Aujourd’hui, ils sont entre 3 et 3,5 millions soit l’équivalent de la population de la Bretagne. Les Français de l'étranger ou dits « hors de France » représentent une diaspora puissante sur le plan économique mais aussi politique. En témoignent les 90% de suffrages accordés à Emmanuel Macron en 2017. La communauté expatriée représente-t-elle à nouveau un enjeu pour l’élection présidentielle de 2022 ?
Un « réservoir de voix » crucial pour faire la différence en 2022
Parmi ces personnes, près de 1,7 million sont inscrites au registre consulaire de leur pays respectif, c’est-à-dire qu’ils font officiellement partie des bases de données de l’Ambassade (ou consulat) selon leur propre démarche. Rappelons que, pour voter à l’Etranger, cette inscription est nécessaire. Le chiffre de 1,7 million ne rivalise pas à la population d’une région de France cette fois, mais représente tout de même le nombre total d’habitants de Marseille, Lyon et Toulouse. Rien que ça…
En 2022, 130 circonscriptions consulaires de France sont parsemées dans le monde. Si on se concentre uniquement sur les cinq premières en nombre de Français inscrits, leur poids représente 40,3 % des votants :
Afin d’illustrer le poids du vote de cette communauté, nous sommes allés à la rencontre de Ronan Le Gleut, sénateur des Français établis hors de France : « Prenons l’exemple du Consulat Général de Genève. C’est la plus grande circonscription consulaire. Au 31 décembre 2019, 153400 Français y sont inscrits. Compte tenu du taux de participation à l’élection présidentielle, du moins en 2017, on peut évaluer qu’il y aura 82000 électeurs, c’est l’équivalent de la ville de Lille ! D’ailleurs, j’ai rencontré Mme Pécresse récemment lors d’une visioconférence avec les adhérents LR dans le monde et je l’ai sensibilisée à ce poids électoral non-négligeable ».
Non négligeable à l’heure où le sprint final de la campagne présidentielle 2022 se concrétise. Les programmes se dessinent, et les candidats tentent de monter dans les sondages d’intentions de votes. Non sans mal. Certains savent bien qu’il manque quelques points pour atteindre le second tour. Et ces points-là justement, c’est peut-être bien à l’étranger qu’il faut les chercher… « Le réservoir de voix des Français hors de France est crucial désormais pour certains candidats et combler les points nécessaires pour être au second tour de l’élection présidentielle » nous confie Sébastien Laye, économiste et homme d’affaires.
Une conscience politique forte pour certains Français votant à l’étranger
Loin des yeux mais très près du cœur. Isabelle est une expatriée à Bombay depuis 5 ans. Avec son mari, elle mesure l’importance d’aller voter : « on a la chance de pouvoir voter depuis notre lieu de résidence où qu'il soit dans le monde. Ce n'est pas le cas pour d’autres nationalités. Je considère donc qu’il serait dommage de ne pas utiliser cette chance pour exercer sa voix. Je vote aussi pour éviter que les extrêmes ne passent. On ne sait jamais ce que la vie nous réserve et même si aujourd'hui, je vis à Bombay, je peux me retrouver en France à tout moment. ». Isabelle ajoute avoir conscience qu’il peut être difficile d’exprimer sa voix et que l’abstention se justifie en partie par la logistique.
Une raison qui ne freine pas des ressortissants, pour qui le vote est crucial. A l’image de Valérie qui vit dans l’Uttarakhand, en Inde, depuis 10 ans. En 2017, l’expatriée a fait 8 heures de bus, ponctuées de travaux et d'embouteillages phénoménaux, pour se rendre coûte que coûte au bureau de vote à Delhi : « J’ai toujours eu une conscience politique assez forte. Mais j’ai aussi remarqué que depuis que je vis à l’étranger ce sentiment d’être « française » a grandi en moi, peut-être parce que l’on me demande souvent d’où je viens, peut-être parce que j’enseigne le français, peut-être parce qu’ici je suis « étiquetée » française. Certainement aussi parce que mes étudiants ont une image tellement idéalisée de la France, que j’ai fini par comprendre son importance historique et son influence sur les esprits. Cette élection 2017 était importante, j’espérais pouvoir participer à un changement positif, c’était le moyen d’envoyer un message face à la montée des extrêmes partout dans le monde et peut-être aussi de me dédouaner d’un résultat final en opposition total avec mes convictions. Au moins j’aurais essayé. » De retour chez elle après à nouveau 8 heures de bus, Valérie a fait une procuration pour le second tour. Alfred, lui, n’a pas eu autant de chance en Pologne en 2012. Il fit plus de 6 heures de voiture entre Gdansk et Varsovie pour finalement arriver trop tard au bureau de vote…
Tirer des enseignements des scores électoraux spectaculaires de 2017
Dès le premier tour des élections 2017, le candidat LaREM rafle (presque) tout chez les Français à l’étranger votants. Et en plus d’être plébiscité à 90% lors du second tour, Emmanuel Macron est élu dans 99% des pays représentés ! Pourquoi a-t-il autant plu hors de France ? Sébastien Laye tente une explication : « Emmanuel Macron est porteur d’une vision optimiste qui est l’ADN des Français expatriés, là où d’autres responsables politiques s’enfoncent dans le pessimisme et le déclinisme. »
En 2022, les candidats sont-ils assez sensibilisés aux préoccupations des Français à l’étranger ? Pour Isabelle, la réponse est non : « Je pense aujourd’hui que le sujet des Français à l'étranger n'est abordé par aucun des candidats actuels. Le premier pas serait de nous inclure dans les propositions. ». Valérie aussi a des doutes : « Cette élection est encore une fois à haut risque, les extrêmes et le populisme ne cessent de monter partout dans le monde, s’ajoute les problèmes d’environnement et de changement climatique ».
Au regard d’évènements récents, des dernières élections consulaires et de témoignages recueillis, des grandes thématiques semblent incontournables, comme la diplomatie économique, le rayonnement de la France, l’harmonisation fiscale ou encore la suppression de certaines taxes. Par ailleurs, la sécurité est une préoccupation essentielle, conséquence directe des rapatriements sanitaires, ou plus récemment lors de la prise de Kaboul : « Avec l’Opération Apagan [évacuation des ressortissants français d’Afghanistan], les Français ont pris conscience de l’importance de la sécurité de leurs compatriotes à l’étranger.» explique Ronan Le Gleut. Un autre thème prend de l’ampleur : l’urgence écologique. Pourquoi ? En partie car la communauté est directement impactée par les catastrophes naturelles (inondation, canicule, glissement de terrain, incendie). Le groupe Europe Ecologie Les Verts parle même d’une « vague verte qui ne faiblit pas mais se renforce à l’Etranger », en s’appuyant sur les élections consulaires en mai dernier - en Belgique, les Verts arrivent en deuxième position derrière LaREM ; au Royaume-Uni, ils arrivent troisième, derrière UDI et LaREM.
Être à l’écoute au-delà des frontières s’avère stratégique : « En l’absence d’une réelle mobilisation sur ces thèmes, loin des problématiques du quotidien des Français en métropole, aucun candidat ne convaincra vraiment » conclue Sébastien Laye. En attendant des propositions concrètes des candidats, Valérie, comme de nombreux Français à l’étranger, se prépare à aller voter : « Je prendrai le bus, le train ou l’avion pour aller voter au Consulat de Bangaluru car, dans la ville où je vais m’installer en janvier, il n’y en a pas… ».