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Christophe Asselin, chasseur de tornades : “le risque zéro n'existe pas”

Connaissez-vous le métier, peu commun, de chasseur de tornades ? Christophe Asselin, 38 ans, chasse les orages et les tornades depuis 20 ans. Il parcourt les routes de France, d’Europe ou encore des États-Unis à la recherche de tornades. Il partage ses aventures sur sa chaîne YouTube, Chroniques Chaotiques, avec une communauté d’environ 80.000 personnes. Le chasseur de tornades nous raconte d'où lui vient cette passion mais aussi les risques que cela peut entraîner : “La passion fait que je n’ai pas forcément peur.”

Christophe Asselin, chasseur de tornadeChristophe Asselin, chasseur de tornade
Écrit par Paul Le Quément
Publié le 5 juillet 2024, mis à jour le 13 octobre 2024

 

 

D'où vous est venue votre passion pour la chasse aux tornades ? 

Cette passion remonte à l'enfance. J’ai un intérêt pour l'orage depuis l'enfance. Une véritable fascination pour ce phénomène que je trouvais juste magnifique, esthétique et impressionnant. Enfant, j’avais envie d’en savoir plus sur les orages, leurs fonctionnements... J’étais impatient d'en voir à ma fenêtre chaque été. Quand j’étais un peu plus grand, j’ai fini par tomber sur des documentaires présentant des gens qui chassaient des tornades, dont un qui s'appelait Alex Hermant. Il est l’un des pionniers de cette profession dans notre pays, il chasse depuis les années 80. J’ai tout de suite été inspiré. Mais je ne m'étais pas forcément imaginé faire le même métier que lui. 

Dès que j’ai eu 18 ans et mon permis de conduire, je me suis rendu compte que je pouvais aller chercher plus d'orages et ne pas juste attendre qu'ils viennent à moi. Je pouvais prendre ma voiture et aller les chercher. Devenir un chasseur de tornade est alors devenu une évidence. Je me suis lancé et j’ai adoré, comme je l’imaginais. De fil en aiguille, j’ai progressé et appris des orages, puis sur la photo pour essayer de prendre les meilleures images. 

 

 

Tornade prise par Christophe Asselin

 

 

Aux États-Unis, toutes les conditions sont souvent réunies, particulièrement dans la Tornado Alley.

 

 

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs comment se forment les tornades et pourquoi la Tornado Alley est un lieu extrêmement propice à ce type de phénomène ?

La tornade est quasiment toujours associée, du moins pour les plus violentes, à un orage. Elle se forme sous un orage qui atteint vraiment un paroxysme. Une activité et une puissance assez exceptionnelle. Ces orages très puissants s'appellent des supercellules. Ils ont comme particularité d'avoir toute une partie du nuage qui est en rotation. Cela s'appelle le mésocyclone. Si elle devient suffisamment marquée et si elle s'abaisse près du sol, une tornade finit par apparaître. Cela existe s'il y a des conditions atmosphériques favorables, autrement dit des conditions d'instabilité atmosphériques : l'humidité de l'air et les vents bien orientés. En l'occurrence, pour qu'il y ait des supercellules, il faut que les vents soient forts à tous les étages de l'atmosphère et surtout qu'ils soient orientés un peu différemment pour pouvoir entraîner la rotation. Au niveau du sol, il peut y avoir des vents d'est tandis qu'au niveau de 10 à 12 kilomètres d'altitude, il y a des vents de sud-ouest. Ces vents permettent de vraiment aider le mouvement de toupie à se faire dans le cumulonimbus, le nuage d'orage. A partir de là, si  l’orage s'organise vraiment bien, il peut créer une tornade. 

