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Oriane, journaliste française expatriée au Svalbard : "j'ai attrapé le virus polaire"

Oriane Laromiguière est résidente du Svalbard, un archipel norvégien situé en mer du Groenland dans l’océan Arctique “le territoire le plus au nord du monde”. La journaliste française vit une expatriation très atypique depuis qu’elle a attrapé le “virus polaire ou polar bug, un mal qui touche les personnes qui tombent amoureux des régions polaires”. Elle nous raconte.

Oriane Laromiguière, journaliste au Svalbard Oriane Laromiguière, journaliste au Svalbard
Écrit par Capucine Canonne
Publié le 26 juin 2024, mis à jour le 27 septembre 2024

 

 

Une fois que l’on a vu ces coins reculés du monde, il est très difficile de s’en défaire et j’ai attrapé le virus polaire - ou polar bug en anglais

 

Le coup de foudre commence au Pôle Sud. En 2018, Oriane Laromiguière, journaliste, réalise un reportage sur une île entre le Chili et l’Argentine. Un jour, un ornithologue lui parle de croisières en Antarctique. Il y est guide touristique. Oriane se lance et explore pour la première fois l’Antarctique. “Les paysages sont somptueux, l’endroit est très peu exploité par l’Homme, ce qui en fait un bout du monde fascinant. Une fois que l’on a vu ces coins reculés du monde, il est très difficile de s’en défaire et j’ai attrapé le virus polaire - ou polar bug en anglais - , ce mal qui touche les personnes qui tombent amoureux des régions polaires.” L’été suivant, en 2019, la journaliste décide d’explorer l’Arctique et arrive pour la première fois au Svalbard : “je connaissais très peu de choses de cet archipel norvégien. En France, on n'en parle pas du tout.” 

 

 


 

Vivre à Longyearbyen, capitale au look industriel du Svalbard 

Oriane débarque alors de son bateau de croisière un jour de 2019 et découvre une faune et une flore totalement différentes. A la différence de l’Antarctique - où il n’y a que des scientifiques - le territoire est habité. “Mais il n’y a pas d’autochtones” précise la résidente. “Le Svalbard a été découvert en 1596 par le Néerlandais Wlilem Barentsz qui cherchait une route vers les nouvelles terres en évitant les mers du Sud suivies par les Espagnols et les Portugais. Il arrive ici et découvre des populations de morses et de baleines.” Puis les explorations s'enchaînent : d’abord les baleiniers, ensuite les chasseurs de phoques, les trappeurs. Vers la fin du XIXème siècle, le Svalbard est exploité pour son charbon. “Une ville naît alors, en 1906, Longyearbyen, où vivent aujourd’hui 2.600 habitants, sur 3.000 personnes dans tout l'archipel qui est norvégien depuis un traité signé en 1920. ”

 

La vie de Longyerbien
Credit photo Oriane Laromiguière 

 

 

Nous avons tout ici : un cinéma, une université, des restaurants, des cafés, une école, des garderies, une piste de ski, une piscine, une salle de concert.”

 

Oriane Laromiguière n’est pas séduite par la ville industrielle qui témoigne de l’activité minière “Comme un far west, mais du nord. Les tuyaux ne sont pas enterrés à cause du gel du sol. Cela donne un look industriel à outrance.” En juillet 2023, la journaliste revient sur la terre glacée du Svalbard. Parce que la France a signé le traité du Svalbard (acté en 1920), elle peut s’installer et travailler sans visa, juste avec son passeport européen. Elle pose ses valises à Longyerbyen. Petite ville mais grande capitale, explique Oriane : “Nous avons tout ici : un cinéma, une université, des restaurants, des cafés, une école, des garderies, une piste de ski, une piscine, une salle de concert.” Oriane, qui a toujours vécu dans des grandes villes, ne s'ennuie jamais “il se passe tout le temps quelque chose, comme des festivals, des expositions ou des événements. Je ne m’y attendais pas lorsque je suis arrivée.” 

 

 

la ville de lonyearbyen au Svalbard
Credit photo Oriane Laromiguière 

 

 

On dit souvent qu’au Svalbard, on ne naît pas et on ne meurt pas. Les femmes accouchent sur le continent et personne n'est enterré ici, le sol est trop gelé. 

 

Le coût de la vie équivaut à celui d’une grande ville européenne. Un seul supermarché existe à Longyerbyen “où l’on trouve de tout, mais peut être pas les bons fromages français, ou alors il faut payer cher” sourit la résidente française, se rappelant avoir acheté un jour un petit fromage de chèvre quatre fois le prix par rapport à la France. Côté logement, Oriane Laromiguière vit en colocation et paye 11.000 couronnes norvégiennes, soit 950 euros. “il y a une crise du logement ici, il est très difficile de trouver un endroit pour se loger, gros point noir.” Côté santé, un hôpital existe mais Oriane précise : “On dit souvent qu’au Svalbard, on ne naît pas et on ne meurt pas. Les femmes enceintes vont sur le continent pour accoucher, à 2h de vol. De même, s’il se passe quelque chose de grave, le rapatriement est mis en place. Et il n’y a pas de personnes âgées. Il n’est pas possible d’être enterré ici, le sol est trop gelé. ” 

 

Oriane Laromiguière en exploration au Svalbard
Oriane Laromiguière en exploration au Svalbard 

 

 

Les habitants du Svalbard ont tous un amour pour l’Arctique et une soif de découvrir et comprendre la région.

 

 

S’expatrier au Svalbard : “Personne ne vient vivre ici par hasard” 

Sur place, Oriane Laromiguière découvre un melting pot, d’une cinquantaine de nationalités différentes : “les habitants sont ici car ils ont un attachement profond, une raison de vivre ici. Ce sont des scientifiques, des étudiants de passage, des travailleurs dans la mine de charbon accompagnés de leur famille, des employés administratifs. Ils ont tous un amour pour l’Arctique, une soif de découvrir et comprendre la région. La population est hétéroclite, il y a d’ailleurs aussi une grande communauté d’artistes.” Parmi la population du Svalbard, une communauté française est présente, “une bonne quarantaine” souligne Oriane Laromiguière, expliquant au passage que les nationalités les plus représentées sont les Norvégiens, les Thaïlandais et les Suédois. 

 

 

Oriane Laromiguière, journaliste au Svalbard

 

 

Personne ne vient vivre ici par hasard donc. “Ceux qui choisissent de venir adorent l’environnement et la nature. Ils sont servis au niveau des loisirs !" raconte la journaliste. “Nous sommes entourés de montagnes. L’été, on randonne et l’hiver, on skie ou on marche en raquettes.” Les locaux se déplacent en motoneige. “Nous adorons partir en cabane le weekend, comme une maison de campagne. Deux heures de motoneige et c’est le silence complet, des paysages somptueux, parfois au bord d’un fjord…C’est extraordinaire d’y voir le premier ou le dernier coucher de soleil chaque année.” 

 

 

une cabane au svalbard, comme une maison secondaire
Credit photo Oriane Laromiguière 

 

 

A la nuit polaire, il faut garder une routine, être très occupé, continuer à se lever le matin et se mettre devant sa lumière artificielle.
 

 

Frank Bruno, une expatriation à mi-temps au Groenland

 

 

Expérimenter la nuit polaire ou le soleil de minuit au Svalbard

En octobre, le soleil ne passe plus la ligne d’horizon. Le territoire est plongé dans le noir “au début avec de la lueur mais les mois de novembre et décembre, nous sommes dans le noir complet !”. Les températures baissent jusqu’à -20 degrés. Oriane Laromiguière raconte cette expérience : “j’appréhendais beaucoup mais j’étais impatiente de la vivre. Certains te disent que tu peux devenir fou. Il faut garder une routine, être très occupé, continuer à se lever le matin et se mettre devant sa lumière artificielle. Dans mon cas, (NDLR de novembre à fin décembre 2023), j’ai adoré vivre cette expérience et j’ai hâte d’être à la prochaine. Je vivais dans un cocon silencieux. Lorsque je sortais, je mettais toujours mon gilet réfléchissant, une lampe torche à la main”. Mais la jeune femme a aussi conscience que l’organisme n’est pas fait pour vivre sans lumière du jour : “Evidemment, tout le monde est supplémenté en vitamine D”. 

