Vous êtes-vous déjà demandé comment vivaient les Français et Françaises partis à l’étranger pour des missions humanitaires ? Ils ne sont pas des expatriés comme les autres. Entre aventure humaine forte, danger du terrain et conditions fatigantes, les expats humanitaires ont bien des choses à raconter.
Depuis une vingtaine d’années, les formations pour intégrer des missions humanitaires se sont multipliées en France et à l’étranger. Deux raisons l’expliquent : d’une part l’intérêt grandissant des jeunes générations au sort des peuples moins chanceux et des causes qui leur tiennent à coeur (droit des femmes et enfants, écologie etc.) et d’autre part la professionnalisation du milieu, qui demande désormais une réelle formation pour intégrer une mission, et plus seulement de la bonne volonté. S’il est possible de travailler dans l’humanitaire depuis le siège, cela n’arrive généralement qu’en deuxième partie de carrière, après avoir accumulé une réelle expérience sur le terrain. Ce sont à ces expatrié(e)s particuliers que lepetitjournal.com s’est intéressé.
Partir faire de l’humanitaire, un sacerdoce
S’expatrier pour faire de l’humanitaire démontre une force de caractère particulière. Les bouleversements sont nombreux et les contextes sont souvent difficiles. Il ne s’agit pas d’un métier comme les autres. L’arrivée dans un pays ne se fait généralement pas par choix de la destination, mais par une assignation à une mission, décidée par l’ONG. Comme l’explique Albane d’Harcourt, expatriée au Philippines pour LP4Y, « lorsqu’on postule pour une mission, c’est l’organisme qui nous assigne une destination, selon les besoins. »
Les expatriés humanitaires sont de véritables globe-trotters. « Les temps de missions sont généralement assez courts, il est rare que le personnel reste plus de trois, six mois, un an maximum pour les missions classiques. » précise Justine Hugues, qui a vécu deux ans en Birmanie dans le cadre d’une mission pour Action contre la faim (ACF) la première année, puis pour le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) la deuxième année. Dans ce cadre, il est parfois difficile de s’attacher aux cultures d’accueil. Justine en revanche, a choisi de s’imprégner de la culture locale : « j’étais la seule de mon ONG à apprendre le birman - ce qui s’avère pourtant très intéressant dans les rapports humains avec les collègues locaux ».
Les humanitaires ne passent généralement pas toute leur carrière en missions à l’étranger. Au bout d’un certain temps, les missions s’enchainent et le travail est épuisant. Certains poursuivent au siège de l’ONG, d’autres se reconvertissent. Lisa* confie « avec le temps, cela devient fatiguant d’être loin des amis et de la famille. On rate quand même beaucoup de choses en étant loin. Aujourd’hui cela me correspond toujours, mais peut-être que d’ici quelques missions, j’aurai envie de rentrer et de faire quelque chose de différent. »
« Nous ne vivons pas dans le faste », Justine Hugues
Beaucoup l’ignorent, mais le personnel humanitaire vit généralement dans des conditions très particulières. Elles dépendent du niveau de dangerosité du terrain, du budget de l’ONG, de la nature de la mission et du terrain. Justine Hugues témoigne : « généralement, tout le personnel est logé au même endroit, dans des guesthouses. Nous travaillons et nous vivons toujours avec les mêmes personnes. » C’est donc un quotidien très prenant qui se dessine : le personnel humanitaire vit, mange, dort, se divertit entouré des mêmes personnes. L’expérience humaine est souvent passionnante, mais gare aux dérives. La vie quotidienne est loin des villas climatisées avec piscine : « lorsque le personnel d’ONG est sur le terrain, en dehors des grands ville, ce sont des conditions très sommaires : en Birmanie avec ACF, sur les bases, nous étions logés dans des endroits sans eau chaude et sans climatisation », poursuit Justine.
Dans les pays à conflits, ou dans les zones à fortes tensions, telles que la Syrie, l’Afghanistan ou l’Ukraine, la sécurité du personnel humanitaire est une des priorités des ONG. « Nous sommes obligés de respecter des règles de sécurité qui nous contraignent bien plus que si l’on travaillait pour une entreprise » précise Lisa*. Les humanitaires sont parfois cibles de prise d’otage, voire d’attentats. L’attaque de Kouré au Niger en aout 2020 avait fait huit morts, dont six travailleurs humanitaires français (de l’ONG ACTED) et deux Nigériens. Pour éviter ce types de drames, les ONG mettent en place des couvre-feux stricts, des périmètres d’autorisation de déplacements, des chauffeurs attitrés etc. Cela peut devenir très pesant pour le personnel et même avoir un effet contreproductif : les voitures blindées sont des cibles faciles à repérer, malgré les drapeaux et sigles des associations humanitaires.
