En moyenne, le coût par an d’une scolarité française homologuée à l’étranger augmente chaque année depuis la fin de la gratuité en septembre 2012, pouvant aller jusqu’à plus de 30.000€. Des frais scolaires qui ferment la porte à des parents et obligent à des alternatives. Témoignages.
Le sujet revient à chaque rentrée sur la table des parents français d’élèves scolarisés à l’étranger. Et pour cause : faut-il ouvrir un peu plus son portefeuille pour payer les frais scolaires élevés et qui augmentent ? Cette année 18,3% des parents interrogés ont en fait leur préoccupation majeure, selon une consultation menée par la plateforme communautaire Reflexes en septembre 2023. Parmi eux, certains ont déjà fait le choix de refermer ledit porte-monnaie et se tourner vers d’autres systèmes, comme Marion, Julia, Emilie, Laetitia et Marie Guénaelle, avec qui nous avons échangé pour comprendre cette problématique scolaire dans le monde.
Des frais scolaires élevés en Amérique du Nord mais pas seulement
Marion est maman de 3 garçons, de 11 ans à 18 mois. Elle vivait à Dakar et scolarisait ses enfants dans une école franco-sénégalaise homologuée « car il était important pour nous de rester dans le système français ». Arrivés au Canada avec un contrat local, c’est la douche froide. Impossible de mettre ses enfants au Lycée Français AEFE à cause de tarifs « de l’ordre de 25.000 dollars par enfant. Sans compter que je dois financer une garde pour mon dernier. » Marie Guénaelle est maman de deux enfants de 11 et 13 ans. Expatriés depuis 9 ans, elle est professeur et son mari travaille en contrat local dans une entreprise américaine. Jusqu’ici la famille avait réussi à mettre les enfants en système français « grâce notamment à mon métier de professeur dans l’établissement ». Installés à Atlanta, le seul système homologué français s’élève à plus de 30.000 dollars de scolarité par enfant. « Nous ne pouvons pas payer ces frais ! » confie Marie Guénaelle. Julia et son mari sont expatriés en Californie depuis un an et sont parents de deux filles de 4 et 2 ans. Ils travaillent dans une boulangerie française. Impossible de scolariser leurs enfants en système français « il faut compter 2500 dollars par mois par enfant ».
« Avec nos contrats locaux, nous ne pouvons pas payer ces frais ! »
Mais les frais scolaires du système français bloquent aussi ailleurs dans le monde. Installés en Croatie, Emilie et son conjoint n’ont jamais scolarisé leurs deux enfants en école française « beaucoup trop cher et loin de chez nous. » Partis de France pour recommencer à l’étranger, le couple « n’a pas d’entreprise comme filet financier. ». Non loin d’ici, Laetitia est maman de deux enfants et vit en Pologne. La problématique qu’elle rencontre est double : elle n’a pas d’établissement français homologué près de chez elle et pas les moyens de les y envoyer. Elle a donc placé ses enfants dans une école polonaise qui propose quelques cours en français. Pour garder le lien avec la France, il faudrait suivre des cours du CNED mais n’a « ni le temps, ni les moyens. »
Difficile d’établir avec précision un montant moyen annuel de scolarité française à l’étranger. Les tarifs varient d’un pays à l’autre et d’un établissement à l’autre. Cependant, à titre d’exemples, le coût par an d’un lycée français aux Etats-Unis tourne autour de 30.000€, de 5.000€ au Maghreb, de 10.000€ en Europe et de 8.000€ au Japon. Des montants qui augmentent chaque année : la hausse moyenne observée en 2022 est de de 6% pour l’ensemble des établissements du réseau EFE.
Difficile parfois de se tourner vers les bourses scolaires françaises
Pour faire face à des frais scolaires qui ne rentrent pas dans le budget familial, les pouvoirs publics français ont mis en place un dispositif d’aide sous formes de bourses. Celles-ci sont attribuées aux enfants français résidant avec leur famille à l’étranger et scolarisés dans un établissement homologué par l’éducation nationale, sous conditions de ressources et selon la situation économique et sociale du pays.
« Les bourses sont octroyées aux familles qui n'ont même pas un salaire. Le montant minimum est vraiment bas. ».
Selon le gouvernement, un élève français sur cinq du réseau EFE est boursier aujourd’hui. Mais, selon la Fédération des parents d’élèves (FAPEE), une famille demandeuse sur quatre n’obtient pas de bourse. Et il y a ceux qui n’essayent même pas, comme Marion au Canada « nous ne sommes pas éligibles, nous gagnons « trop bien » notre vie. » Même son de cloche pour Marie Guénaëlle : « je m'étais déjà renseignée aux Pays-Bas où nous étions avant, les bourses sont octroyées aux familles qui n'ont même pas un salaire. Le montant minimum est vraiment bas. ».