 

 

la nuit polaire au Svalbard
Credit photo Oriane Laromiguière 

 

“Nous sommes sur le territoire de l’ours polaire.”

 

A partir de mi-janvier, la lueur revient doucement. Depuis le 18 avril 2024, le Svalbard est sorti de la nuit polaire, autrement dit, le soleil ne passe plus sous la ligne d’horizon et ce, jusqu’au 26 octobre 2024. Les habitants vivent avec le soleil de minuit : “Jusqu’à fin août, le soleil sera très présent. Après la luminosité commencera doucement à baisser.” Les températures montent jusqu’à 15 degrés. “Du papier aluminium est mis aux fenêtres pour les nuits. Étrangement, il n’y a pas de volets ici ! A toute heure, on peut voir un renne brouter en pleine ville. Le bruant des neiges, - un moineau - est revenu…le signe du printemps !”  

 

 

les animaux au Svalbard
Crédit Photo Oriane Laromiguière 

 

les animaux au Svalbard

 

 

S’il est important d’être bien préparé au climat, ce n’est pas tout… “Nous sommes sur le territoire de l’ours polaire.” rappelle la résidente. “Il était là avant nous et il est dangereux, c’est l’un des plus gros prédateurs sur terre. Ils sont environ 3.000 sur le territoire du Svalbard. L’homme n’a aucune chance. Même en courant, l’animal fait des pointes à 40 km/heure et se déplace tout le temps”. Tout déplacement hors de la ville nécessite donc d’avoir une arme ou d’être accompagné par une personne armée “tout le monde a un permis ici, c’est très réglementé”. Le coup de feu est le dernier recours.  

 

 

Oriane Laromiguière, journaliste au Svalbard
Oriane Laromiguière, journaliste au Svalbard 

 

 

“Ici nous subissons le dérèglement climatique de plein fouet : des avalanches, des glissements de terrain et même des morts.

 

Témoigner de ce qu’il se passe dans l’épicentre du changement climatique

En juillet 2021, Oriane Laromiguière crée le podcast “les Givrés des pôles” : “Je pars à la rencontre des scientifiques ou des habitants de régions polaires. Ils expliquent à mon micro pourquoi il faut absolument s’intéresser aux pôles. Pour le dire autrement, ce qu’il se passe dans les régions polaires a un impact en France.” 

C’est aussi pour cette raison d’ailleurs que la reporter a décidé de s’installer au Svalbard : “J’ai réalisé qu’il n’y avait pas de journaliste francophone sur place pour développer des contenus journalistiques et documenter ce qu’il se passe au niveau du dérèglement climatique”. Car le Svalbard se réchauffe 6 à 7 fois plus vite que la planète, l’Arctique, 4 fois plus rapidement. “Ici nous subissons le dérèglement climatique de plein fouet : des avalanches, des glissements de terrain et même des morts. C’est très concret et notre vie au quotidien est très impactée.” 

 

le svalbard souffre du changement climatique
Credit photo Oriane Laromiguière 

 

Oriane Laromiguière, journaliste au Svalbard
Credit photo Oriane Laromiguière 

 

“Je veux témoigner de cet endroit, l’épicentre du changement climatique.”  

 

Aujourd’hui, seule journaliste francophone au Svalbard, Oriane Laromiguière prend le temps de créer un réseau solide et apprend le norvégien. Correspondante pour plusieurs médias français, elle traite tous les jours de sujets d’environnement et de société. Contrairement à d’autres journalistes, la reporter n’est pas de passage et vit pleinement le dérèglement du climat. Sensibiliser est capital : “Je veux témoigner de cet endroit,  l’épicentre du changement climatique.”  

 

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