« Les humanitaires n’ont généralement pas le même espace temps que les autres », Lisa*
Une question ressort alors : les Français qui travaillent dans l’humanitaires fréquentent-ils les autres expatriés ? Les témoignages diffèrent selon les personnes interrogées. Selon Justine Hugues, les milieux ne se mélangent guère : « ce sont des mondes d’entre-soi (…) il y a bien sûr des exceptions, mais les humanitaires restent généralement entre eux, et les expatriés du privé aussi. » Elle dénote même une forme d’hostilité entre les milieux qui restent imperméables : « Pour grossir le trait, nous étions les gentils humanitaires contre les méchants privés qui nous trouvaient bien naïfs. » Lisa*, en revanche, trouve beaucoup de réconfort dans la fréquentation des autres expatriés occidentaux : « les Français et les expatriés de toutes nationalités représentent une communauté à laquelle on se rattache. Je suis bien contente de faire partie d’une équipe comprenant d’autres Français. Quand nous ressentons le mal du pays, nous nous soutenons. »
Selon les missions sociales de l’ONG, les personnels humanitaires peuvent se retrouver plus ou moins proches des milieux de l’expatriation privée. C’est le cas d’Albane d’Harcourt, qui dans le cadre des missions de son ONG, LP4Y (Life Project 4 Youth), rencontre régulièrement des expatriés français. « LP4Y est un mouvement international qui oeuvre à faire des ponts entre les jeunes des bidonvilles et le monde du travail. (…) Nous allons alors souvent rencontrer des Français qui travaillent pour les entreprises avec lesquelles nous avons des partenariats pour offrir des opportunités professionnelles aux jeunes comme visite d'entreprises, stages ou offres d'emplois ».
Au sein même du milieu humanitaire, il faut distinguer les ONG internationales (ACF, ACTED, Amnesty International) des ONG locales et des institutions (UNHCR, Unicef, Echo). Cette typologie d’acteurs représente un panel de missions, de budgets et de personnels très varié. Justine Hugues, qui a travaillé dans les différents milieux, explique qu’on trouve un climat de compétition parfois problématique dans le milieu de l’humanitaire. Le personnel des institutions relevant de l’ONU sont généralement des personnes en milieu de carrière, bien plus payées que les autres, qui posent un regard particulier sur leurs collègues des ONG indépendantes : « ils ont tendance à voir le personnel des ONG comme des jeunes bricoleurs - ce qui n’est pas forcément exact. »
Le retour est une difficulté partagée par les expatriés du privé et de l’humanitaire
Revenir d’une expatriation est un moment difficile pour tous et toutes, peu importe le milieu. Lorsque les humanitaires rentrent d’un terrain très difficile, voire traumatisant, ils sont accompagnés par l’ONG de différentes manières. Cela n’a pas toujours été le cas, mais l’aide psychologique est aujourd’hui la norme. « Dans toutes les ONG sont proposées des séances d’écoutes et d’aide psychologique avant et après la mission » confirme Justine Hugues. Elle note également avec satisfaction l’évolution du secteur des ONG sur les problématiques de violences et harcèlement sexuel au sein même des organismes : metoo a aussi touché les ONG humanitaires.
Les ONG proposent aussi parfois un accompagnement dans la réorientation car après l’humanitaire de terrain, il peut être compliqué de réintégrer une vie professionnelle « classique » en France. Albane d’Harcourt décrit un accompagnement au sein de son ONG, LP4Y : « Nous réfléchissons à comment se réintégrer dans la société française, en fonction de nos projets de vie. Nous sommes aidés par des anciens volontaires qui proposent une forme de tutorat. »
Les autres chocs et difficultés du retour sont similaires à ceux rencontrés par les expatriés du privé. La différence réside cependant dans la durée des expériences : les humanitaires enchainent parfois plusieurs missions de quelques mois dans des pays très différents et n’ont pas le temps de s’imprégner de la culture locale … et donc d’en ressentir le manque. La perspective d’installation et d’expatriation n’est pas la même entre le monde humanitaire et le privé. Malgré tout, partir pour faire de l’humanitaire reste une vocation, pour des personnes portées par l’ouverture vers autrui, comme résume Albane d’Harcourt : « c’est toujours une joie de découvrir une nouvelle culture et de nouvelles personnes inspirantes avec qui travailler ».
*Lisa, qui porte un prénom d’emprunt, a souhaité que son témoignage reste anonyme.