Yann Busnel, 36 ans, a quitté sa vie en France pour se lancer dans un tour du monde sans moteur. Parti d’Afrique du Sud, il veut rejoindre le sud de l’Amérique en suivant le plus long itinéraire terrestre jamais parcouru sans assistance motorisée. À vélo, en kayak ou à dos de dromadaire, il avance à travers les conflits géopolitiques, les conditions climatiques extrêmes ou les blocages administratifs. Son expédition, baptisée Beyond the Capes, est autant « un défi physique qu’un engagement personnel », qu’il souhaite partager sur ses réseaux sociaux, en livre et sur grand écran.


Il s’appelle Yann Busnel. À 36 ans, cet ancien mécanicien sur hélicoptères a quitté une vie ordinaire pour partir seul à la conquête du monde. Il s’élance pour un tour du monde unique. L’objectif : relier le point le plus au sud du continent africain à celui le plus au sud du continent américain sans jamais utiliser de moteur, sans discontinuité, en suivant « le plus long itinéraire du monde entre deux points terrestres », tout en passant par le détroit de Béring. L’expédition, baptisée Beyond the Capes, est née après douze années de recherches et de réflexion : « Je voulais faire une expédition qui n’a jamais été réalisée. J’ai épluché tout internet, l’histoire, les livres. C’était long » explique Yann.

Adepte de sports extrêmes, il avait déjà multiplié les séjours en survie et les aventures physiques intenses. Mais avec un tel voyage, il bascule dans une autre dimension. « J’ai tout quitté. Je suis arrivé au Cap des Aiguilles, en Afrique du Sud, j’ai monté mon vélo, puis j’ai traversé l’Afrique jusqu’à Djibouti », raconte-t-il. Sur sa route, 10.000 km de vélo, l’ascension du Kilimandjaro, une traversée en kayak du golfe de Tajoura, et l’obsession d’un trait à suivre.
Certains ne comprennent pas pourquoi j’ai mis autant de temps à préparer l’expédition, mais il faut allumer le cerveau à chaque pays, à chaque région
Une préparation millimétrée face aux zones de tension
S’il lui a fallu douze ans pour établir son itinéraire, c’est que Yann devait étudier les conditions géopolitiques de chaque région traversée. « Certains ne comprennent pas pourquoi j’ai mis autant de temps à préparer l’expédition, mais il faut allumer le cerveau à chaque pays, à chaque région », explique-t-il, évoquant ses heures passées à interroger les ambassades, lire la presse locale, collecter les retours d’expérience des voyageurs. « Les voyageurs disent souvent que tout va bien. Mais on oublie des choses graves, comme les prises d’otages en Iran. Il y a trois otages Français retenus là-bas. Ce genre de risque ne figure pas dans les guides » précise Yann.
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Pour contourner l’Iran et les zones à risques, il décide alors de voyager par la péninsule Arabique : Djibouti, Yémen, Oman, Pakistan. Mais même cette route, plus sûre sur le papier, s’avère semée d’embûches. À Oman, il reste depuis un mois, incapable de franchir la mer sans trahir l’essence de son expédition. « Le but est de ne jamais utiliser de moteur. Donc je dois trouver une solution de traversée à la voile ou à la rame. Sinon, je suis bloqué », insiste-t-il.

J’ai compris l’importance de l’expédition vis-à-vis de ma propre vie. J’ai appris qu’il fallait que je mette un peu d’eau dans mon vin
Des risques limités mais bien présents
Mais si la préparation a été longue pour limiter toute prise de risque, son voyage n’en reste pas moins dangereux. En Éthiopie, alors qu’il tente de franchir un pont à vélo, un soldat armé l’interpelle. Le ton monte. L’arme est pointée, une kalachnikov collée sur la tête. On lui ordonne de placer son vélo dans une voiture, de renoncer à la traversée par ses propres moyens. Il refuse et négocie. « Je leur ai dit : ce sera à pied ou à vélo, mais je ne trahis pas l’expédition. » Il finit par avoir gain de cause, au prix d’un bras de fer sous haute tension. « Pas un seul mètre du trajet n’a été fait avec un moteur », rappelle-t-il, comme pour s’assurer que la promesse initiale tient toujours. Pour autant, il ne semble pas fier de sa prise de risque qui aurait pu lui faire perdre bien plus que l’enjeu de son aventure : « J’ai compris l’importance de l’expédition vis-à-vis de ma propre vie. J’ai appris qu’il fallait que je mette un peu d’eau dans mon vin », explique-t-il. Dorénavant, il prend davantage de recul, cherche l’appui diplomatique ou médiatique plutôt que de foncer tête baissée. Il sait que chaque pays a ses lignes rouges, et que les ignorer pourrait mettre fin à l’aventure, ou pire.
Il y a des régions où il faut cacher n’importe quel drapeau sous peine de se faire massacrer
Face à ces contextes extrêmes, Yann sait qu’il doit ruser pour survivre. S’adapter est une condition vitale. Pour sa future traversée du Pakistan, il prévoit de troquer ses vêtements d’aventurier contre une tenue traditionnelle locale : « Je vais m’habiller en Pakistanais, rouler sur une bicyclette locale et apprendre quelques mots d’ourdou. » L’objectif est clair : se fondre dans le décor, éviter d’attirer l’attention, réduire les risques liés à sa nationalité. Car oui au Pakistan, les Français ne sont pas les bienvenus. Même son drapeau bleu-blanc-rouge, qu’il brandit fièrement dans certaines régions, est relégué au fond du sac quand la situation l’exige. « Il y a des régions où il faut cacher n’importe quel drapeau sous peine de se faire massacrer », raconte-t-il au sujet de certaines zones d’Éthiopie ou du Baloutchistan.
Mais l’Homme n’est pas le seul danger qui s'oppose à Yann. La nature aussi impose ses lois. Dans les étendues désertiques de la péninsule arabique, avec son dromadaire, compagnon de plusieurs mois, il a enduré les 51,6 °C enregistrés à Abu Dhabi. « Nous étions en plein cagnard, avec l’impression que nous allions tourner de l’œil. » L’air est irrespirable, le sable brûlant, et l’eau une denrée rare. Il confie avoir frôlé les limites de son endurance, physiquement et mentalement.
Si je n’ai pas de réseaux sociaux, j’ai des bâtons dans les roues
L’importance des réseaux sociaux
Pour tenir, il s’appuie sur sa famille, à qui il envoie quotidiennement sa position GPS. « J’ai un petit groupe WhatsApp avec eux. Ils ont confiance en moi, parfois un peu trop, parfois pas assez. » Les réseaux sociaux jouent aussi un rôle crucial. Équipé de caméras 360°, d’un drone et de matériel de captation audio, il documente chaque étape de son aventure. « Les messages sont extraordinaires. Ça aide à voyager vraiment. » Pour autant, Yann refuse l’étiquette d’influenceur, en dépit de ses 16.700 abonnés sur Instagram.
