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Yan Chantrel : « Les Français de l’étranger n’ont pas peur de prendre des risques »

Portrait du sénateur Yan ChantrelPortrait du sénateur Yan Chantrel
Écrit par Capucine Taconet
Publié le 8 février 2022, mis à jour le 10 février 2022

Gestion de la crise sanitaire, union de la gauche, diplomatie… Le sénateur Yan Chantrel tire le bilan de ses premiers mois d’élu parlementaire et des sujets qu’il a portés. À la lumière de la présidentielle, il dessine les perspectives des prochains mois de son travail d’élu représentant les Français installés à l’étranger.

 

Conseiller des Français de l’étranger depuis 2014, Yan Chantrel a été élu sénateur des Français de l’étranger en septembre 2021. Franco-canadien, il siège dans l’hémicycle au sein du groupe SER (Socialistes Écologistes Républicains). Six mois après son élection, le sénateur s’arrête avec nous sur son début de mandat. Les difficultés de la pandémie n’ont pas entamé son enthousiasme et sa détermination à porter la voix des Français hors de France aux plus hautes sphères.

 

J’ai vécu le déracinement de beaucoup d’expatriés qui reviennent en métropole après de longues années à l’étranger

Comment se déroule votre nouveau mandat de sénateur ?

Mon élection a constitué un changement de vie important, d’autant plus que je vivais à l’étranger, au Canada. Elle m’a confronté à de nombreux problèmes que rencontrent quotidiennement les Français qui retournent vivre en France : celui de la sécurité sociale ou du logement par exemple, qui nécessite d’avoir des garants. J’ai vécu le déracinement de beaucoup d’expatriés qui reviennent en métropole après de longues années à l’étranger, car une part importante de ma vie est au Canada. De ce point de vue-là, l’expérience a été très instructive et m’a permis de constater les améliorations qui ont encore besoin d’être apportées pour les expatriés.

 

Dès mon élection, j’ai souhaité prendre à bras le corps les dossiers importants, pour faire honneur à ceux qui m’ont élu. Je souhaite m’investir pleinement dans la responsabilité qui m’a été confiée. J’ai renoncé à mon mandat de conseiller consulaire parce que je suis opposé au cumul des mandats. Je suis très heureux de m’engager pour mon pays et d’être au service de mes compatriotes.

 

Rien ne remplace le terrain. Il est important d’être au plus près des élus et de se rendre sur place pour constater de visu les problématiques

Qu’est-ce que votre expérience comme élu de terrain change pour votre mandat ?

Je pense que cette expérience est essentielle pour siéger en chambre haute. Je comprends beaucoup de réalités sans que l’on ait besoin de me les expliquer, parce que je les ai moi-même vécues. Maintenant que je suis élu du monde entier, je continue de me rendre à l’étranger parce qu’il y a beaucoup de pays que je ne connais pas.

 

Aujourd’hui nous avons la possibilité de faire des visioconférences, mais rien ne remplace le terrain. Il est important d’être au plus près des élus et de se rendre sur place pour constater de visu les problématiques, et pouvoir échanger avec la communauté française sur place pour pouvoir être leur relai au parlement.

 

En fonction du pays où l’on vit les problématiques sont très différentes. Je m’en suis rendu compte dès mon premier déplacement en tant que sénateur, à Madagascar. Les problèmes rencontrés sur place sont radicalement différents de ceux que je rencontre au Canada et nécessitent à chaque fois des réponses adaptées.

 

Avoir tout quitté pour s’installer dans un pays inconnu donne un grand sentiment de liberté. En tant qu’élu, j’ai beau appartenir à un groupe, je considère avoir une certaine liberté de ton ou d'action

Avoir un sénateur représentant les Français de l’étranger est très propre au système démocratique français. Dans quelle mesure votre présence au sein du Sénat permet d’enrichir le débat public sur les sujets concernant la France ?

Les Français de l'étranger sont une chance et une richesse pour la France. Ils permettent d’apporter d’autres angles de vues, ainsi que de nouvelles solutions qu’ils ont expérimentées dans leur pays d’accueil.

 

J’ai moi-même une double culture. Le fait d'être étranger à une autre culture, puis de s'y intégrer, amène à avoir un recul sur le débat public français que n’ont pas d’autres parlementaires. Grâce à ma double culture je « challenge » aussi les sénateurs en amenant de nouveaux sujets dans l’Hémicycle. J'essaie de poser des questions différentes.

 

Nous avons la chance de pouvoir enrichir les débats en proposant des idées qui marchent à l’étranger. Il ne s’agit pas de dénigrer la France, parce que nous avons beaucoup de choses qui fonctionnent déjà bien. En comparaison avec l’Amérique du Nord, notre système de santé est une chance et il faut à tout prix le préserver pour éviter qu’il ne suive le chemin du Canada. À l’inverse, il y a des choses que nous devons changer concernant la façon de faire de la politique. Au Canada, les élus sont au milieu des personnes qu’ils représentent, tandis qu’en France, par un héritage monarchique, l’élu est souvent placé au-dessus des citoyens. Je trouve ce rapport assez malsain. Il peut instaurer un climat de haine ou de suspicion envers les élus. Il faut retrouver notre juste place : nous sommes là avant tout pour servir nos compatriotes. Nous devons les représenter dignement et de manière temporaire.