 

 

Aux États-Unis, toutes ces conditions sont souvent réunies assez facilement grâce à la configuration géographique du pays et de cette zone particulièrement, la Tornado Alley. Elle se situe au centre des États-Unis. Ce sont des zones de plaines. Il n’y a pas de relief pour perturber l'organisation des vents et l’apport d'humidité est très important, généré par le golfe du Mexique. D'un autre côté, les montagnes Rocheuses à l'ouest ont tendance à assécher l'air et donc à provoquer une masse d'air sèche qui descend vers les grandes plaines. La confrontation entre cet air humide d'un côté et cet air sec de l'autre provoque des poches d'instabilité générant les orages. Ces derniers vont avoir tout le loisir de se développer et de profiter des vents à grande échelle. Alors, les supercellules - des orages très violents - qui vont être en mesure de former des tornades. Voilà pourquoi il y en a autant là-bas et pourquoi les chasseurs de tornade s’y rendent souvent pour les observer.

 

 

Est-ce qu’il y a d’autres endroits aussi propices aux tornades que la Tornado Alley ? 

La Tornado Alley est unique en matière d'intensité. Mais il y a quand même quelques “hots spots” secondaires. L'Europe n’est pas si mal fournie dans son ensemble notamment à la plaine du Pô en Italie où il y a des tornades assez fortes. Il y a aussi une zone entre la Pologne et la Hongrie, où les configurations de grandes plaines sont favorables. Le nord de l'Europe et, globalement, les zones littorales de l'Europe sont assez touchées. Ce sont les plus favorables. En France, le nord du pays est concerné. Il y a aussi quelques phénomènes en Argentine. 

 

 

éclair lors d'un orage,

 

 

Il y a aussi une mini Tornado Alley, assez étonnante, au Bangladesh. La configuration géographique est la même que celle aux États-Unis. Une chaîne de montagnes à l'ouest, avec un apport d'humidité par le sud et l'océan Indien. La seule différence avec les États-Unis est le territoire propice aux tornades, qui est 10 à 15 fois plus petit. Mais il peut y avoir des tornades très violentes. Le problème reste que le Bangladesh et la population sont beaucoup moins préparés à ce genre de phénomène climatique. Ils ont beaucoup moins d'outils pour prévoir une tornade. Donc quand il y en a, cela fait beaucoup de dégâts et de victimes malheureusement. Cette zone est un autre point fort sur le globe.

 

 

Les chasseurs de tornades ont acquis suffisamment de connaissances pour savoir anticiper ces dangers.

 

 

Vous avez une chaîne youtube, Chroniques Chaotiques. est-ce que vous arrivez à vivre de votre passion ? 

J’ai travaillé dans l’audiovisuel à travers différents emplois. J'étais souvent monteur mais aussi un peu cadreur sur de l'institutionnel, sur de l'événementiel. J'ai commencé ma chaîne YouTube en 2010. À l'époque, être un youtubeur n’était pas du tout un métier. Il n’y avait aucune monétisation. Mon but était de partager mes vidéos et de trouver un endroit où les poster. Il se trouve que ma chaîne a beaucoup mieux marché que ce à quoi je m'attendais. Je pensais que mes vidéos allaient seulement toucher les amis passionnés. Mais, beaucoup de personnes sont intéressées aux tornades, et ce même s’ils ne connaissaient pas du tout les orages. Ma chaîne a grossi. Grâce à cela, j'ai été repéré par des personnes de RMC Découverte. Ils m'ont proposé de transcrire ce que j'avais fait sur YouTube pour la télévision et donc de réaliser des documentaires pour la chaîne.

Via ce biais-là, je suis rentré dans la réalisation de documentaires pour la télévision. J'ai aussi réalisé d’autres projets qui n'avaient rien à voir avec les orages. J'avais toujours ma chaîne YouTube à côté que je continue à développer. Je faisais mes projets en “loisir”. Puis, cette chaîne a commencé à devenir un peu lucrative via la publicité, quelques partenariats... Il y a deux ou trois ans, j'ai eu la chance d'avoir l'aide du programme CNC Talent qui soutient les créateurs du web. Cela m'a permis de me mettre à 100 % sur ma chaîne. Depuis lors, je travaille uniquement dessus, même si au niveau financier, cela reste très tendu. Je ne suis pas encore tout à fait viable. Tout cela reste un équilibre fragile. Mais j'ai cette chance de vivre actuellement de ma passion. J'en profite, même si cela doit s'arrêter un jour. Au moins je vis le moment à fond. 

