Les nouvelles technologies numériques offrent aux expatriés moult possibilités de maintenir un contact étroit avec leurs proches restés au bercail. De quoi faciliter leur vie à l’étranger… ou freiner leur intégration ? Témoignages.
« On aurait pu être en province, il n’y aurait pas eu grande différence ». Domitilla, orthophoniste belge, se souvient de sa première expatriation à Londres. Aujourd’hui, partir à l’étranger ne veut pas dire couper les ponts avec la France. En plus de pouvoir suivre l’actualité de leur pays et conserver leurs habitudes, les expatriés gardent des liens privilégiés avec l’Hexagone.
Selon l’enquête Ipsos réalisée en 2015 « Liens et relations avec la France des Français résidant à l’étranger », 78% des Français établis à l’étranger rentrent en France au moins une fois par an. Entre ces retours estivaux, WhatsApp, Skype, Facebook et Instagram sont devenus les plus fidèles alliés de la communication des expats’. Une facilité que savourent encore davantage les « vétérans » de la vie à l’étranger. « Lorsque j’étais au Maroc, en 1995, je n’avais pas Internet, juste le téléphone, qui coutait très cher et le courrier qui mettait parfois trois semaines à arriver. Arrivée à Taipei en 1999, les emails ont changé ma vie », explique Isabelle, aujourd’hui expatriée aux Etats-Unis.
« Loin des yeux, loin du cœur, n’est plus aussi vrai qu’autrefois »
« Sans les réseaux sociaux, la séparation avec ce qu’on quittait nous arrivait de plein fouet. C’était ‘ça passe ou ça casse’, observe Audrey Chapot, anthropologue, coach et conférencière. Maintenant, les technologies numériques facilitent la décision de s’expatrier car on sait qu’on ne sera pas ‘coupé du monde’, et les situations transitoires sont plus évidentes ». Un appel vidéo lors des grandes fêtes familiales, une note vocale à un enfant rentré étudier en France, une photo prise et envoyée en deux clics à toute sa famille depuis son smartphone…La facilité des contacts journaliers est « révolutionnaire », estime Marine, depuis Los Angeles. Pour cette Française de 48 ans, « loin des yeux loin du cœur n’est plus aussi vrai qu’autrefois ». Les réseaux sociaux donnent une cure de jouvence aux grands-parents, permettent de renouer des contacts et alimentent les liens sociaux de différentes façons.
Depuis une quinzaine d’années, les expatriés ont également trouvé dans les blogs l’opportunité de partager facilement leur quotidien. « La famille peut suivre nos aventures et j’ai aussi pu me connecter à de nouvelles personnes », justifie Isabelle. « Quand j’étais au Japon, mon blog a permis à mes enfants, qui étaient petits à l’époque, d’avoir des souvenirs en images et en écrits puisque j’ai fini par l’imprimer et en faire un livre » poursuit Domitilla. Plus tard, lors de son séjour à Singapour, elle joignait aux vœux de nouvelle année une « lettre d’informations » numérique, par laquelle elle partageait les nouveautés personnelles et professionnelles de la famille.
A chaque situation son niveau de communication
Pour ceux qui partent quelques années, « le port d’attache reste la France et le lien avec celle-ci via toutes les technologies est très important », explique Audrey Chapot. D’autres testent l’aventure à l’étranger, sans savoir à priori s‘ils rentreront en France. Dans ce cas, « les liens entretenus avec la France sont comme des balises, qui vont leur permettre d’en poser de nouvelles et ainsi construire leur expatriation », assure l’anthropologue. « Quand on se sent entouré (même virtuellement !), cela donne de l’énergie pour être proactif et s’intégrer » confirme Marine. Enfin, certains quittent la France avec un aller simple. Sans couper les ponts, ils prennent plus de distance et établissent des filtres dans leur communication, pour que celle-ci n’empiète pas sur leurs nouvelles rencontres à l’étranger.
Le tempérament des personnes, l’intention de l’expatriation - le fait qu’on soit moteur ou conjoint suiveur, ou qu’on ait été muté sans avoir son mot à dire – le modèle de l’expatriation (seul ou avec des enfants) sont autant de facteurs qui détermineront le besoin d’alimenter les liens avec son pays d’origine. « Il y a aussi un coup de chance » ajoute Audrey Chapot : des environnements dans lesquels on se sent bien d’emblée, et d’autres où c’est plus difficile. Le lien avec la France est alors essentiel.
Ambivalence
« La majorité des expatriés voient les nouveaux outils de communication comme un avantage et c’est complètement logique, précise Audrey Chapot. Il n’empêche que quand on gratte un peu, ils ont parfois l’impression de n’être pas allés jusqu’au bout comme ils l’auraient souhaité. Ils ont gardé un pied chez eux sans avoir pu mettre toute leur énergie dans l’intégration ».
Le recours aux technologies numériques, en créant une proximité « artificielle » avec son entourage, conduit parfois à des déconvenues. « Je ne comprends pas, je l’avais si souvent au téléphone et je l’ai retrouvé tellement changé ! » est une phrase qu’Audrey Chapot entend régulièrement en séance d’accompagnement individuel. Certaines épreuves, comme des deuils, peuvent lever le voile sur les travers des relations à distance. « Dans les moments difficiles, on s’attend à ce que nos proches soient là et ce n’est pas toujours le cas, remarque Domitilla. Lorsque mon mari a perdu sa grand-mère, alors que nous avions été très présents depuis Singapour, personne n’a pensé à nous contacter le jour de l’enterrement. Faute de pouvoir rentrer, on s’est senti un peu seuls ». Pour Marine, la difficulté de maintenir le contact avec la France tout en vivant pleinement son expatriation s’observe avec plus d’acuité chez les enfants. « Au début de l’installation, avoir des échanges excessifs avec leurs amis restés ailleurs peut freiner leur intégration et raviver des sentiments de tristesse. Mieux vaut ne pas trop utiliser les outils numériques et rester ancré dans la vie courante ».
Lâcher prise
Comment dès lors trouver un équilibre ? « Il faut lâcher prise, conseille Domitilla. En l’absence de don d’ubiquité, acceptons que tout le monde n’aura pas de nouvelles de nous à chaque seconde et inversement. Il est logique que prises dans l'intensité du moment (heureux ou malheureux), les personnes se concentrent sur le moment présent et pas sur les absents. Quand on s’expatrie, il faut être confortable avec cette idée, sinon on se rend malheureux pour rien ». Savoir partager les bonheurs comme les soucis du quotidien, dans une relation sincère mais à remous : la base est là, WhatsApp suivra.