Autre critère bloquant, que l’enfant soit scolarisé dans un établissement homologué, comme la situation de Laetitia en Pologne même si, selon le site officiel de l’administration française, « en cas d’absence [d’établissement français reconnu], d’éloignement ou de capacité insuffisante, l’enfant doit être inscrit dans un établissement dispensant 50% minimum d’enseignement français ». A la rentrée 2023 le ministre délégué aux Français de l’étranger, Olivier Becht, précise que l’enveloppe des bourses a été revu à la hausse, à 114 millions mais qu’elle ne permet pas forcément de couvrir une « inflation mondiale qui se répercute sur les coûts de scolarité de certains établissements français ».
BOURSES SCOLAIRES - Olivier Becht ne veut "abandonner personne"
Les alternatives scolaires vers lesquelles les parents français se tournent
A l’instar des parents qui témoignent ici, le constat semble sans appel : l’âge d’or du contrat d’expatriation accolé à une grande entreprise et accompagné d’avantages tels que le financement de la scolarité est révolu. Nombre de Français à l’étranger sont aujourd’hui auto-entrepreneurs, en contrat local, travailleurs indépendants ou fonctionnaires avec des salaires moyens.
« cela fait partie de l'expérience de l'expatriation. Je suis ravie de faire découvrir à mes enfants un autre système éducatif plus riche et divers que le système français. »
Depuis la fin de la gratuité décidée en septembre 2012, de plus en plus de parents sont contraints de faire suivre une scolarité différente à leurs enfants. Ils se tournent alors vers le système local et d’autres formes d’enseignement comme Emilie en Croatie : « Mon fils de 12 ans a fait une double scolarité pendant 3 ans avec école croate et le CNED en programme allégé. Comme c’était très lourd, nous faisons maintenant du homeschooling". Marie Guénaëlle s’est tournée vers le système public américain et en est très contente « cela fait partie de l'expérience de l'expatriation. Je suis ravie de faire découvrir à mes enfants un autre système éducatif plus riche et divers que le système français. » Au Canada, Marion a choisi une école publique franco-ontarienne non homologuée avec un complément CNED « car les règles de grammaire, d’orthographe et de conjugaison sont différentes notamment ». Elle s’estime chanceuse d’être dans un pays avec une alternative de qualité mais trouve « inadmissible » de ne pas avoir accès à une éducation française à prix « au moins » raisonnable. Julia s'est intéressée à une aide de financement sur place : « Nous bénéficions des aides de la Californie qui s’appelle « children home Society » : C’est l’Etat qui aide à payer une partie des écoles / crèches en fonction du foyer, des revenus. Dans notre cas, il s’agit de l’école Montessori américaine. Je suis contente mais je suis aussi triste que mes filles ne puissent pas parler leur propre langue dans le cadre de leur scolarité. ». Autres solutions de financement à envisager, les bourses de mobilité, ouvertes à des lycées français à l’étranger.
Peut-on envisager de supprimer ou baisser les frais de scolarité à l’étranger ?
Aujourd’hui, le débat des frais scolaires revient régulièrement dans les discussions des parties prenantes de l’enseignement français de l’étranger. Lorsque certains avancent que l’école française se doit être gratuite pour tous, ou qu’un enfant français doit pouvoir avoir accès à sa propre culture - au même titre que les élèves en Hexagone - d’autres mettent en avant une « certaine incompatibilité » entre une augmentation de qualité de service et une baisse de frais scolaires. D’autant plus qu’Emmanuel Macron a fixé pour objectif de doubler les effectifs d’élèves dans les établissements français à l’étranger d’ici 2030.
S’affrontent la volonté d’investir pour l’avenir de l’enseignement français et le risque de compromettre les valeurs et la diversité du système éducatif français.
Mixité sociale : qu’en est-il dans les établissements français à l’étranger ?
Autre question qui s’immisce dans le débat, la préservation de la mixité sociale des établissements hors de France, jugée en péril en raison de coûts scolaires grimpants: Des acteurs de l’enseignement à l’étranger craignent une forme d’élitisme à l’avenir, et d’autres considèrent que le système de bourses est une manière de l’empêcher. S’affrontent donc la volonté d’investir pour l’avenir de l’enseignement français et le risque de compromettre les valeurs et la diversité du système éducatif français.