Privatisation du réseau d’enseignement français à l’étranger: comment le gouvernement affame la bête, et pourquoi nous défendons une école publique, laïque, républicaine! Tribune de Cécilia Gondard, 1ère secrétaire de la fédération des Français de l'Etranger du PS
L’agence de l’enseignement français à l’étranger (AEFE) gère un formidable réseau d’enseignement français à l’étranger, unique en son genre. Il s’agit d’un réseau mixte d’établissements sous gestion directe de l’Etat, les “EGD” (établissement en gestion directe) et d’établissements privés sous contrat (homologués ou partenaires), tantôt gérés par des parents, tantôt gérés par des fonds d’investissement qui y voient le moyen de faire des profits. La stratégie est de sacrifier les premiers pour financer l’intégration des derniers dans le réseau.
On affame donc le réseau existant…
Depuis 2017, pour atteindre l’objectif présidentiel du doublement des places dans le réseau, à budget constant, on affame le réseau existant, héritier de la puissance publique et culturelle française, et la mesure la plus significative en la matière demeure, en 2017, l’annulation de 60 M€ en autorisations d’engagement et crédits de paiement sur le programme 185 “diplomatie culturelle et d’influence” qui avait affecté à hauteur de 33 M€ la dotation à l’AEFE en 2017. Ainsi en 2018, l’AEFE supprimait 180 postes de titulaires au sein du réseau des établissements en gestion directe et conventionnés, et envisageait de supprimer le même nombre de postes en 2019. Les EGD ont compensé par une hausse des frais de scolarité. Si demain on leur demande de limiter cette hausse, sans pour autant revenir sur la baisse de leur dotation budgétaire, on les mettra en faillite ou on les sauvera in extremis, en criant à la mauvaise gestion publique.
… pour soutenir les nouveaux établissements privés.
L’argent réinjecté cette année, à travers l’augmentation de 24,6 millions d’euros de la subvention de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), vise à soutenir l’homologation de nouveaux établissements, en revoyant à la baisse les critères d’homologation, qui établissent la conformité des enseignements dispensés dans un établissement avec les standards du système éducatif français et définissent la gouvernance des établissements. Si la stratégie actuelle se poursuit, le réseau sera privé à 95% d’ici 2030.
Gestion des effets de la crise du COVID: des choix qui en disent long
Le gouvernement aurait pu réinvestir dans le sauvetage du réseau. C’est notamment ce que les sénateurs Hélène Conway, Claudine Lepage et Jean-Yves Leconte proposaient dans leurs amendements au Projet de Loi de Finance révisé. Au lieu de cela, le gouvernement n’a pas donné un seul euro aux établissements d’enseignement français à l’étranger. Les 100 millions d’Euros ne sont qu’une avance de trésorerie, c’est à dire un prêt qui devra être remboursé par l’agence. Cette avance est indispensable, car l’agence n’a pas le droit d’emprunter. Mais ce prêt devra être remboursé par les établissements, et donc par les familles qui paient les frais de scolarité. Ce sont elles qui paieront les frais de la crise.
Des attaques sur les fonctionnaires pour défaire les services publics
L’un des enseignements clefs de cette crise, c’est que nous avons besoins des services publics et que ceux-ci reposent sur le personnel qui les fait tourner. Les injonctions libérales et populistes à réduire les services publics par principe, à s’attaquer aux statuts des fonctionnaires et à vouloir tout privatiser, se sont heurtées à des services postaux qui continuent de fonctionner malgré le confinement, à un personnel médical qui travaille d’arrache pieds pour sauver des vies, à une éducation nationale qui s’évertue en ce moment-même à trouver des solutions pour assurer la continuité pédagogique et accueillir nos enfants tout en les protégeant, avec les moyens limités qui la caractérise. Les propos du sénateur Cadic sont indécents. Grand défenseur des exilés fiscaux, il s’attaque aux quelques professeurs rentrés en France en période de confinement, et s’enthousiasme, sans surprise, pour la privatisation du réseau et les mesures du gouvernement. On tait en revanche les licenciements qui ont déjà commencé dans le réseau.
La promesse d’une réévaluation des besoins du réseau en juin n’est pas suffisante; ces derniers ont manifestement été sous-estimés, notamment dans leurs retombées sociales. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une véritable reconnaissance des missions de service public du réseau d’enseignement français à l’étranger et d’un soutien à son personnel et à ses familles. Nous réclamons:
Un plan de sauvetage des emplois dans le réseau, en particulier dans les EGD. Nous exigeons un compte-rendu mensuel de l’impact de la crise sur l’emploi dans le réseau et la publication mensuelle de toutes les suppressions d’emploi. Il faut également mettre fin à la précarisation des personnels des établissements de l’AEFE: l'homologation doit être liée au respect d'un code de bonne conduite exigeant des établissements le respect du droit local mais également des droits sociaux de leur personnel.
Un renforcement budgétaire pour l’AEFE, et non juste un prêt, à travers l’injection de 100 millions d’euros à l’agence - une proposition rejetée par la majorité au Sénat. Ceci permettra de l’aider, d’une part à assurer ses missions et d’autre part à soutenir les établissements directement impactés pour qu’ils survivent à cette crise. Ce plan devra être conditionné socialement. Aucune aide ne devra être apportée aux établissements qui rémunèrent leurs actionnaires pendant cette période de crise, et la sauvegarde des emplois et la limitation des frais de scolarité seront essentielles.
Au-delà des effets de la crise, nous demandons un coup d'arrêt à la privatisation du réseau par la réorientation des 24,7 millions dédiés à l’extension du réseau pour renforcer le réseau existant. Le renforcement budgétaire doit pallier le sous-financement structurel existant, notamment à travers la revalorisation de la subvention pour le paiement de la part patronale des pensions civiles des personnels détachés à l’AEFE. Enfin, la précarisation des personnels à l’étranger est inquiétante, la suppression de postes détachés (financés, au moins partiellement, par l’agence) a mené, dans le meilleur des cas, au recrutement et au financement local de professeurs relevant du droit local, bien souvent moins protecteur que le droit français. La mission de service public du réseau à l’étranger doit être préservée.
Nous ne voulons pas d’une privatisation qui fasse disparaître la mission de service public du réseau d’enseignement français à l’étranger. L’école française publique, laïque et républicaine, demeure notre modèle en France comme à l’étranger. Elle doit être accessible à toutes les familles, quelles que soient leurs origines sociales et culturelles, et c’est le sens du service public. Tout comme la culture, l’éducation française n’est pas un bien à vendre, ce n’est pas “business” et nos enfants ne sont pas des clients mais des élèves. L’éducation à la française est notre bien commun. Les libéraux qui ont façonné le monde capitaliste ultra-libéral dans lequel nous vivons, où tout doit s’acheter et se vendre, y compris la planète, peinent à comprendre l’exception culturelle à la française ou le concept de préservation des biens communs. Ils appartiennent au monde d’hier. Celui de demain, doit remettre nos biens communs au coeur du système : la santé et l’éducation pour tous, la préservation d’une planète qui n’est pas à vendre, et nos valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité.