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Le paradoxe des vacances des expatriés, quand le repos se transforme en marathon

Pour beaucoup, l'arrivée des vacances rime avec plaisir, farniente et détente. Mais pour les expatriés, la réalité est souvent bien différente. Loin des images de cartes postales, cette période tant attendue et souvent fantasmée peut rapidement se transformer en un véritable marathon logistique et émotionnel. Alors loin de la légèreté espérée, il peut s’agir d’une fatigue insoupçonnée, de charge mentale et de frustration. Au-delà de la logistique, se nichent des enjeux profonds.

courir en vacances et en famille courir en vacances et en famille
Écrit par Cécile Lazartigues-Chartier
Publié le 1 juillet 2025, mis à jour le 23 juillet 2025

 

 

Le tour de France, entre plaisir, épuisement et dilemmes

Le scénario est classique : après des mois, voire des années, loin de leurs proches, les expatriés rêvent de retrouver famille et amis. Sauf que ces retrouvailles se traduisent bien souvent par un véritable « tour de France ». On veut voir les parents, les grands-parents, les frères et sœurs, les amis proches, les copains. Chaque rencontre est un moment précieux, une bulle de joie et de partage, mais l'accumulation épuise.

Chaque déplacement, chaque transition, chaque adaptation à un nouvel environnement familial ou amical est une énergie dépensée. La fatigue physique s'installe, mais paradoxalement, c'est surtout la charge mentale qui pèse. Anticiper les trajets, coordonner les agendas de chacun, gérer les attentes divergentes… Le cerveau est en ébullition constante. On a beau adorer ces moments, le repos n'est pas au rendez-vous. L'agenda des vacances ressemble plus à celui d'un ministre en tournée diplomatique qu'à celui d'un vacancier. Et quand on a des enfants, on ne veut pas les « priver » encore plus de la famille !

 

 

Décalage horaire, décalage psychologique Sur le plan psychologique, cette frénésie crée une forme de dissonance cognitive. Nous aspirons au repos et à la reconnexion profonde, mais nous nous retrouvons piégés dans une course effrénée. Ce décalage entre l'idéal et la réalité peut générer stress et anxiété. La pression est interne – le désir ardent de ne décevoir personne – mais aussi externe, façonnée par les attentes parfois tacites de ceux qui sont restés.

 

 

la pression des expatriés qui rentrent l'été

 

 

La frustration de l'incomplet, la pression de l'optimisation 

Cette course contre la montre génère inévitablement une frustration. Impossible de tout faire, de voir tout le monde, de passer autant de temps que l'on voudrait avec chacun. On voudrait rattraper le temps perdu (?) pendant notre absence. Impossible ! Les journées sont courtes, les distances parfois longues. L’expatrié a l'impression de ne pas avoir pu honorer toutes les relations ou de ne pas avoir eu le temps d'approfondir chaque échange. On repart parfois avec le sentiment d'avoir effleuré les choses, sans jamais pouvoir vraiment s'ancrer dans le « ici et maintenant » de ces retrouvailles.

 

 

La qualité de la présence est-elle sacrifiée sur l'autel de la quantité des rencontres ?

 

 

Optimiser les vacances, un dangereux oxymoron

Pour ceux qui vivent dans des pays où les vacances sont moins fréquentes ou plus courtes, comme en Amérique du Nord, cette pression de l'optimisation est décuplée. Chaque jour compte, chaque heure doit être rentabilisée. Le farniente ? Un luxe inabordable. L'idée de flâner, de ne rien faire, de suivre le flow ? On remise de côté au profit d'un programme millimétré. L'objectif est clair : maximiser le temps passé avec les proches, quitte à sacrifier son propre souffle. Ce désir d'optimisation peut paradoxalement empêcher de profiter pleinement de l'instant présent, créant un sentiment de décalage entre le corps qui est là et l'esprit qui court déjà à la prochaine étape.

La question se pose : est-ce vraiment rendre justice à nos relations que de les vivre sous contrainte horaire, avec le sentiment constant de devoir passer à la rencontre suivante ? La qualité de la présence est-elle sacrifiée sur l'autel de la quantité des rencontres ? N'est-il pas plus juste, envers soi-même et envers l'autre, de privilégier des moments plus longs et plus authentiques avec moins de personnes, plutôt que des rencontres éclairs où l'on se sent tiraillé ? On papillonne. Mais finalement, ne s’agirait-il pas de faire le deuil du temps de notre absence. De ce que nous avons manqué du vécu de ceux qui sont restés ? 

