Pour beaucoup, l’amputation d’une jambe est vue comme un handicap. Mais pas pour Frank Bruno. Il a décidé d’en faire une force et de continuer à aller de l’avant, considérant même cette amputation comme “la chance de sa vie”. Entre des expéditions de l'extrême et un voyage intérieur qui l’a forgé, portrait d’un homme pas comme les autres.
À seulement 18 ans, Frank Bruno vit un drame qui va définitivement changer sa vie. Le 9 juin 1983, alors qu’il est en service militaire sur le porte-avions Foch près de la Libye, sa jambe est broyée par un avion. Une épreuve qu’il considère comme sa plus grande expédition : “Il n’y a que moi qui peux connaître cette épreuve. 10 jours pendant lesquels je suis resté sans soin à bord du porte-avions Foch. Je ne pouvais pas être soigné à cause de la guerre… Le voyage intérieur, le vrai, le pur, où chaque seconde je me demande si je vais vivre.”
Il ressort de cette épreuve avec une jambe en moins, amputé juste au-dessus du genou droit. Frank Bruno ne se lamente pas pour autant. Au lendemain de cet accident, il dit à son commandant : “Un jour, je traverserai la Méditerranée à la nage.” Et il a fait encore mieux en traversant un océan à la rame. Mais avant d’embarquer dans de tels périples, un moment marquant se passe avec son père.
Un père auteur d’un “acte héroïque”
Alors que toute sa famille est en pleurs dans sa chambre, son père fait irruption et prononce des mots qui vont marquer Frank Bruno à vie : “Maintenant tu n’as pas le choix, ou tu vis plus fort qu'avant ou tu te mets une balle dans la tête. Et si tu n’as pas le cran, je te la mets moi.” Avec du recul, Frank Bruno décrit cet acte comme ”héroïque” et comme étant “un sacré message d’amour”, même si ce n’était pas sa pensée sur le moment. Après cette visite, Frank ne voit plus son père pendant des mois.
Avant l’accident, l’explorateur - Corse et “méditerranéen dans l'âme” - était un véritable sportif de haut niveau : “Je faisais du marathon, du ski en compétition... Je ne me reposais jamais.” Alors, se retrouver du jour au lendemain amputé d’une jambe est catastrophique pour lui. Mais, une chose le sauve : la plongée sous-marine. Ses parents sont d’ailleurs des moniteurs de plongée. Même si l’idée d’un plongeur unijambiste semblait incongrue à l’époque, il se lance dans l’aventure. Plus d’un an après, il ressort premier de sa promotion. L'un des points de départ de son aventure : “Cela a été une belle expédition même si elle est moins médiatique et moins extraordinaire dans l'apparence. Mais elle a été l’élément déclencheur. Tout est possible, il suffit juste de s'écouter et non d’écouter les autres.”
Une expédition après l’autre
Très vite, Frank Bruno se lance dans l’aventure à travers des expéditions toutes plus folles les unes que les autres, et ce malgré sa jambe en moins. Il grimpe le Kilimandjaro en 2004 avec Dominique Benassi, qu’il appelle aussi Dumé. Une rencontre marquante : “Dominique Benassi, où Dumé en corse, n'est pas un ami, ni un frère. Il est l'homme de ma vie. Il est marié et j'aime bien les femmes. Mais il restera l'homme de ma vie.” Dominique Benassi est lui aussi amputé, mais à la cuisse.
En 2005-2006, les deux hommes font une aventure grandiose, la traversée de l’océan Atlantique à la rame. Avec 18 mois de préparation, ils réalisent cette prouesse en seulement 54 jours : “Tout le monde nous a ri au nez : des handicapés face à des équipes valides. Finalement, nous avons fini 3e et les derniers sont arrivés 30 jours après nous.” Une sacrée leçon de vie, mais ce qui a surtout marqué Frank Bruno est la parfaite entente avec Dumé durant cette traversée : “Il n'y a pas eu un jour où il y a eu un accroc, une dispute, un regard de travers. L’osmose était incroyable. Et nous sommes pourtant différents sur plein d’opinions.”
Plusieurs livres peuvent être écrits sur les prouesses sportives de Frank Bruno : descente du fleuve Yukon en kayak, expédition Arcticorsica (5.500 km en kayak et en vélo depuis l’océan Arctique jusqu’en Corse), une course en autonomie de 114 km jusqu'au pôle Nord…
Aujourd'hui, Frank Bruno considère cette amputation de sa jambe comme “la chance de ma vie”. Tout en confiant que son “rêve le plus fou, le plus utopique, serait de rencontrer Franck Bruno, 59 ans, avec ses 2 jambes.”
Son association Bout de vie
Après plusieurs années à barouder à travers le monde à bord de son Cabochard (bateau de pêche) et avant de s’envoler pour des expéditions époustouflantes, Frank Bruno crée son association. Suite à un ”quiproquo” et un peu d’insistance de la part d’un “avocat extraordinaire” qui lui conseille de partager ces expériences, l'association “Bout de vie” naît en 2003. Alors qu’il ne disposait pas de fonds mirobolants pour son association, un miracle se produit : “Je reçois un chèque d'un homme d'affaires pour mon association. Avec cet argent, je fais venir des hommes et des femmes amputés des quatre coins de la France pour leur faire de la plongée, de la voile, du kayak. Mais aussi et surtout, nous avons eu pas mal d'échanges sur la vie, sur le combat pacifique et sur la manière de voir comment être un homme à part entière même s'il nous manque un morceau.“
Ces stages de mer sont gratuits pour les participants et organisés chaque année aux quatre coins du globe : Antarctique, aux Malouines, aux Yukon, en Alaska, au Groenland… Frank Bruno ne sort jamais indemne de ces aventures partagées : “Je me surprends au bout d'une semaine d'être hyper ému en les ramenant à l'aéroport. [...] Ils rentrent chez eux avec des clés et ils en font ce qu'ils veulent.”
Le maître-mot de son association “Bout de vie”, dont Bixente Lizarazu (champion du monde de football en 1998) est "le président d'honneur", est de “s'adapter”. Entre ses aventures tout autour du globe et son association, Frank a décidé de s'intéresser un peu plus à l’Arctique, au point de s’expatrier plusieurs mois dans une maison à Oqaatsut, au Groenland…