 

 

Je fais partie de ceux qui veulent se rapprocher. La passion fait que je n’ai pas forcément peur.

 

 

Christophe Asselin, chasseur de tornade et d'orage

 

 

Comment trouver l’équilibre entre prendre des risques pour se rapprocher de la tornade sans trop s’exposer aux dangers ? 

Il y a toujours cette difficulté, d'autant plus en tant que passionné. Il y a d'une part l'envie de vraiment vivre l'événement au maximum, de se rapprocher effectivement, du moins pour la plupart d'entre nous. Après, il y a d'autres chasseurs qui ont un style différent. Ils aiment bien voir les choses de loin et préfèrent faire des photos de l'entièreté de l'orage. Je fais partie de ceux qui veulent se rapprocher. La passion fait que je n’ai pas forcément peur. Je trouve ce genre de phénomène beau. Les chasseurs de tornades ont aussi acquis suffisamment de connaissances pour savoir anticiper ces dangers. Je me considère comme quelqu'un de très prudent dans la vie en général. Je ne vais pas à la rencontre des tornades pour me faire peur. Je ne suis pas vraiment dans cette logique de sensations fortes et d'adrénaline.. Il s’agit vraiment de voir la puissance de la nature. 

J'anticipe leur déplacement et le fait qu'elles puissent changer de trajectoire. Même si, contrairement à une croyance populaire, les tornades ne font pas demi-tour toutes les dix secondes. La plupart des tornades suivent une trajectoire assez rectiligne. Il est possible d’estimer leur façon de progresser, leur vitesse... À partir de là, il faut toujours avoir une route d’échappatoire et penser à la direction dans laquelle il faut s'éloigner si jamais la tornade change un peu de trajectoire, ou si elle s'élargit... C’est une règle d'or de la chasse. Mais en dehors de cela, j'ose considérer que j'ai suffisamment appris à connaître les tornades pour limiter au maximum les dangers, même si le risque zéro n'existe pas. En faisant ce métier de toute façon, j’accepte le risque. Cela fait partie du pack complet. J'espère que malgré tout, tout se passera bien. 

 

 

Tornade prise par Christophe Asselin au coucher de soleil

 

 

Le 31 mai 2013, trois des plus grands chasseurs américains se sont fait emporter par une tornade très violente. 

 

Mais la chasse aux tornades est une activité moins dangereuse que beaucoup d'autres loisirs qui paraissent plus banals. Je cite souvent l'alpinisme, où il y a malheureusement souvent des accidents. En soi, dans la chasse à l'orage, le plus gros risque reste les accidents de la route mais ils ne sont pas forcément liés directement aux orages. Il y a eu quelques décès liés aux tornades, notamment le 31 mai 2013 qui reste une date marquante pour les chasseurs de tornades. Ce jour-là, trois des plus grands chasseurs américains se sont fait emporter par une tornade très violente. 

 

 

Est-ce que vous avez déjà envisagé de vous expatrier aux États-Unis pour être près de la Tornado Alley ?

Je n’envisage pas de m’y expatrier, même si j'adore faire mon pèlerinage quasiment annuel aux États-Unis et retrouver des collègues. Je suis moins fan du côté tout en voiture, de la nourriture grasse... Un rythme pareil se tient les premiers jours et ils savent faire des bons burgers ! Je suis très content d'habiter en France pour l’instant. J'aime aussi le charme des orages français lorsqu’ils sont actifs. Il y a de jolis paysages avec lesquels je peux composer les photos. Ce décor change des grandes plaines américaines, certes les orages sont puissants, mais la composition photographique est un peu difficile. Il n'y a pas de petits villages ou ruisseaux. Le décor est un peu moins beau au niveau photographique. 

