Après 1277 jours de captivité en Iran, Cécile Kohler et Jacques Paris ont enfin retrouvé l’air libre, sans pouvoir quitter l’Iran. Le couple français incarne aujourd’hui une stratégie implacable : celle de la diplomatie des otages, où les vies humaines deviennent monnaie d’échange entre États. Se joue un bras de fer diplomatique que Téhéran utilise… mais le pays n’est pas le seul.


Peu avant 19h le 4 novembre 2025, Cécile Kohler et Jacques Paris sont sortis des geôles iraniennes après 1277 jours de captivité dans des conditions inhumaines. La professeure de lettres et le professeur retraité de mathématiques étaient considérés comme des “otages d’Etat”. A l’heure où nous écrivons ces lignes, ils restent interdits de sortie du territoire d’Iran. Cécile Kohler et Jacques Paris sont victimes de la diplomatie des otages orchestrée par l’Iran. Que cela signifie-t-il réellement et est-ce répandu ? Que se cache-t-il derrière leur libération sous conditions ?
Derrière cette pratique, il y a toujours un État qui l’orchestre. C’est ce qui la distingue de la simple prise d’otage, menée par des groupes terroristes ou criminels

1277 jours de détention arbitraire et inhumaine
Le 7 mai 2022, un couple de Français est arrêté à la fin de son séjour touristique en Iran. Il s’agit de Cécile Kohler et Jacques Paris, accusés d’être des espions cherchant à déstabiliser le pays. Maintenus à l'isolement cellulaire dans la prison d'Evin à Téhéran, les Français sont soumis à des conditions insoutenables. Le 6 octobre 2022, une vidéo de Cécile Kohler est diffusée, contrainte d’affirmer être une agente de renseignement opérationnel à la DGSE. Les Français sont inculpés inculpés le 2 juillet 2025 de trois chefs d'accusation : espionnage pour le Mossad, complot pour renverser le régime, et corruption sur terre, tous passibles de la peine de mort. Le 14 octobre 2025, l'AFP annonce que Jacques Paris et Cécile Kohler ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour espionnage. Ils sont libérés de prison le 4 novembre 2025 - une annonce faite sur X par Emmanuel Macron - mais restent assignés à résidence dans l'ambassade de France à Téhéran.
Soulagement immense !
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 4, 2025
Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus depuis trois ans en Iran, sont sortis de la prison d'Evin et sont en route pour l’Ambassade de France à Téhéran.
Je me félicite de cette première étape. Le dialogue se poursuit…
La politique des otages, levier de la politique étrangère iranienne
Cécile Kohler et Jacques Paris ne sont pas des prisonniers comme les autres. Pourquoi ? Selon la géopolitologue Carole André-Dessornes, spécialiste des rapports de force et chercheuse associée à à la FRS, “lorsqu’un État déploie son système de justice pénale pour détenir un étranger et l’utiliser comme moyen de pression, dans la poursuite d’objectifs bien précis de politique étrangère, on appelle cela de la diplomatie d’otages.”
l’Iran ne s’attaque pas directement à la France, mais à travers ses ressortissants. L’otage devient une incarnation symbolique de son gouvernement.
“Derrière cette pratique, il y a toujours un État qui l’orchestre. C’est ce qui la distingue de la simple prise d’otage, menée par des groupes terroristes ou criminels” nous précise la chercheuse. Les victimes, comme Cécile Kohler et Jacques Paris, représentent leur État : "l’Iran ne s’attaque pas directement à la France, mais à travers ses ressortissants. L’otage devient une incarnation symbolique de son gouvernement.”
Ce matin, j’ai échangé avec Cécile Kohler et Jacques Paris. Je leur ai fait part de l'immense élan de solidarité, qui à travers le pays, les a portés dans l'épreuve pendant ces trois ans et demi de captivité. pic.twitter.com/EjISmjripD
— Jean-Noël Barrot (@jnbarrot) November 5, 2025
La diplomatie d’otages, ni un phénomène isolé, ni nouveau
Si cette politique n’est pas un phénomène nouveau, elle prend aujourd’hui une résonance particulière à mesure que les tensions internationales se durcissent. Selon la géopolitologue interrogée, on retrouve des exemples dès l’Antiquité, où des représentants d’un royaume pouvaient être retenus comme garants d’un accord. Au XVIIIe siècle, une famille pouvait envoyer un membre servir d’otage pour assurer le respect d’un traité.” L’actualité immédiate fait oublier que la diplomatie des otages a toujours existé. “L’affaire la plus retentissante reste la prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran, en novembre 1979. Ce fut un tournant majeur” rappelle Carole André-Dessornes
En Corée du Nord, “le régime est un habitué”. Citons le cas d’Otto Warmbier, étudiant américain arrêté en 2016...
Aujourd’hui, plusieurs pays continuent d’utiliser cette méthode. En Chine, par exemple, deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, ont été arrêtés en 2018, quelques jours après la détention au Canada de Meng Wanzhou, directrice financière du groupe Huawei, à la demande des États-Unis. “Officiellement, les deux Canadiens étaient accusés d’espionnage, mais il est évident que leur arrestation constituait une riposte” souligne la spécialiste des rapports de force.
Trois mois de détention de Christophe Gleizes : les mobilisations continuent
En Corée du Nord, “le régime est un habitué”. Citons le cas d’Otto Warmbier, étudiant américain arrêté en 2016 pour le vol d’une affiche de propagande, condamné à 15 ans de travaux forcés et rapatrié dans le coma, avant de décéder peu après. “Il avait été torturé, même si Pyongyang a nié toute maltraitance.” En Russie, on se souvient de Brittney Griner, basketteuse américaine arrêtée à Moscou en 2022 : “Elle a servi de monnaie d’échange. Le Kremlin a nié toute instrumentalisation”. Mais pour beaucoup, l’affaire a clairement été utilisée à des fins politiques. En Algérie, les affaires du journaliste Christophe Gleizes et de Boualem Sansal illustrent une forme de dérive similaire à la diplomatie d’otages, estime Carole André-Dessornes. Leur arrestation coïncide avec la dégradation des relations franco-algériennes.
Certains régimes - comme l’Iran - se sentent acculés à la fois à l’extérieur et à l’intérieur. Ils utilisent donc cette stratégie comme une arme diplomatique, pour exister face à plus puissants qu’eux