 

« Un été, nous avions accepté tellement de retrouvailles que notre agenda était totalement plein. Petits déjeuners, lunchs, apéros et dîners en tourbillon pour satisfaire tout le monde. Et à chaque fois, les gens nous préparaient des festins locaux. On ne se voyait pas leur dire qu’on rêvait de la frugalité d’une salade et de fruits. Je suis reparti avec le poids des kilos en trop et de la frustration de ne pas avoir su gérer face à la famille et aux amis » Aurélien, directeur commercial en mission dans le Pacifique.

 

une famille qui rentre en France pour les vacances et qui court

 

 

Les attentes, les nôtres et les leurs 

Au-delà de la logistique, il y a la délicate question de la gestion des attentes. Celles de la famille et des amis qui, eux, ont hâte de vous retrouver et s'imaginent parfois des retrouvailles idéalisées. Et celles de l'expatrié lui-même, qui rêve d'une bulle de reconnexion, mais peut se heurter à la réalité d'une vie qui a continué sans lui. Ce décalage peut être source de malentendus ou de déceptions.

 

L'expatrié qui rêve d'une bulle de reconnexion, mais peut se heurter à la réalité d'une vie qui a continué sans lui.

 

On se sent coupable de ne pas pouvoir satisfaire toutes les demandes, de devoir refuser une invitation, de ne pas avoir suffisamment de temps pour chacun. On se doit de faire des choix, d’une certaine manière de montrer nos préférences. Parfois on brode pour ménager les susceptibilités, on prend des prétextes… La culpabilité est un poids émotionnel supplémentaire qui érode le potentiel de joie et de repos des vacances. Elle peut aussi alimenter un stress où l'on se sent constamment en déficit, jamais "assez" disponible ou présent.

 

 

Le coût émotionnel et financier pendant les congés 

Enfin, il est impossible d'ignorer le coût financier du périple hexagonal estival. Les billets d'avion sont souvent la plus grosse dépense, mais s'y ajoutent les transports locaux pour sillonner le pays, les sorties au restaurant qu’on aurait peut-être esquivées « pour profiter », les verres partagés ou activités onéreuses « car on se voit si rarement », et bien sûr, les cadeaux, qu'il s'agisse de souvenirs du pays d'accueil ou des attentions pour remercier l'hospitalité. Tout cela s'accumule et peut représenter un budget conséquent. On ne veut pas paraître pingre ou ingrat. Mais ce coût financier peut lui aussi générer de la pression, ajoutant une couche au fardeau de l'expatrié. 

 

 

Comment (bien) dire au revoir à son pays d’expatriation ?

 

 

Repenser les vacances de l'expatrié : une question d’équilibre

Face à ces défis, il est essentiel de revoir l’approche des vacances en tant qu’expatrié. En premier lieu, prendre conscience de nos priorités, de nos besoins… et de nos envies. Puis, s’assurer d’une réelle communication : expliquer aux proches que le temps est compté et qu'il n'est pas toujours possible de contenter tout le monde et accepter de décevoir. Il s'agit d'une démarche de transparence et de respect, pour eux et pour nous, évitant de créer de fausses attentes. Cela passe aussi par la priorisation : choisir consciemment de passer du temps de qualité avec quelques personnes plutôt que d'essayer de voir tout le monde superficiellement. Cela permet de préserver son énergie et d'éviter l'épuisement. Et surtout, cela passe par l'acceptation du fait que ces vacances ne peuvent pas « rattraper le temps de notre absence ».

 

« Il est ultra important de s’octroyer des vacances en amoureux ou en famille nucléaire, tous seuls. Des vacances dans les vacances. C’est devenu notre priorité en famille. On choisit la destination avec les enfants et on passe quelques jours à notre rythme, totalement, en début de vacances. Après on est beaucoup plus disponible pour la famille et les amis. » Laure, responsable RH en Amérique latine.

 

Peut-être est-il temps d'intégrer de s’ouvrir à d’autres manières d’envisager ces vacances  ? Ne pas rentrer un été pour profiter pleinement de ce nouveau territoire géographique étranger? Ou trouver dans le planning des vacances des moments de farniente, de légèreté et de liberté, des plages horaires dédiées au repos pur et simple, loin de toute injonction sociale. Car après tout, les vacances, même pour un expatrié, devraient avant tout être synonymes de ressourcement et non de surmenage. Elles sont une occasion de nourrir les liens, certes, mais aussi de se ressourcer soi-même et de se reposer pour mieux continuer le chemin. C'est une question d'équilibre, de santé psychologique et, in fine, d'intégrité dans nos relations.

 

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