 

 

Christophe Asselin chasseur de tornade

 

 

En 2011, dans l'Oklahoma, nous avions eu une chasse vraiment parfaite avec une supercellule très bien isolée et très bien structurée.

 

 

Est-ce qu’il y a une tornade qui vous a marqué en particulier ?  

Difficile de répondre. Il y a eu tellement d’orages qui m’ont marqué : en France, en Espagne, en Italie. Tout cela me motive pour continuer. À chaque fois, il peut y avoir des surprises et l’opportunité de vivre encore des moments fous. 

Souvent, je cite ma première tornade aux États-Unis. En 2011, dans l'Oklahoma, nous avions eu une chasse vraiment parfaite avec une supercellule très bien isolée et très bien structurée. Un moment particulièrement fort et un cas parfait de supercellule telle que je l'avais vu dans des documentaires étant enfant. Quand j'ai eu l'opportunité d'y aller et d'enfin me trouver devant cette tornade-là, j'ai tout de suite compris que j’étais en train de vivre un rêve de fou. J’ai eu de gros frissons. Ce moment est encore émouvant quand j’y pense maintenant. 

Je suis aussi quand même obligé de citer la tornade “El Reno” du 31 mai 2013. Elle reste à ce jour officiellement la tornade la plus large jamais observée. Elle a atteint un diamètre de 4,2 kilomètres. Malheureusement, elle a emporté trois de nos collègues chasseurs. Je me situais à peu près à un ou deux kilomètres de l'endroit où s'est produit l’accident. La journée et la chasse étaient vraiment particulières. J’ai quand même eu assez de chance d'observer cette tornade. Mais elle reste meurtrière. Beaucoup de tornades tuent des personnes, mais ce genre d'événement est d’autant plus marquant quand cela touche des membres de notre communauté. 

 


 

 

Est-ce que vous souhaitez davantage angler vos documentaires comme votre dernière série-docu “Pris pour cibles”, qui se concentre sur le quotidien des locaux dans la Tornado Alley ? 

Il est vrai que, pendant longtemps, j’ai fait des vidéos axées purement sur la chasse et son histoire. J’avais en tête cet angle sur les habitants depuis très longtemps. Je voulais faire ce projet depuis au moins 10 ans. Mais, ce type de documentaire est difficile à mettre en place. Il y a toute une période de tournage assez longue sur le fait d'aller rencontrer ces personnes. Au fil de tous mes voyages, j'ai discuté avec beaucoup de monde. Au fil des années, j'avais écrit ce documentaire en sachant les réponses que j'aurai à nouveau devant la caméra. 

 

 

Cela me tenait vraiment à cœur. Maintenant, il n'y a pas beaucoup d’angles possibles sur la Tornado Alley. Pour l'instant, j'ai deux, trois autres projets en réflexion mais qui sont à un stade très peu avancé. Ils sont peut-être plus axés sur la façon de filmer les orages, d'essayer de trouver des nouvelles technologies. Pourquoi pas tenter du côté de la réalité virtuelle en 360 degrés, des contenus plus immersifs pour essayer de faire vivre le fait d'être au milieu de ces orages et tornades. Mais je n’ai pas encore d'idée précise. En tout cas, l'idée est d'essayer de changer un peu à chaque fois, de raconter les choses différemment et de faire évoluer la chaîne. Dans l'idéal, j’aimerais aller vers de nouveaux territoires comme au Bangladesh. Cela pourrait être un gros challenge de voir ce qui se passe dans ces régions même si la chasse pourrait être très compliquée. Il n’y a pas de données météo précises, le réseau routier est très compliqué. Une telle expédition peut être un défi très intéressant à montrer en vidéo…

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