Mais alors que faire face à une stratégie de diplomatie d’otages ?
Pour la géopolitologue, les objectifs de ce type de stratégie sont clairs : “C’est une monnaie d’échange. Cela permet d’obtenir la libération de prisonniers, des rançons, ou un changement de politique étrangère.” La spécialiste y voit une logique de “politique du faible au fort”. “Certains régimes - comme l’Iran - se sentent acculés à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de leurs frontières. Ils utilisent donc cette stratégie comme une arme diplomatique, pour exister face à plus puissants qu’eux.” Comment réagir ? Tout dépend du régime concerné. “Certains pays refusent officiellement toute négociation. D’autres disent ne pas le faire… mais négocient en coulisses. Il faut montrer sa bonne volonté sans compromettre les intérêts majeurs. C’est un équilibre délicat…”
“La diplomatie des otages est le reflet d’un déséquilibre profond : celui d’un monde où les États utilisent des vies humaines comme instruments de pouvoir.”

Dans le cas de la libération partielle de Cécile Kohler et Jacques Paris en Iran, se trouve en contre balance en face, selon plusieurs experts, l’iranienne Mahdieh Esfandiari, arrêtée pour apologie du terrorisme en France en février 2025. Celle-ci est vue comme la fameuse monnaie d’échange quant au sort des Français. Elle a d’ailleurs été libérée et transférée mercredi 5 novembre à l'ambassade iranienne à Paris. Son procès est prévu en janvier 2026 “Il est probable que la situation des deux Français soit définitivement réglée après son procès. Si elle est autorisée à rentrer en Iran, il est possible que Kohler et Paris soient libérés dans la foulée.”
Une question délicate se pose forcément : est-ce légitime pour un État de pratiquer à son tour une forme de diplomatie des otages, même pour sauver ses ressortissants ? “La diplomatie des otages est le reflet d’un déséquilibre profond : celui d’un monde où les États utilisent des vies humaines comme instruments de pouvoir.” conclut la chercheuse.
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