 

Les Français installés hors de la métropole ont également un état d’esprit différent du fait qu’ils n’ont pas peur de prendre des risques. Avoir tout quitté pour s’installer dans un pays inconnu donne un grand sentiment de liberté. En tant qu’élu, j’ai beau appartenir à un groupe, je considère avoir une certaine liberté de ton ou d'action, de par le fait justement que je ne suis pas élu directement de la métropole.

 

Les enseignants participent pleinement du rayonnement de l’agence. Ils sont les ouvriers au cœur du dispositif

Le sénateur Yann Chantrel s'exprime dans le Sénat

Il y a quelques jours a été votée à l’unanimité une proposition de loi de Samantha Cazebonne sur l’AEFE, avec notamment une meilleure représentation des parents d’élèves et anciens au sein du conseil d’administration. Quelles sont les prochaines mesures que vous souhaiteriez porter concernant l’AEFE ?

Les enjeux sont majeurs sur l’enseignement. La proposition de loi a été votée à l’unanimité mais elle manque d’ambition. Améliorer la représentativité au sein du conseil d’administration est une bonne chose, mais il faut avant tout donner plus de moyens à l’AEFE.

 

Mon groupe au Sénat a soutenu une proposition d’amendement pour qu'il y ait un élu supplémentaire au conseil qui ne soit pas de l’AEFE mais un conseiller des Français de l’étranger. Nous avons également plaidé pour une plus grande représentation des parents au sein du conseil d'administration. Ils vont doubler en terme de présence. En revanche, nous avions demandé à ce que cela ne se fasse pas au détriment du corps enseignant et des personnels, et notre demande a été rejetée. Il y a autant d’enseignants qu’avant, mais proportionnellement, ils ont moins d’importance. Nous ne sommes pas satisfaits sur ce point car les enseignants participent pleinement du rayonnement de l’agence. Ils sont les ouvriers au cœur du dispositif.

 

L’éducation en France ne fait pas assez confiance aux enseignants

Justement, quelle est la situation des enseignants français à l'étranger ?

Il y a un manque de considération important et inquiétant vis-à-vis des enseignants. Ces derniers y compris ceux hors de France, ont l’impression que leur ministre les combat au lieu de les défendre. Beaucoup ressentent une défiance et un manque de reconnaissance vis-à-vis d’eux. La reconnaissance passe autant par la rémunération, que par la vision du métier que l’on véhicule. L’éducation en France ne fait pas assez confiance aux enseignants. Notre système pyramidal, à l’ancienne, est extrêmement pesant pour les professeurs. Tout repose sur eux, à l’inverse d’autres systèmes plus collaboratifs.

 

Cette conception de l’enseignement est d’ailleurs à l’image de la société française, très hiérarchisée. Un système parfois étouffant, que de nombreux Français me confient avoir voulu quitter en partant à l’étranger. Ils ont l’impression d’être enfermés dans un carcan qui les empêchent de développer leur plein potentiel. Il faut donc lutter contre cela et donner à chacun la possibilité de s’émanciper. La reproduction sociale est encore très forte en France et l’école y participe malgré elle.

 

Il faut soutenir davantage le programme FLAM

Qu’en est-il de votre plan  « d’éducation française pour toutes et tous » ?

L’accès aux bourses est primordial pour permettre à tous et toutes d’étudier. Nous nous sommes rendus compte qu’il y a des effets de seuil qui concernent des familles de classe moyenne, à la limite de recevoir des bourses. Il faut donc revoir les critères pour englober un plus grand nombre d’élèves.

 

Il faut aussi soutenir davantage le programme FLAM. J’avais proposé que le conseil d’administration de l’AEFE ait un représentant du FLAM pour développer encore ce dispositif de soutien au français comme langue maternelle et accroître sa visibilité.

 

J’avais également fait des propositions pour que les cours du CNED soient accessibles gratuitement pour les Français établis hors de France, dans des zones où il n'y a ni FLAM ni établissement français. Néanmoins, on ne prend malheureusement pas cette direction et je crains que l’AEFE ne soit à nouveau affaiblie.

 

Dans bien des cas, il est très profitable à un diplomate d’appeler un élu consulaire pour se renseigner sur la situation de son pays. Ils connaissent la réalité du pays parfois mieux que des diplomates, parce qu’ils y vivent et qu’ils sont même parfois nés là-bas

Vous souhaitiez voir un renforcement des moyens des services consulaires et une plus grande implication des élus consulaires dans le processus décisionnel. Est-ce une préoccupation qui est mise de côté à Paris ?

