Au sein de l’Union européenne, des listes transnationales et Spitzenkandidaten, ou « candidats tête de liste », pourraient être mis en place dès les élections de 2024. Que cela changerait-il pour les électeurs ?
Depuis plusieurs années, la question de réformer le système électoral européen est au coeur du débat à Bruxelles. Deux propositions, en particulier, reviennent régulièrement : la mise en place de listes transnationales, ainsi que la désignation de Spitzenkandidaten, aussi appelés « candidats tête de liste », par les partis politiques européens. L’objectif affiché par les défenseurs de ces propositions est d’européaniser les élections, et de combler le « vide démocratique » dont souffre l’Union. Si ces changements venaient à être adoptés, ils pourraient être mis en place dès les élections européennes prévues pour 2024.
Le fonctionnement actuel des élections européennes
Aujourd’hui, si des règles communes existent quant à l’organisation des élections des députés du Parlement européen, comme l’obligation d’instaurer un pourcentage minimum des suffrages exprimés pour qu’une liste puisse envoyer des élus à l’hémicycle, les Etats membres demeurent assez libres dans le mode de scrutin. Ainsi, la France, qui, jusqu’aux élections de 2014 incluses, procédait à des élections locales, est passée à des listes nationales pour le vote de 2019.
Au niveau européen, c’est le Conseil européen qui désigne le président de la Commission européenne et sa composition, sur la base du résultat des élections des députés au Parlement. Il revient ensuite à ce dernier d’approuver le choix du Conseil européen.
Listes transnationales : européanisation du scrutin ou éloignement du citoyen ?
La constitution de listes transnationales, soutenue, entres autres, par le président français Emmanuel Macron, permettrait selon ses défenseurs d’européaniser le scrutin, et ainsi d’éviter que les thématiques nationales prennent le dessus lors de la campagne. Si elles venaient à être mises en place, celles-ci regrouperaient des candidats issus du même parti ou groupe politique européen, mais de nationalités différentes. A l’heure actuelle, il est envisagé de constituer, pour 2024, une liste transnationale avec les 45 sièges laissés vacants par le Royaume-Uni après le Brexit.
Dans leur rapport « Listes transnationales et Spitzenkandidaten : fausses bonnes idées » (2021), Jean-François Rapin (LR) et Laurence Harribey (PS), sénateurs membres de la commission des affaires européennes du Sénat, soulignent que la constitution d’une liste transnationale pourrait avoir l’effet inverse. Selon eux, le risque est que les élections européennes ne deviennent encore plus « hors-sol », avec des candidats trop détachés des préoccupations des électeurs nationaux.
Spitzenkandidaten : la légitimité démocratique de l’Union renforcée ?
L’autre pan de la réforme envisagée consiste, pour chaque parti politique européen, à désigner avant les élections son « Spitzenkandidat » ou « candidat tête de liste ». La tête de liste du parti arrivant en tête des suffrages deviendrait ainsi président de la Commission européenne. Selon ses partisans, un tel système permettrait de renforcer la légitimité démocratique des instances de gouvernance de l’Union, car les électeurs désigneraient, indirectement, le futur président de la Commission. Le Premier ministre est désigné de cette façon dans les régimes parlementaires classiques, comme celui du Royaume-Uni.
Le risque de tromper l’électeur européen
Dans leur rapport, Laurence Harribey et Jean-François Rapin soulignent que, bien qu’aucune législation n’ait été adoptée en ce sens, la désignation de Jean-Claude Juncker (PPE) en 2014 a été effectuée de cette façon. Le Parti Populaire européen (PPE) avait en effet désigné le Luxembourgeois comme chef de file du parti. Au contraire, en 2019, c’est Ursula von der Leyen, alors ministre de la Défense allemande, qui avait été désignée par le Conseil européen, alors que le PPE avait désigné Manfred Weber comme tête de liste.
Pour les deux sénateurs, le risque d’une formalisation de cette pratique réside principalement dans le fait qu’elle pourrait conduire les électeurs à penser qu’ils exercent un contrôle sur la composition de la Commission européenne, alors que celle-ci est par nature indépendante. Une telle réforme pourrait, selon eux, venir à terme renforcer le déficit démocratique dont souffre l’Union européenne, au lieu de le combler.
L’instauration de listes transnationales et de Spitzenkandidaten compte de fervents défenseurs en Europe. Mais il faudrait, pour qu’elle soit adoptée, obtenir le consensus de tous les Etats membres de l’Union, alors-même que certains s’y sont déjà fermement opposés. C’est notamment le cas des quatre pays du groupe de Visegrad : la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie.