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Penser global, agir local : la Gen Z se révolte au Maroc, au Népal et à Madagascar

Depuis plusieurs semaines, le Népal, le Maroc et Madagascar sont secoués par des mouvements de contestation. Derrière ces soulèvements, une même génération : les jeunes de la génération Z. Coupures d’électricité, censure des réseaux sociaux, revendications de justice sociale, leur colère s’exprime différemment selon les pays, mais leurs aspirations se rejoignent. Que réclament-ils ? Comment s’organise ce mouvement ? Et pourquoi maintenant ? Décryptage d’une révolte connectée avec l’anthropologue Élisabeth Soulié.

Protestations de la Gen Z à Madagascar en octobre 2025Protestations de la Gen Z à Madagascar en octobre 2025
Protestations de la Gen Z à Madagascar en octobre 2025 - source X
Écrit par Mélanie Pierre
Publié le 13 octobre 2025, mis à jour le 20 octobre 2025

 

 

Ce qui rend cette génération si intéressante, c’est qu’elle arrive à un moment charnière de l’histoire 

 

Le mouvement de contestation s’intensifie à Madagascar, notamment le samedi 11 octobre quand les manifestants ont été rejoints par des soldats dans les rues de la capitale. À l’heure où nous publions, une information RFI indique que le président malgache Andry Rajoelina a quitté Madagascar le 12 octobre 2025 à bord d’un avion militaire français. Que se passe-t-il ? Une vague de contestation est portée par la génération Z partout dans le monde. Après avoir fait tomber le gouvernement népalais début septembre 2025 et bousculé les Philippines, elle atteint Madagascar, puis le Maroc. « Il y a trois notions qui permettent de cerner la génération Z. La notion de fluidité, celle de communauté et celle liée à l’affectivité et aux émotions », explique Élisabeth Soulié, anthropologue et essayiste, autrice de La Génération Z aux rayons X

 

 

l'anthropologue Élisabeth Soulié
Élisabeth Soulié, anthropologue et autrice de La Génération Z aux rayons X

 

 

Au Népal, des manifestations réprimées et 19 morts : “l’aéroport est fermé"

 

 

Nés entre 1997 et 2012, ces jeunes ont grandi dans un monde numérique, hyperconnecté mais fragilisé. La précarité, les crises politiques, sociales et climatiques nourrissent une colère lucide. « Ce qui rend cette génération si intéressante, c’est qu’elle arrive à un moment charnière de l’histoire », poursuit Élisabeth Soulié. « Nous ne sommes plus seulement dans une révolution technologique, mais dans une mutation profonde des manières de vivre, de ressentir et d’habiter le monde. La génération Z, c’est celle du monde d’après ».

 

 

C’est une génération qui pense globalement, et qui a les moyens de penser globalement, mais qui agit très localement

 

 

Colère de la Gen Z à Madagascar - octobre 2025 - source AFP
Colère de la Gen Z à Madagascar - octobre 2025 - source AFP 

 

C’est quoi, le mouvement Gen Z ?

La génération Z est la première à être entièrement façonnée par la culture numérique. Pour l’anthropologue, c’est là que tout commence « Il faut comprendre cette génération à partir de la culture digitale dans laquelle elle a baigné depuis sa naissance. La culture numérique a façonné ses représentations, ses imaginaires et sa manière d’être au monde ». Dans cet univers connecté, l’horizontalité remplace la hiérarchie. Le monde des institutions solides, avec des partis politiques, syndicats, églises ou grandes entreprises, laisse place à un univers communautaire. « Les jeunes sortent d’un contexte de la modernité, fondé sur des institutions fortes, pour entrer dans un monde postmoderne beaucoup plus fluide », explique-t-elle. C’est une génération sans chef mais pas sans voix. Pour l’anthropologue, ce qui définit réellement la génération Z, c’est sa capacité à penser globalement tout en agissant localement « Ce que je trouve de commun, c’est que c’est une génération qui pense globalement, et qui a les moyens de penser globalement, mais qui agit très localement. Ses revendications sont contextualisées selon les besoins quotidiens. Ce sont ce qu’on pourrait appeler des petits récits de la quotidienneté, parce qu’ils sont multiples, pluriels ». 

 

 

Génération Z : Une génération accro aux réseaux sociaux

 

 

Au Maroc, GenZ 212 se soulève contre les inégalités et la corruption - source X
Au Maroc, GenZ 212 se soulève contre les inégalités et la corruption - source X

 

Au Maroc, le mouvement GenZ 212 a émergé le 27 septembre 2025, lançant un appel à la démission du gouvernement. Depuis, des manifestations spontanées éclatent dans plusieurs régions, notamment dans le centre et le nord du pays. Majoritairement composés de jeunes, les cortèges réclament plus de justice sociale, un meilleur accès à l’emploi, à la santé et à l’éducation. « Nous demandons la dissolution du gouvernement actuel pour son échec à protéger les droits constitutionnels des Marocains et à répondre à leurs revendications sociales », a déclaré le collectif dans un communiqué adressé au roi Mohammed VI. 

 

Au Maroc, les jeunes manifestent pour la justice sociale

 

 

À Katmandou, le blocage des réseaux sociaux a servi d’étincelle à une colère déjà bien installée. Une jeunesse excédée par la corruption et le népotisme fait entendre sa voix. Le mot-clé #NepoKids, dénonçant les privilèges des enfants de l’élite politique et économique, s’est répandu sur les plateformes. Dans un pays où un jeune sur cinq est sans emploi, le contraste entre une jeunesse connectée et une élite déconnectée saute aux yeux.

 

 

« La Gen Z en a marre de la corruption » : des expatriés français au Népal témoignent

 

 

Au Népal comme ailleurs, le symbole One Piece
Au Népal comme ailleurs, le symbole One Piece - source X

 

La Gen Z redéfinit l’autorité

Pour Élisabeth Soulié, la génération Z ne rejette pas l’autorité, elle la redéfinit. « Ce sont des autorités d’expérience plutôt que d’expertise », explique-t-elle. Autrement dit, la légitimité ne vient plus du diplôme ou du statut, mais de la capacité à incarner. Cette jeunesse privilégie des formes de leadership collectives et temporaires, fondées sur la confiance plutôt que sur la hiérarchie. Elle observe que « tout repose sur un pacte relationnel, un pacte de confiance », mais que celui-ci « peut être repris, échangé, partagé ». L’autorité devient mouvante, circulaire et co-construite. Elle parle même de « co-autorités » ou de « co-leadership », capables de se réinventer au fil des situations.

 

Tout repose sur un pacte relationnel, un pacte de confiance

 

Ce rapport souple à l’autorité traduit aussi une nouvelle perception du temps. « Cette génération vit dans l’instant présent de l’expérience », explique l’anthropologue. Elle ne projette plus ses actions sur un long terme. Une transformation directement liée à la culture numérique et à son flux constant d’informations et d’émotions. Cette temporalité du maintenant se retrouve sur le terrain. À Madagascar, la colère est née des coupures d’eau et d’électricité, avant de se muer en véritable crise politique. Le président Andry Rajoelina a fini par dissoudre son gouvernement après plusieurs jours de manifestations violentes qui ont fait des dizaines de morts. Malgré des richesses naturelles considérables, 75 % des habitants y vivent sous le seuil de pauvreté. C’est dans ce contexte que le président Andry Rajoelina - très probablement exflitré de son pays - s'adresse à sa nation lundi 13 octobre alors que les appels à sa démission se multiplient.  Au Maroc, les revendications portent sur la justice sociale et l’avenir économique. Les appels à manifester, largement relayés via Discord, ont mobilisé des milliers de jeunes dans plusieurs villes. La réponse des forces de l’ordre aurait conduit à la mort de trois manifestants, selon plusieurs sources locales.

 

 

Elle ne se bat pas pour de grands récits modernistes, mais pour des changements palpables dans le quotidien

 

 

Des jeunes Népalais se prennent en photo devant le siège du gouvernement népalais incendié par des manifestants à Katmandou, le 9 septembre 2025. AP - Niranjan Shrestha
Des jeunes Népalais se prennent en photo devant le siège du gouvernement népalais incendié à Katmandou, le 9 septembre 2025. AP - Niranjan Shrestha

 

 

Les réseaux sociaux comme catalyseur d’une colère mondiale 

« Ils disent que nous sommes une génération TikTok, une génération de débiles et quand on se soulève, ils ne nous laissent pas nous exprimer », s’indigne une jeune manifestante malgache au micro de M6, dénonçant l’attitude du gouvernement. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont au cœur de ces mobilisations. Ils permettent de coordonner les actions, de diffuser les messages et de créer un sentiment d’unité malgré la dispersion géographique. « La viralité permet qu’il y ait une unification au niveau des symboles, au niveau de certains types de revendications, et une capacité énorme de mobilisation », observe Élisabeth Soulié. Le drapeau de One Piece en est l’exemple le plus parlant. Apparu dans les manifestations au Maroc, il est devenu le signe de ralliement d’une jeunesse en colère. Elle s’inspire de Luffy, le héros de manga qui se bat contre l’injustice et la corruption. Ce symbole traverse les frontières, de Rabat à Katmandou, en passant par Manille et Jakarta.

 

Elle ne se bat pas pour de grands récits modernistes, mais pour des changements palpables dans le quotidien

 

Contrairement aux générations précédentes, la Gen Z ne rêve pas en grandes utopies universelles. Ses combats ne cherchent pas à réinventer le monde de façon abstraite. Ils portent sur l’amélioration concrète de la vie quotidienne comme un accès à l’eau et à l’électricité, une justice sociale équitable, des perspectives économiques réelles. Pour le dire autrement, « elle ne se bat pas pour de grands récits modernistes, mais pour des changements palpables dans le quotidien »

 

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