« Je déteste cette image. Je dors dehors, je vis dehors. Mais aujourd’hui, si je n’ai pas de réseaux sociaux, j’ai des bâtons dans les roues. » Car sa communauté est une force précieuse. Lorsqu’il entre en contact avec une ambassade ou sollicite un visa, pouvoir afficher plusieurs milliers de followers sur Instagram lui permet de montrer qu’il n’est pas seul, qu’un public suit son aventure. « Les gouvernements adorent promouvoir le tourisme alors montrer que je suis suivi m’ouvre des portes », explique Yann. Sa présence sur les réseaux l’aide également à trouver des financements, l’encourage dans les moments de doute, et inspire parfois des vocations. « C’est un honneur quand on me dit que quelqu’un a changé de vie à cause de mon aventure. »
Rouhoul et Jarod : des compagnons de routes atypiques
S’il parcourt la planète seul, Yann Busnel n’est jamais tout à fait seul. Les liens qu’il tisse au fil de la route apportent à son expédition une dimension humaine importante. La plus marquante est celle de Rouhoul, un dromadaire, rencontré en Arabie Saoudite et échangé contre un kayak. Une transaction improbable, à l’image de son périple. « Il m’a apporté tant de choses. Il m’a aidé à traverser le désert. J’ai compris que s’il mourait, je mourrais aussi. » Sept mois passés ensemble, sous un soleil de plomb, à partager l’eau, les silences et les coups de fatigue. Depuis, le dromadaire vit à Dubaï, mais Yann rêve de le ramener en France, en Bretagne, pour lui offrir une « retraite digne ».
C’est fou comme l’on peut s’attacher, même à un caméléon
Son chemin a aussi croisé celui de Jarod, un caméléon venu se poser sur son vélo en Afrique. « Il faisait la taille de mon petit doigt. Il m’a grimpé dessus et ne m’a plus quitté. » Pendant près de dix jours, Jarod a voyagé dans une cage artisanale montée à l’avant du vélo, nourri quotidiennement d’insectes récoltés au bord des routes. « Il changeait de couleur toutes les dix minutes, c’était rigolo », sourit Yann. Quand le caméléon finit par s’enfuir, alors que Yann traverse un village massaï, l’absence laisse un vide inattendu : « J’étais triste pendant deux bonnes heures. C’est fou comme l’on peut s’attacher, même à un caméléon », se rappelle-t-il.
Plus encore que ses compagnons atypiques, les êtres humains croisés en chemin marquent également son voyage. « Les locaux m’invitent, m’offrent le thé, un repas voire un toit pour la nuit. L’hospitalité est une richesse que beaucoup sous-estiment », confie-t-il. Dans les fermes bédouines, en Arabie Saoudite, dans des villages reculés d’Éthiopie ou même en bordure de la mer Rouge, Yann trouve régulièrement refuge, souvent sans avoir à le demander. « Parfois, ils m’invitent sans même savoir qui je suis. Juste parce que je passe. Il y a des gens avec qui je garde contact à vie. On continue à échanger, à s’envoyer des messages. Ce sont plus que des hôtes : ce sont des amis ».

Mon vrai rêve est de faire un film qui rassemble les gens dans le monde entier
Un film pour partager son histoire
Mais l’aventure de Yann Busnel ne s’arrêtera pas au dernier coup de pédale. Il transporte avec lui de nombreux carnets où il prend note de son quotidien. « J’écris tous les jours depuis des années, pas juste “je roule, je mange, je dors”. J’écris les émotions, les détails, les rencontres, les lieux, les visages », explique Yann qui souhaite utiliser ce socle pour un livre déjà en cours de préparation.
Plus qu’un, livre, Yann vise le septième art. « Mon vrai rêve est de faire un film qui rassemble les gens dans le monde entier ». Il imagine une œuvre centrée sur les visages croisés, les gestes simples, les échanges qu’il a pu observer durant son expédition. « J’aimerais que le film montre que l’on s’aime tous, que l’on vit tous sur la même Terre, même si parfois on l’oublie. » Son rêve ultime ? Projeter ce film au Grand Rex à Paris, accompagné d’une conférence. « J’y arriverai, peu importe le temps que ça prendra », affirme-t-il.
Yann ne cherche ni la reconnaissance ni l’admiration. Au contraire, il considère presque comme une responsabilité le fait de partager son histoire. « Quand on est capable physiquement et mentalement de se dépasser, c’est un dû pour ceux qui ne peuvent pas. » Citant Paul-Émile Victor, “L’aventure, ça se partage.”, Yann estime même que son « aventure ne lui appartient pas vraiment. Elle appartient à tous ceux qu’elle touche. »
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