'Inde prévoit de construire un modèle d'IA fondamental en quelques mois et des GPU seront mis à la disposition des start-ups et des universités à des tarifs subventionnés afin de favoriser la recherche et la création de nouvelles applications.
« Depuis un an et demi, nos équipes travaillent en étroite collaboration avec des startups, des chercheurs, des professeurs, etc. Aujourd'hui, nous lançons un appel à propositions pour développer notre propre modèle fondateur. Le modèle tiendra compte du contexte indien, des langues et de la culture, et sera exempt de préjugés », a déclaré le ministre de l'Information Ashwini Vaishnaw.
Les enjeux de l'IA dans le développement socio-économique de l'Inde
Les projets d'IA indiens doivent pouvoir à terme répondre à certaines problématiques socio-économiques spécifiques du pays. Elles se concentrent notamment sur les domaines de l'agriculture, de la santé, du changement climatique et de l'administration publique.
Le pays s'est doté rapidement d'infrastructures numériques publiques qui ont été adoptées très rapidement par la population. Ainsi presque tous les Indiens possèdent une identité numérique (Aadhaar card) et utilisent les systèmes de paiement interopérables et immédiats (UPI...). Mais une grande avancée a été faite dans l'administration avec l'introduction de l'IA conversationnelle. Avec plus de 19.500 dialectes parlés, et près de 25% de la population encore analphabète, l'accès aux services publics reste compliqué voire impossible pour près d'un Indien sur quatre. L'IA permet à ces usagers d'accéder à ces services directement par la voix. Ils sont alors plus autonomes et n'ont plus à recourir à des intermédiaires pour accéder aux informations, remplir les formulaires administratifs, déclarer leurs ressources pour pouvoir bénéficier des aides, etc. Les agriculteurs ont ainsi vu leur accès à l'administration facilité grâce à l'agent conversationnel PM-Kisan (2023) qui leur permet par simple interrogation orale de savoir s'ils peuvent bénéficier d'un programme de subventions de l'Etat.
Face au changements climatiques dont les conséquences n'ont pas épargné l'Inde (inondations, sécheresses, etc), l'IA peut aider à gérer la prévention des risques notamment dans le secteur agricole. Grâce aux relevés des stations météorologiques et aux données satellitaires envoyées sur leurs téléphones portables, les agriculteurs seront plus à même de se préparer aux intempéries. À terme, l'IA leur permettrait de mettre en place un système de production agroalimentaire plus résilient, plus efficace, plus durable, et contribuer ainsi à la sécurité alimentaire du pays. L'IA peut ainsi aider à affiner l'équilibre entre l'offre et la demande, optimiser les pratiques agricoles, réduire les déchets, adapter les cultures aux sols analysés, prévenir les attaques parasitaires ... Le projet pilote d'intelligence artificielle pour l'innovation agricole ''Saagu Baagu'' a ainsi permis d'améliorer la chaîne de valeur du piment pour plus de 7.000 agriculteurs du Telangana. Les agriculteurs participant au programme ont constaté une augmentation de 21 % des rendements, une réduction de 9 % de l'utilisation de pesticides, une diminution de 5 % de l'utilisation d'engrais et une amélioration de 8 % des prix unitaires grâce à l'amélioration de la qualité.
À terme, L'IA devrait pouvoir également aider l'Inde à gérer les problèmes de pollution. Le pays compte un des plus grands nombre de villes où la pollution est extrême. Grâce à sa capacité à collecter un grand nombre de données, l'IA peut aider les villes a cartographier les zones de pollution, analyser l'origine de celle-ci, mettre en place des politiques de prévention, améliorer la gestion du trafic automobile et des déchets... Dans le domaine de la santé, l'IA par une analyse approfondie des populations, pourrait prédire les épidémies et les facteurs de risque, orienter l'allocation des ressources et les stratégies de prévention.
On voit donc à travers ces exemples que pour son développement économique et social l'investissement dans l'IA représente un enjeu majeur et prometteur pour l'Inde, et le pays souhaite se faire rapidement une place entre les deux géants actuels que sont la Chine et les Etats Unis.
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