Depuis plusieurs années, et non pas seulement sous ce quinquennat, les élus font fasse à une baisse constante des budgets. Si la France veut avoir une diplomatie influente, ce n’est pas en coupant sans cesse les moyens qui lui sont alloués qu’elle pourra y arriver. Il faut davantage de cohérence entre notre discours et les moyens que l’on donne à notre diplomatie. Or, elle est aujourd’hui exsangue. Sachant les tensions qui habitent notre monde, la France a un rôle majeur à jouer en termes d’influence et de diplomatie. Une diplomatie non pas belliqueuse, mais qui permet au contraire d’éviter la guerre.

 

D’autre part, il faut mettre davantage en valeur les élus consulaires. Dans bien des cas, il est très profitable à un diplomate d’appeler un élu consulaire pour se renseigner sur la situation de son pays. Ils connaissent la réalité du pays parfois mieux que des diplomates, parce qu’ils y vivent et qu’ils sont même parfois nés là-bas. Ils sont capables de faire un tableau précis du pays. Ils gagnent donc à être davantage utilisés par les ministres et le président. Grâce aux élus à l’étranger, nous avons un laboratoire d’idées géant à notre disposition.

 

Je considère qu'il y a eu des reculs sociaux importants lors de ce quinquennat concernant les Français de l’étranger, d’où l’importance pour nos compatriotes d’envoyer des parlementaires de combat pour les défendre

Qu’attendez-vous de l’élection présidentielle de 2022 ?

Il faut que nos compatriotes prennent pleinement en main cette élection et qu’ils interpellent les candidats par rapport à leur bilan ou leur projet. Je pense que beaucoup d’entre eux sont exaspérés des débats qu’ils entendent en métropole, notamment sur l’immigration. Ils attendent que l’on débatte des vrais sujets, des vrais problèmes. J’ai peur que cette élection soit une élection inutile, qui n’aura permis de débattre d’aucun sujet majeur.

 

Je considère qu'il y a eu des reculs sociaux importants lors de ce quinquennat concernant les Français de l’étranger, d’où l’importance pour nos compatriotes d’envoyer des parlementaires de combat pour les défendre.

 

En tant que parlementaire, nous sommes là pour faire entendre des choses que des gens ne veulent pas entendre des fois, mais qui est la réalité vécue sur le terrain. Nous devons dire des choses qui ne font pas plaisir, mais qui sont des réalités sur lesquelles on doit agir.

 

Je soutiens Anne Hidalgo, la candidate du Parti socialiste et j’espère qu'un maximum de citoyens voteront pour elle. Je souhaite malgré tout qu’il y ait une union de la gauche la plus importante possible. J'ai toujours plaidé pour cela et je ne désespère pas qu'elle se fasse. Ce n'est pas encore terminé. Très souvent nous avons la même position et nous votons sur les mêmes choses. De même sur les programmes, presque rien ne nous sépare.

 

Au delà des clivages politiques, nous avons les mêmes problématiques très spécifiques aux expatriés. Nous voulons tous nous battre contre la pandémie. La pandémie n’est ni de droite ni de gauche

Que pensez-vous de l’action de la France par rapport à la pandémie ?

Beaucoup de points ne sont pas pensés en amont par le gouvernement pour les Français de l’étranger. Or, les problèmes posés par la pandémie nécessitent des actions d’urgence. Nous sommes trois millions de Français de l’étranger. Il est nécessaire que les parlementaires et les ministres pensent avec ce prisme dès la prise de décision, pour faciliter la situation des expatriés.

 

J'ai sollicité le gouvernement pour que des rencontres avec les parlementaires des Français de l’étranger soient organisées. Il y en a eu pendant la pandémie, mais il n'y en a pas eu une seule depuis que je suis élu. Au delà des clivages politiques, nous avons les mêmes problématiques très spécifiques aux expatriés. Nous voulons tous nous battre contre la pandémie. La pandémie n’est ni de droite ni de gauche.

 

Je suis partisan de la participation citoyenne. Je pense qu’il est important de consulter en amont pour ensuite prendre des décisions éclairées en ayant tout toutes les données du problème en main. À l’heure actuelle, nous assistons au schéma inverse.

 

Un des soucis majeurs pour les Français de l’étranger lié a été les motifs de voyage impérieux. La mesure votée a créé un précédent faisant deux catégories de Français en métropole et en Europe d’une part, libres de circuler, et d’autres part, les Français hors Europe empêchés de se déplacer. Le Conseil d’État a d’ailleurs disqualifié la mesure, la jugeant disproportionnée. Pourtant, aucun député des Français de l’étranger ne s’est élevé contre cette mesure. Nous n’attendons pas des parlementaires qu’ils soient aux ordres, mais qu’ils nous défendent. J’espère que les prochaines élections permettront justement d’avoir des parlementaires de combat, peu importe la personne élue à la présidence du pays.